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CHAPITRE 6 : DÉMOCRATIE

6.3 La démocratie municipale

6.3.3 La première séance des conseils municipaux

Dans le cadre de ce processus de décentralisation, les premières élections municipales en Tunisie eurent lieu en mai 2018 et déterminèrent qui serait à la tête des prochains conseils municipaux. Une fois le vote passé, Marsad Baladia s’est donné le mandat d’assister à certaines de ces investitures afin d’y faire des activités de

reporting. En tout, ce sont dix municipalités qui ont été sujettes à une captation vidéo par les membres, qui se

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pratique, afin d’optimiser les déplacements et de couvrir quelques municipalités dans une même région, et d’autres, selon des critères symboliques. Attardons-nous sur ces dernières.

Tunis a été sélectionnée en tant que capitale et ville la plus peuplée, mais aussi parce que c'était la ville où les chances de reprises des vidéos par la population étaient les plus élevées, afin de visibiliser l’initiative. Parmi celles dont le choix était symbolique figure aussi la commune de Klibia, où est né.e un.e membre du groupe et donc étant considérée comme un point de contact aisé en raison des relations de proximité déjà établies. Il s’avère aussi qu’elle m’a été citée comme exemple de bon fonctionnement : le conseil avait fait usage des principes de coopération et le consensus des membres avait été trouvé entre les partis représentés dans ce conseil. Les décisions avaient été prises dans le but de servir la municipalité et sa population, et non les intérêts des partis et de leurs membres. Mahres, quant à elle, a été choisie en raison de son taux de transparence établi à 100 % selon les critères de Marsad Baladia. L’objectif d’aller y faire une diffusion en direct était de prouver à l’ensemble de la population, mais particulièrement aux gouverneurs, qu'il est possible que les citoyen.ne.s assistent à cette séance sans la perturber, et ainsi qu’elle fasse figure d’exemple positif duquel s’inspirer. De fait, cette activité s’est très bien déroulée selon les observations de Marwa. L’assiduité de certain.e.s citoyen.ne.s a été soulignée, puisqu’iel rapportait qu’à chaque municipalité visitée, des personnes étaient toujours présentes à son arrivée.

Ceci est un des points de satisfaction des actions de diffusion en direct de ces séances. Marwa mentionne avoir même vu des femmes y assister avec leurs enfants, ce qui serait signe d’une grande volonté d’implication dans leur communauté. Parmi les autres signes reçus positivement, le nombre de visionnements en direct des vidéos et la rétroaction générale du public. Un exemple donné concerne une des villes, Nabeul, où il y avait toujours au moins une cinquantaine de personnes à la fois qui en faisaient le visionnement. Ce nombre s’explique par la quantité de personnes qui ont réussi à être rejointes alors que par exemple elles ne peuvent pas se déplacer. Aussi, Marwa invoquait la réaction des citoyen.ne.s devant la captation en direct. Les membres d’Al Bawsala entraient sur leur base de citoyen.ne.s et non de professionnel.le.s et ne s’identifiaient que si on le leur demandait. De plus, iel «[…] filme les gens pour que les autres citoyens qui regardent puissent voir qu’il y a le public qui peut ne pas interrompre la mise en place, être bien sage sans parler. Wallah, c'est très important parce qu’apparemment, parmi les arguments que les gouverneurs donnent pour ne pas laisser les gens rentrer, c'est qu’ils vont faire [du grabuge] » (extrait d’entrevue avec Marwa).

La réaction la plus commune à cela était positive, et certaines personnes étaient tentées de faire pareil avec leur téléphone portable afin de, elles aussi, partager l’information partagée sous leurs yeux. L’ONG a bon espoir que cela devienne une pratique plus courante à l’échelle du pays. Les citoyen.ne.s ont vu par cette

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pratique qu'il est possible de physiquement circuler lors d’évènements similaires et d’ainsi s’approprier l’espace public. C'est en fait un souhait qu’Al Bawsala a émis si les conditions budgétaires le permettaient que de fournir une trousse avec tout le matériel nécessaire à la diffusion en direct à chaque observateur.trice participant aux retraites de Marsad Baladia. Voilà d’ailleurs ce que l’organisme souhaite comme finalité de ce projet : que chaque personne puisse se sentir légitime d’exercer son droit de surveillance des conseils politiques.

À l’inverse, la commune d’Akouda a été sélectionnée parce qu’elle avait été rapportée comme problématique. Le gouverneur avait donné l’ordre de fermer au public la réunion d’élection du président du conseil municipal. En arrivant sur place, des citoyen.ne.s étaient entassé.e.s, furieux.ses de se faire barrer l’accès par une tierce personne sur les ordres du gouverneur, de qui elle répondait. Pourtant, dans le cadre du nouveau CCL, le rôle du gouverneur devait se limiter à convoquer la tenue des conseils municipaux pour une date qu'il décidait, sans plus. Les membres d’Al Bawsala ont contesté cette décision devant cette personne, mais voyant son refus de coopérer, ont décidé de diffuser en direct sur les réseaux sociaux les propos d’individus, activistes ou non, désirant exprimer leur colère devant cette situation. Ce fut la manière jugée la plus adéquate pour contourner cette situation difficile et la dénoncer en même temps.

Dans les autres problèmes rencontrés en faisant la tournée des municipalités, une situation inusitée est arrivée à Djebel Oust. Sur 12 membres du conseil, une égalité avait été constatée entre celleux provenant de deux partis. La procédure prévoyait alors un deuxième tour dans lequel le ou la plus jeune membre devient président.e, afin d’assurer la meilleure place à la jeune génération. Toutefois, chaque parti a voulu présenter une personne plus jeune que l’autre, dans un esprit de compétition. Chacun s’est campé dans cette position et, au moment de l’entrevue, le délai d’élection avait été largement dépassé, et la municipalité se trouvait toujours sans maire.sse. Voilà donc une illustration des stratégies politiques utilisées par certains partis afin de s’assurer de gagner du pouvoir, devant laquelle Al Bawsala se trouvait en situation d’impuissance.