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CHAPITRE 1 - COMMUNIQUER : UNE ACTIVITE ORIENTEE VERS AUTRUI

1.2 Les indices dédiés à l activité de communication

1.2.3 Les indices verbaux dans le dialogue tutoriel

Des champs de recherche divers s intéressent au dialogue tutoriel : de la psychologie de l apprentissage (Wynnikamen, 1998) à la psycholinguistique (Chi, 1997 ; Fox, 1993 ), de l ergonomie cognitive (Navarro, 2001) à l intelligence artificielle (Graesser, Person &

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Magliano, 1995 ; Wenger, 1987 ). En accord avec la la notion de contrat de communication (cf. encadré n.1), nous définissons le dialogue tutoriel comme une activité de communication où un tuteur, sans agir à la place d un apprenant (ce qui est connu comme effet Topaze ; Bruner, 1983), l assiste, le guide et le motive, afin que ce dernier construise des représentations cognitives correctes. Le dialogue tutoriel implique :

- de la part du tuteur, qu il observe l activité de l apprenant afin d en comprendre les difficultés et qu il décide le type d aide à lui offrir (Wenger, 1987)15;

- de la part de l apprenant, qu il comprenne l aide du tuteur et puisse l intégrer dans des représentations circonstancielles (Richard, 1990) pour construire des modèles mentaux corrects (Gentner & Stevens, 1983).

Comme toute activité de communication, le dialogue tutoriel comporte un processus de compréhension réciproque et un contenu co-construit par les participants lors de l interaction.

1.2.3.1 Les marqueurs dédiés au processus de compréhension réciproque

Nous décrivons les marqueurs utilisés par l apprenant (i-ii) et par le tuteur (iii-iv). i) Apprenant : Les marqueurs de vérification de compréhension

Afin de s assurer d avoir bien compris, l apprenant invite le tuteur à répéter son énoncé (e.g., « what ? », Fox, 1993 ; « pardon ? » Wynnikamen, 1998). D après Graesser & al. (1995), 54% des questions que l apprenant adresse au tuteur sont consacrées à obtenir une confirmation de compréhension de la part du tuteur.

ii) Apprenant : Les marqueurs de validation de compréhension

Les répliques courtes, les acquiescements et les régulateurs utilisés par l apprenant offrent au tuteur un indice sur le niveau de compréhension atteint par l apprenant (Chi,

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Concernant le tuteur, ces opérations cognitives sont à rapprocher d une part de l activité de diagnostic et d autre part de l activité d assistance. Le diagnostic, typique du domaine médical (Clancey, 1985 ; Sebillotte, 1984) et de la gestion des processus dynamiques (Hoc & Amalberti, 1994 ; Hoc, 1996), se compose de deux phases : une phase analytique, dans laquelle le sujet se doit d estimer les informations recueillies sur un processus en cours, et une phase synthétique, où le sujet se doit de produire des hypothèses relatives à l état de processus (Hoc, 1996). L assistance est typique des situations de communication où les participants ne possèdent ni le même vocabulaire ni les mêmes connaissances (Falzon, 1994).

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1997). Ils sont souvent produits par l apprenant pendant que le tuteur lui fournit une explication (Graesser & al., 1995).

iii) Tuteur : Les marqueurs de vérification de compréhension

Pour vérifier que l apprenant a compris, le tuteur utilise généralement des queues de phrases interrogatives (e.g., « this is the value of the normal function, isn t it ? » Fox,

1993) ou des questions fermées (e.g., « do you understand ? », Graesser & al., 1995). Person & Graesser (2003) montrent que, malgré l usage répandu, les marqueurs de vérification de compréhension ne permettent pas de vérifier le degré réel de compréhension des apprenants. Ils observent en fait que les apprenants qui répondent ne pas comprendre obtiennent de meilleurs scores (un résultat analogue est reporté par Chi, Bassok, Lewis, Reinmann & Glaser, 1989) et ils attribuent ce résultat à la capacité limitée des apprenants de juger eux-mêmes de leur propre compréhension (cf. Glenberg, Wilkinson & Epstein, 1982).

iv) Tuteur : Les marqueurs de validation de compréhension

Ces marqueurs, qui prennent surtout la forme d acquiescements, sont utilisés par le tuteur pour donner son accord à ce que l apprenant dit ou veut faire (Chi, 1997). Dans la littérature, la classification des acquiescements n est pas unanime. Par exemple, Brandle (1998), qui étudie les dialogues tutoriels dans l apprentissage de la chimie, propose une catégorisation de l acquiescement selon le critère de la polarité : l acquiescement à polarité positive (e.g. Apprenant = « CO augmente » (réponse correcte) Tuteur = « C est bien »), l acquiescement à polarité neutre (e.g., A : « CO

augmente » (réponse incomplète), T : « quoi d autre ? ») et à polarité négative (e.g., A :

« CO augmente (réponse négative), T : « c est faux »). Graesser & al. (1995) observent que, comme un nombre élevé d acquiescements négatifs pourrait inciter les apprenants à se décourager, les tuteurs produisent plutôt des acquiescements nuancés dans le cas d une fausse réponse.

1.2.3.2 Les actes de parole dédiés à la co-construction du contenu du dialogue

Nous décrivons d abord les actes de parole de l apprenant (i-ii) et ensuite les actes de parole généralement utilisés par le tuteur (iii-iv).

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i) Apprenant : Les actes de parole consacrés à demander de l aide au tuteur

* La question. Le tuteur peut comprendre les faiblesses et les besoins formatifs du novice en interprétant le contenu de ses questions. D après Graesser & Person (1994), l apprenant pose des questions car il n a aucune représentation (ou bien elle n est pas adéquate) de l état du problème (i.e., quoi faire ?), des modes d action (i.e., comment le faire ?) et de la nature des entités mises en uvre (i.e., une méthode ou une théorie ?). Pour Graesser & al. (1995), ces types de questions représentent 29% de la quantité globale des questions de l apprenant.

ii) Apprenant : Les actes de parole destinés à « apprendre »

* La question. Pour l apprenant, la question n est pas uniquement un moyen pour demander de l aide, mais aussi pour faire valider ses connaissances par le tuteur (e.g. « it is true

that I have in mind is correct ? ») ou pour faire vérifier le travail accompli (Graesser &

Person, 1994).

iii) Tuteur : Les actes de parole destinés à connaître les besoins de l apprenant

*La question. Le tuteur peut connaître les objectifs et les difficultés de l apprenant par

l intermédiaire de questions. Après que l apprenant lui a répondu, le tuteur interprète sa réponse pour émettre des hypothèses sur ses besoins formatifs, en d autres termes produire un diagnostic (Salembier, 1993). Par exemple, dans leur étude sur la nature de la question produite par le tuteur dans le domaine d apprentissage de la physique, Porayska-Pomsta, Mellish & Pain (2000) observent que le tuteur utilise la « question test » (e.g. « this button shifts colors, isn t it ? ») et surtout la « question fermée » (e.g. « do you know what PH is ? ») pour savoir ce que l apprenant connaît, ce qu il fait ou ce qu il a l intention de faire.

iv) Tuteur : Les actes de parole destinés à « faire apprendre »

Les recherches sur le dialogue tutoriel montrent que le tuteur utilise des actes de parole différents (Chi, Siler, Jeong, Yamauchi & Hausmann, 2001). Dans cette section, nous évoquons les actes les plus pertinents pour notre étude.

* L explication. Sur le plan de la linguistique, d après Cahour (1997) l explication implique un référent-cible (i.e. ce qu il faut expliquer), une relation explicative (i.e. la relation causale et modale) et le contenu de l explication. Bien que l explication soit souvent

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utilisée par le tuteur, son efficacité pour l apprentissage n est pas certaine. Par exemple, Chi & al. (2001), comparent le score d un test de vingt-deux étudiants impliqués dans l apprentissage des notions de physiologie humaine. Une moitié interagit avec un tuteur qui fournit des explications, l autre moitié est assistée par un tuteur qui ne peut pas donner d explication mais qui doit utiliser des phrases-indices, que les expérimentateurs ont précédemment choisies après une analyse préalable de corpus. Le score d apprentissage des novices est équivalent dans les deux conditions. Chi & al. (2001) suggèrent qu en condition « sans explications », le novice pose un nombre de questions et de tentatives d auto-explications16 plus important qu en condition « avec explications ». En d autres termes, en condition « sans explication » l apprenant produit surtout des actes de parole consacrés à la co-construction du contenu du dialogue (« that make a substantive contribution with respect to the content », Chi & al., 2001 : 482). En revanche, en condition « avec explications », l apprenant produit un nombre de marqueurs consacrés au processus (régulateurs et répliques courtes) plus important qu en condition « sans explications », montrant ainsi que sa contribution se focalise sur le processus d intercompréhension.

* L allusion. L allusion est une manière de réveiller une idée dans l esprit de l interlocuteur sans l exprimer de manière directe. Pour Chi & al. (2001), l allusion favorise l apport constructif au dialogue. D après Horaek & Fiedler (2001), le tuteur privilégie l allusion : a) lorsqu il veut suggérer à l apprenant comment cerner le problème ; b) après que l apprenant a donné une réponse fausse (plutôt que le corriger ou lui donner une évaluation négative de sa réponse).

* La question. Le tuteur ne pose pas de questions seulement pour connaître les besoins de l apprenant mais aussi pour favoriser son apprentissage. Person & Graesser (2003) observent que : a) plus la question du tuteur est profonde et articulée, plus l apprenant produit une réponse détaillée et cohérente, montrant ainsi son niveau de

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L auto-explication est une explication que l apprenant propose sans que le tuteur lui demande de manière directe de préciser les relations causales ou modales entre des phénomènes (Chi & al.,1989).

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compréhension17 ; b) lorsque le tuteur pose une question indirecte à la suite d une question de l apprenant, l apprenant construit la réponse au problème par lui-même (Di Paolo, Graesser, Hacker & White, 2002 ; Hume, Michael, Rovick & Evens, 1993 ; Porayska & al., 2000).

* La correction. Le tuteur utilise la correction pour signaler à l apprenant l erreur commise (Di Paolo & al., 2002) et pour lui fournir des indications sur la procédure à suivre pour obtenir la solution correcte (Hume & al., 1993). Pour cela, la correction ne permet pas à l apprenant de prendre pleinement conscience de son erreur, car il se limite à appliquer les instructions sans modifier les fausses conceptions responsables de son erreur (VanLehn, Siler, Murray & Bagget, 2003).

* La motivation. D après Lepper, Woolverton, Mumme, & Gurtner (1993), les composants émotionnels et motivationnels occupent une place fondamentale dans l interaction tutorielle. Le tuteur est censé donner à l apprenant de la confiance en ses moyens, provoquer en lui de la curiosité et de l intérêt pour l apprentissage. La motivation se concrétise ainsi par des formes linguistiques d encouragement et de soutien au travail de l apprenant.

Synthèse

La communication humaine est multimodale, car elle s appuie sur des indices différents, perçus et produits en même temps par les interlocuteurs. Les indices non-verbaux interviennent surtout dans la régulation du processus de compréhension réciproque (alternance et temps de parole) et peuvent aider aussi la construction du contenu. On pourrait donc supposer que lorsque les locuteurs ne peuvent plus disposer des indices non-verbaux (i.e., condition de communication audio-seul), la qualité de l interaction se dégrade. En revanche, comme nous le verrons au chapitre 2 et 3, en situation de communication médiatisée les

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Chi & al. (2001) observent que plus la question du tuteur est profonde, plus la réponse de l apprenant l est. En effet, ils trouvent une corrélation positive entre le gain d apprentissage des apprenants et le niveau de profondeur de leurs réponses. Les réponses des sujets sont classées selon deux niveaux : un niveau de surface, où l apprenant répond à une question sur la définition d une notion

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caractéristiques du dispositif de communication ne permettent que la perception simultanée d un nombre limité d indices non-verbaux : cela limite la propriété multimodale de la communication et structure différemment l interaction dialogique entre les partenaires distants.

Les indices verbaux participent au processus d intercompréhension et sont responsables de la co-construction du contenu du dialogue. Nous avons décrit les indices verbaux utilisés par le tuteur et par l apprenant dans le dialogue tutoriel. Pour comprendre les besoins de l apprenant, le tuteur a besoin d informations à partir desquelles il peut inférer le type d aide à fournir à l apprenant. Si on considère l asymétrie des compétences dans la situation tutorielle, le type de contribution de l apprenant reflète le contrôle que le tuteur exerce sur l interaction. Dans ce sens, certains indices produits par le tuteur ne permettent à l apprenant que de contribuer au processus (e.g. explication, question fermée, correction), alors que d autres lui donnent la possibilité d enrichir le contenu (e.g. allusion, question ouverte). Cependant, nous ne pouvons pas généraliser cette considération, car les études citées concernent surtout l apprentissage de connaissances déclaratives (i.e., notions de physiologie humaine, physique) et non l apprentissage de connaissances procédurales.

Conclusion

L activité de communication implique une action sur autrui ainsi qu une interaction

avec autrui. Les modèles ostensifs-inférentiels et coopératif suggèrent que cette activité

consiste à interpréter et produire des indices de communication dans une logique de coopération, c est-à-dire que les locuteurs co-construisent leur interaction, en choisissant, modifiant et reformulant leurs énoncés jusqu à atteindre un niveau de compréhension satisfaisant. Cette co-construction est influencée par les représentations que chaque locuteur se fait de l enjeu de la situation, des compétences et de l identité de son partenaire, et elle est construite sur les indices de communication disponibles. Par exemple, en situation de communication audio à distance, les locuteurs ne disposent que des indices verbaux et

et un niveau profond, où l apprenant répond à une question exigeant des connexions de type logico-causale.

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verbaux, alors qu en situation de face à face, les indices non-verbaux sont disponibles (cf. Clark & Brennan, 1991).

Pour mieux comprendre la fonction de ces indices, nous nous sommes appuyés sur une situation de communication précise, le dialogue tutoriel. Notre domaine de recherche étant la communication médiatisée synchrone, nous devons nous interroger sur les fonctions des indices verbaux et non-verbaux en situation distale : Comment co-construisent-ils le processus

et le contenu de leur interaction ? Faut-il se voir pour se comprendre ?

Lorsque les partenaires sont délocalisés, ils communiquent par l intermédiaire de dispositifs dédiés à la transmission du signal audio et vidéo. Chaque dispositif véhicule des indices communicationnels, à savoir les indices verbaux et non-verbaux : certains dispositifs ne transmettent que les indices verbaux (e.g., le téléphone, la communication radio), alors que d autres véhiculent aussi les indices non-verbaux (e.g. audio-vidéo conférence, vidéo-téléphone).

Dans les chapitres suivants, nous voulons comprendre le rôle des indices non-verbaux sur les activités de communication à distance. Notamment, dans le chapitre 2 nous abordons les recherches concernant l image-vidéo du partenaire distant, qui véhicule les indices non-verbaux kinésiques ; le chapitre 3 est dédié à l image-vidéo de l espace de travail du

partenaire distant, véhiculant les indices non-verbaux ostensifs-inférentiels. A la suite de ces

deux chapitres, nous avançons des hypothèses de recherche relatives à l impact de l image-vidéo sur l interaction tutorielle à distance.