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Chapitre 3 : Les forces motrices du développement du libre accès en France

IV.2 Les limites liées à notre approche du travail

En ce qui concerne plus particulièrement notre démarche de travail, nous tenons à souligner les points qui, à notre avis, constituent des limites à l’étude qui a été réalisée.

Insistons tout d’abord sur le fait que les experts ne maîtrisaient pas la méthodologie prospective. Pour rappel, ils ont été sollicités deux fois : une première fois pour l’identification des variables et une deuxième fois pour le remplissage de la matrice de l’analyse structurelle. À chaque étape, nous leur avons expliqué la démarche du travail, le raisonnement (voire l’état d’esprit) qu’il fallait adopter pour pouvoir évaluer le travail. Néanmoins, il est fort possible qu’il y ait malgré tout des erreurs d’appréciation qui se sont glissées dans l'analyse du fait qu’ils ne maîtrisaient pas la méthodologie prospective. À ce titre, il n’est pas impossible que nous ayons été nous-mêmes « victimes » de certaines erreurs d’appréciation. L’apprentissage de l’analyse structurelle et la prise en main du logiciel MICMAC ont été un exercice enrichissant et passionnant, mais long et difficile malgré tout.

petit mur a été dressé, semblable aux cloisons que des montreurs de marionnettes placent devant le public, au- dessus desquelles ils font voir leurs marionnettes. »

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Nous nous sommes appuyé sur les ouvrages de Michel Godet262 pour apprendre cette méthode.

Le second point qu’il convient de souligner est que le travail s’est fait de manière isolée. Il est conseillé (mais pas obligatoire) de réaliser l’analyse structurelle de manière « collective ». Ainsi, les dirigeants d’une entreprise ou d’un organisme peuvent réaliser l’analyse structurelle par un travail de réflexion commun263. C’est par l’échange d’idées, la discussion, …bref un effort de réflexion commune que l’analyse structurelle se révèle être la plus pertinente. Comme nous l’avons déjà précisé, il nous était impossible d’adopter cette méthode de travail. Dans le cadre de cette analyse, il s’agit chaque fois d’un travail individuel. Pour les variables par exemple, nous les avons identifiées et collectées de manière individuelle à partir d’une démarche empirique. Puis, chaque membre du comité d’experts a examiné de manière individuelle les variables et m’a transmis ses remarques. Il n’y a pas eu d’échanges à ce niveau-là entre les membres du comité d’experts264.

Le nombre restreint des personnes qui composent le comité d’experts constitue sans aucun doute une autre limite à l’étude qui a été réalisée. Nous nous sommes efforcé de créer un comité d’experts avec des acteurs divers, mais l’idéal aurait été d’avoir un comité d’experts plus élargi d’une vingtaine de personnes : huit éditeurs (éditeurs privés et éditeurs publics), un groupe de dix personnes, composé de représentants des pouvoirs publics, des institutions de recherche/universités et des bibliothèques universitaires, et pour finir 2 militants reconnus en faveur du développement du libre accès. Pour des raisons de temps, de disponibilité, de moyens (financiers)… il n’a pas été possible de réunir un tel groupe de travail.

L’intérêt d’avoir réalisé une analyse structurelle sur le développement du libre accès en France est manifeste, la grille de lecture élaborée a mis en évidence des variables dominantes pour comprendre le développement de ce mouvement. Néanmoins, nous ne pouvons pas nous empêcher d’avoir un sentiment de frustration en ce qui concerne les résultats de cette analyse car les variables relais que nous avons identifiées ne sont pas vraiment étonnantes en soi. Ce sentiment converge avec les propos mêmes de son fondateur Michel Godet : « On objectera

261 GODET Michel (1991). De l'anticipation à l'action : manuel de prospective et de stratégie. Paris : Dunod,

1991. 392 p. ISBN 2-10-000145-0

262 Il s’agit de principalement deux ouvrages : nous les avons cités à plusieurs reprises au sein de cette étude. 263 Par le biais des ateliers de prospective par exemple dont parle Michel Godet.

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Par contre, il nous est arrivé bien sûr d’avoir des échanges directs avec une personne en particulier pour demander des éclaircissements par exemple.

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que 80% des résultats ainsi obtenus confirment l’intuition première et sont évidents, d’où parfois la tentation de conclure que cette analyse n’était pas nécessaire. On remarquera à ce propos qu’il est toujours facile de dire ex-post que c’était évident […] » (GODET, 2007) 265

. L’intérêt réside par contre dans la consolidation des intuitions initiales et l’identification de certaines variables non prévisibles.

265 GODET Michel (2007). Manuel de la prospective stratégique : Tome 2, L’Art et la méthode. Paris : Dunod,

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Conclusion de la première partie

Notre objectif de départ était d'anticiper les forces motrices du mouvement du libre accès en France. Nous y avons contribué en menant une analyse structurelle, première étape de la prospective. Cette méthode, qui repose sur la systémique, nous a permis de dresser un panorama de son environnement et de sa structure. Elle nous a également permis de modéliser l'environnement du libre accès en France tout en réduisant sa complexité.

Afin d'anticiper les futurs développements du libre accès, les acteurs économiques concernés par le libre accès devraient prendre en compte un certain nombre de tendances (sous-jacentes) lourdes qui risquent d'avoir un impact fort sur les politiques publiques en matière de libre accès. Les engagements politiques de l'Europe constituent ainsi d'importantes politiques incitatives sous-jacentes qu'il ne faut pas négliger. Les résultats de la méthode MICMAC nous ont permis de confirmer l'importance des politiques de promotion de l'économie de la connaissance pour le développement du libre accès en France. Nous avons pu identifier la promotion de l'économie de la connaissance comme une variable clé du système. Elle est très liée à la variable « l'engagement et la politique des pouvoirs publics, des institutions de recherche et des universités en France et en Europe». La corrélation forte entre les politiques de promotion de l'économie de la connaissance et le développement du libre accès a également pu être démontrée par l'intermédiaire des graphes des influences directes. Parallèlement, il y a un nombre croissant de mandats obligatoires en matière de libre accès à la fois au niveau des institutions de recherche et des financeurs de la recherche.

Nous pouvons conseiller les éditeurs de prendre progressivement en compte ces pressions multiples dans leurs modèles éditoriaux afin de ne pas perdre les publications des auteurs qui doivent assurer un libre accès aux résultats de leurs recherches. Le pourcentage d'auteurs devant assurer un libre accès aux résultats de leurs recherches ne fera que croître dans les années à venir. Dans ce contexte marqué par des politiques incitatives de plus en plus fortes pour le développement du libre accès, les éditeurs ont tout intérêt à intégrer dans leurs politiques éditoriales des embargos de courte ou de longue durée (en fonction des disciplines) pour préserver leurs intérêts économiques. La question des embargos occupera probablement

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une place de plus en plus importante au cours des années à venir dans les politiques publiques. Nous pouvons donc conseiller aux éditeurs de mettre en place des stratégies éditoriales dès maintenant afin de se préparer à cette nouvelle donne au sein de l'édition scientifique.

Les résultats de l'analyse structurelle nous permettent également de faire quelques recommandations pour les institutions de recherche. Le rapport du GFII sur le libre accès souligne à leur sujet:

« Les institutions de recherche et les financeurs de la recherche sont confrontées à la mondialisation, à la rationalisation des choix budgétaires, à la nécessité de justifier leur action économiquement et socialement. Une entrave à la circulation des informations scientifiques peut s’interpréter comme mauvaise utilisation des deniers publics : en conséquence, les institutions de recherche veulent pouvoir, d’une part, librement accéder aux résultats des recherches qu’elles ont financées, y compris les publications, et, d’autre part, les rendre accessibles à l’ensemble de la société, aux pays en voie de développement notamment. » (GFII, 2010)266

Ajoutons la nécessité pour une institution de recherche de rendre sa production scientifique plus visible en France et dans le reste du monde. Le libre accès est un moyen d'y parvenir. Les archives institutionnelles sont devenues des outils de promotion privilégiés pour soutenir le rayonnement scientifique d'une institution de recherche.

Soulignons que le développement du libre accès, et plus particulièrement de l'auto-archivage, est largement tributaire des politiques d'évaluation de la recherche qui joueront très probablement un rôle croissant dans les années à venir. Même si la variable « Politique des instances d'évaluation de la recherche » n'a pas été identifiée comme une variable clé du système, la comparaison entre le classement direct et le classement indirect des variables les plus influentes nous a permis de déceler que cette variable jouera probablement un rôle croissant dans les années à venir. Les obligations de dépôt peuvent être directement intégrées dans le processus d'évaluation de la recherche comme c'est le cas par exemple à l'université de Liège. Cette politique d'évaluation est un vecteur de réussite pour le processus d'auto- archivage.

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Quant aux revues scientifiques, les politiques d'évaluation sont particulièrement importantes dans le domaine des sciences humaines et sociales où les agences d'évaluation prennent peu en compte les revues scientifiques dites alternatives en libre accès dans les listes des revues qualifiantes. L'élargissement de ces listes à des nouvelles revues scientifiques en libre accès constituera très probablement un enjeu important pour les chercheurs et les éditeurs de revues scientifiques en libre accès dans les années à venir. Le développement des plates-formes éditoriales en libre accès en SHS peut en effet être freiné si les agences d'évaluation persistent de les ignorer.

266 GFII (2010). Synthèse des discussions du groupe de travail sur le libre accès. [en ligne], GFII, Janvier 2010,

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Deuxième partie :

Conception d'un service d'information sur les

politiques des éditeurs en matière d'auto-

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Introduction de la deuxième partie

L’objectif de l’analyse prospective était d’anticiper les forces motrices du développement du libre accès à court et moyen terme afin que les acteurs concernés par le libre accès puissent mieux se préparer à l'avenir. Dans un contexte économique marqué par la promotion de l’économie de la connaissance et le développement des mandats obligatoires en matière de libre accès, nous avons pu déceler l’importance des embargos par l'intermédiaire des variables relais fournies par la méthode MICMAC. Il est en effet important de réfléchir sur la mise en place de modèles économiques viables afin de faire coexister l’édition scientifique traditionnelle avec l’auto-archivage.

Faire respecter les modalités de dépôt constituait pour les éditeurs une problématique sans issue immédiate.

Nous avons ainsi contribué à la mise en place d'Héloïse, un service d'information national sur les politiques des éditeurs en matière de libre accès. Ce dispositif a été réfléchi comme un véritable outil de médiation dont le développement s’est accompagné de nombreux débats entre les éditeurs et acteurs de la recherche et dont l’aboutissement est aujourd’hui un service d'information (hébergé par le CCSD en relation conventionnelle avec le SNE et la FNPS) dont la finalité est l'affichage des politiques des éditeurs en matière d'auto-archivage.

Les éditeurs francophones ont-ils intérêt à afficher plus clairement leurs politiques en matière d'auto-archivage ? Existe-t-il différents services d'information centralisés qui informent les chercheurs et les professionnels de l'information sur ces politiques éditoriales? Quels intérêts présentent ces services d'information ? Sont-ils efficaces et adaptés au contexte national français? Un tel dispositif contribue-t-il à réguler les pratiques de dépôt des publications ?

A la demande des membres du groupe de travail du GFII, nous avons mené des investigations pour apporter les éclairages nécessaires. Notre deuxième démarche de recherche-action émane de cette sollicitation.

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Dans le chapitre 4, nous dressons un bref état de l'art des enjeux économiques liés à l’auto- archivage et les embargos. Ces enjeux ont été longuement évoqués dans les réunions du groupe de travail du GFII sur le libre accès, et plus particulièrement lors du processus de co- construction du service d'information.

Dans le chapitre 5, nous présentons notre contribution au dispositif d'Héloïse, qui s'est manifestée dans un premier temps sous la forme d'une analyse des besoins des acteurs. Cette analyse nous a permis de faire un certain nombre de recommandations pour sensibiliser à la fois les éditeurs et les communautés scientifiques à la nécessité de mettre en place un dispositif français. Puis, par le biais d’une analyse fonctionnelle des services d’information similaires existants, nous avons pu proposer un certain nombre de recommandations pour le prototype français.

Dans le chapitre 6, nous cherchons à démontrer que le dispositif d'Héloïse, issu d'un processus de co-construction, peut être perçu comme un dispositif de confiance.

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Chapitre 4 : Un processus de co-construction marqué