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Les groupes ethniques et les minorités nationales ·····················

Chapitre 1. La notion de minzu, la question terminologique et l’histoire concep-

1.1. Le nationalisme de quelle nation ?········································ ·········

1.1.2. Les groupes ethniques et les minorités nationales ·····················

Bien des mouvements nationalistes, initiés par les groupes sous-étatiques revendiquent le droit à l’autodétermination voire à devenir un État-nation séparé des États bien dé- mocratiques et bien libéraux. Cela indique que le projet de nation-building, sous l’égide de l’idée « un État, une nation », n’a pas atteint le but des protagonistes qui visaient l’intégration sociale ou la stabilité politique. Le respect des lois étatiques et le partage des pratiques libérales des citoyens n’équivalent pas forcément à leur loyauté envers l’État existant. Il y a des liens psychologiques et émotionnels intangibles chez l’être humain qui unissent et différencient les peuples. Dès la naissance, on est marqué par une identité collective basée sur et marquée par les croyances et les pratiques culturelles telles que la langue, l’histoire, l’ancêtre, la religion, la coutume, etc. Ces « attachements primordiaux »77 qui dérivent d’un sentiment naturel permettent à un individu de poser son identité par rapport à autrui. Le clivage entre « nous » et « eux » marqué par l’eth- nicité ou les caractéristiques culturelles est tellement enraciné dans l’esprit humain qu’il est vraiment difficile de les déraciner. Les valeurs que nous gardons à l’esprit dépassent l’universalité des sentiments simplement parce qu’ils sont les nôtres78. Toutefois, dire que l’ancrage de l’identité ethnique est un a priori qui contraint les individus, ce n’est pas nier que l’ethnicité puisse s’exacerber, s’atténuer ou se modérer en concurrence avec d’autres identités sociales ou bâties par d’autres forces. L’ethnicité qui fait partie de la conception d’une nation explique le désir profond et probablement indéracinable

77 Clifford G

EERTZ, «The Integrative Revolution: Primordial Sentiments and Civil Politics in the New States» dans Old societies and new States: the quest for modernity in Asia and Africa, New York, Free Press of Glencoe,

1963, p.105-156

78 Isaiah B

de certains groupes de se distinguer, ayant été volontairement ou involontairement in- tégrés par d’autres groupes. On cherche ainsi à acquérir une reconnaissance de son identité ou une autonomie comme société distincte. Et c’est pour cela qu’on lutte.

Si l’ethnie constitue un facteur véritable de la conception d’une nation, un groupe eth- nique ne se formera en nation qu’au moment où la conscience nationale et la particula- rité politique existeront. Pour Max Weber, les groupes ethniques sont des « groupes humains qui nourrissent une croyance subjective à une communauté d’origine fondés sur des similitudes de l’habitus extérieur ou des mœurs, ou des deux, ou sur des souve- nirs de la colonisation ou de la migration, de sorte que cette croyance devienne impor- tante pour la propagation de la communalisation - peu importe qu’une communauté de sang existe objectivement »79. Selon Anthony Smith, les groupes ethniques sont « une population ayant des mythes ancestraux partagés, des histoires et des cultures, associées à un territoire spécifique et à un sentiment de solidarité »80. Que ce soit une approche constructiviste ou primordialiste, par rapport à la nation, un groupe ethnique est plus caractérisé par les apparences identifiées par les observateurs extérieurs. La seule ca- ractéristique ethnique, toutefois, n’est pas suffisante pour produire une nation. La na- tion, selon Connor, est réservée aux groupes ethniques qui ont pris conscience de leur identité, qui ont développé une conscience de leurs différenciations et de leurs réalités institutionnelles.

[…] until the members are themselves aware of the group’s uniqueness, it is merely an ethnic group and not a nation. While an ethnic group may, there- fore, be other-defined, a nation must be self-defined.81(italiques originaux)

79 Max W

EBER, Économie et société, Paris, Pocket, 1995, p.130 80 A.D. S

MITH, préc., note 66, p.32 81 Walker C

ONNOR, Ethnonationalism: the quest for understanding, Princeton, N.J., Princeton University Press, 1994,

[…] jusqu’à ce que les membres soient eux-mêmes conscients de la particu- larité de leur propre groupe, celui-ci est simplement un groupe ethnique et non une nation. Alors qu’un groupe ethnique peut ainsi être défini par l’au- trui, une nation doit être définie par elle-même.

Il y a donc un moment-clé, souvent accompagné d’une invasion ou d’une répression brutale menaçant l’existence d’un ou plusieurs attributs, où le groupe prend conscience de sa réalité nationale. « La véritable naissance d’une nation, c’est le moment où une poignée d’individus déclare qu’elle existe et qu’elle entreprend de le prouver »82.

L’absence de cette conscience nationale permet à un groupe ethnique de choisir de par- tager une même histoire, une mémoire collective et des coutumes avec d’autres groupes ethniques sur un même territoire, tout en se soumettant à une citoyenneté commune ou à un ensemble de valeurs civiques ou institutionnelles. Ils peuvent ainsi s’entendre pour former un État polyethnique, ce qui est le cas des États-Unis. Par ailleurs, un groupe ethnique dont la conscience nationale a déjà été éveillée est susceptible de réclamer les droits à l’autodétermination sur son territoire ou de demander la formation d’un État- nation séparé. Le cas des Québécois, des Écossais, et des Catalans en sont quelques exemples. Ces groupes-là, « plus un moins institutionnalisés et occupant un territoire déterminé ou une terre natale, partageant une langue et une culture distinctes [...] nu- mériquement moins importantes, et souhaitant se maintenir comme sociétés distinctes [...] afin d’assurer leur survie »83 forment des « minorités nationales ». Un pays qui contient plus qu’un tel groupe n’est alors pas un État-nation, mais un État multinational

82 Anne-Marie T

HIESSE, La création des identités nationales : Europe XVIIIe-XXe siècle, Paris, Seuil, 1999, p.11 83 Will K

YMLICKA, La citoyenneté multiculturelle : une théorie libérale du droit des minorités, Montréal, Boréal,

ou bien un État-nations.

Dans le cas de la Chine, en vertu de ces critères mentionnés plus haut, tous les cin- quante-six minzu officiellement reconnus par le gouvernement central sont donc des groupes ethniques, notamment les Tibétains au Tibet, les Ouïgours à Xinjiang et les Mongols en Mongolie-Intérieure. Ce sont aussi par ailleurs, d’évidentes minorités na- tionales. Il faut remarquer que, contrairement aux groupes ethniques examinés par Kymlicka – qui fonde sa théorie sur la réalité démographique du Canada et des États- Unis, à savoir des pays d’immigration, – les immigrants eux-mêmes « souhaitent s’in- tégrer à la société dans son ensemble et être acceptés comme membres à part entière ». Leur « objectif n’est pas de devenir une nation séparée et autonome »84. Si la Chine n’est pas considérée comme un pays d’accueil des immigrants, les groupes ethniques minoritaires autres que les Tibétains, les Ouïgours et les Mongoles en Chine, eux, sont indigènes depuis de milliers d’années. Ils sont dotés d’un statut tout à fait pareil aux trois autres susmentionés, mais en appellation seulement ; on les appelle les « shaoshu minzu » (少数民族) qui peut littéralement être traduit en français par le terme « minzu minoritaires ».