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Les formes et les manifestations de violence

2.3 La violence entre partenaires chez les hommes gais

2.3.3 Les formes et les manifestations de violence

Les formes et les manifestations de violence entre partenaires masculins seraient comparables à celles associées à la violence dans les couples hétérosexuels (Bunge, 2000; Elliot, 1996; Stanley, Bartholomew, Taylor, Oram & Landolt, 2006;

Thibault, 2001). Elles se révèlent sous six formes différentes, soit la violence

psychologique, la violence verbale, la violence physique, la violence sexuelle, la violence économique et, finalement, la violence à caractère homophobe (Cesaretti, 2010a, 2010b; Kirkland, 2004; Thibault & Damant; 2002). Cette section dresse un portrait de chaque forme de violence.

2.3.3.1 Violences psychologique et verbale

La violence psychologique réfère aux attitudes méprisantes adoptées par l’agresseur afin de dévaloriser, intimider et dénigrer sa victime. Cette dernière aura alors une faible estime de soi et un manque de confiance en ses capacités. La violence psychologique se traduit également par un processus d’isolement imposé par l’agresseur, lequel est souvent motivé par la jalousie. Selon Frankland et Brown (2014), le rapport de domination entre les partenaires gais s’installe insidieusement, généralement à partir d’une prise de contrôle sur le plan psychologique. La violence psychologique serait la forme de violence conjugale la plus fréquente (Henderson, 2003; Thibault & Damant, 2002). L’étude de Bartholomew et ses collaborateurs (2008) abonde dans le même sens, puisque la grande majorité de leurs 284 participants rapportent avoir vécu de la violence psychologique. La violence verbale découle de la violence psychologique et correspond aux sarcasmes, insultes, hurlements et propos dégradants que l’agresseur utilisera pour créer un sentiment d’insécurité chez la victime.

2.3.3.2 Violence physique

La violence physique correspond aux coups, blessures, brûlures ou morsures perpétrés par le conjoint ayant des comportements violents. Elle va même jusqu’à l’homicide conjugal. Certains chercheurs estiment que la gravité et la fréquence

des blessures perpétrées par les agresseurs sont plus importantes chez les couples d’hommes gais, comparativement aux couples hétérosexuels ou lesbiens (Waldner-Haugrud, Vaden Gratch & Magruder, 1997). Bien qu’étant la manifestation de violence la plus visible et la plus facile à dépister, Thibault (2001) rappelle que les mauvais traitements physiques sont rarement la première forme de violence à survenir dans le cadre d’une relation abusive. Néanmoins, les blessures physiques graves sont souvent le déclencheur menant les victimes à la prise de conscience de la présence de violence dans leur relation et à la demande d’aide.

2.3.3.3 Violence sexuelle

La violence sexuelle est une atteinte à l’intégrité de la personne. Il peut s’agir d’agressions ou de pratiques sexuelles non consenties. Le viol en contexte conjugal est aussi une manifestation de cette forme de violence. Elle s’inscrit habituellement dans un contexte où la domination verbale et émotionnelle est déjà présente (Waterman, Dawson & Bologna, 1989). Thibault et Damant (2002) observent que les manifestations de violence sexuelle, par exemple le fait de ressentir de la pression de la part du conjoint à exécuter des pratiques sexuelles contre son gré ou être tenu responsable de l'insatisfaction sexuelle du conjoint, ne sont souvent pas identifiées comme telles par les hommes gais. Ces derniers expliquent clairement avoir vécu de telles pressions, mais ne les associent pas nécessairement à la violence sexuelle.

2.3.3.4 Violence économique

La violence économique réfère aux activités financières surveillées ou contrôlées par le conjoint ayant des comportements violents, ou aux demandes de dépenses de sa part qui dépassent les moyens du couple ou de son partenaire qui pourvoit aux besoins du couple, ce qui met une pression financière très forte sur le conjoint victime de violence qui endosse le rôle de pourvoyeur. L’un des hommes rencontrés dans l’étude de Thibault (2001) a confié que son conjoint était l’unique propriétaire de la maison et de tous les biens matériels du couple, bien que les deux partenaires aient contribué également à leur achat. Qui plus est, il devait lui verser son salaire dans un compte bancaire duquel il n’avait pas le contrôle. La violence économique est peu mentionnée dans la littérature scientifique au sujet des hommes gais, contrairement aux études consacrées aux lesbiennes ou aux femmes hétérosexuelles. Cette lacune peut être en partie attribuable au préjugé favorable voulant que les hommes soient financièrement indépendants et bien intégrés sur le marché du travail, contrairement aux femmes qui occupent des emplois précaires et moins bien rémunérés (Thibault, 2001).

2.3.3.5 Violence à caractère homophobe

La violence à caractère homophobe est une autre forme de violence vécue entre partenaires de même sexe. Island et Letellier (1991) soutiennent que certaines particularités associées à la violence chez les gais doivent être considérées, telle la menace du dévoilement de l’orientation sexuelle. Certains chercheurs font des liens entre la violence vécue dans les couples de même sexe et le degré selon lequel l’orientation sexuelle des partenaires est dévoilée ou non (Cruz & Firestone, 1998; Renzetti & Miley, 1996). La menace de révéler l’orientation sexuelle du

conjoint sans son consentement, communément appelée outing, revêt alors une importance particulière puisqu’elle comporte des risques pour une personne homosexuelle qui n’affiche pas son orientation dans certaines sphères de sa vie.

Cette forme d’intimidation exacerbe l’isolement des victimes et contribue de façon importante à les maintenir sous le joug de leur agresseur (Elliot, 1996).

Plusieurs hommes rencontrés dans l’étude de Thibault (2001) indiquent avoir été la cible de propos homophobes (p. ex. : « tapette », « moumoune ») de la part de leur partenaire par rapport à leur personnalité perçue comme efféminée (expression, attitude, habillement, intérêts personnels) ou leur désintérêt envers certaines activités sportives jugées « masculines » telles que le hockey ou le football. L’usage d’insultes à connotation homophobe a aussi été relevé dans d’autres études (Bunker Rohrbaugh, 2006; Chan, 2005; Kay & Jeffries, 2010). Cette forme de violence verbale et psychologique entre partenaires de même sexe découlerait de l’homophobie intériorisée ressentie et vécue par l’un ou les deux membres du couple. D’autres exemples de violences à caractère homophobe sont également cités par les mêmes chercheurs : nier ou ne pas reconnaître publiquement la relation, ainsi que restreindre ou contrôler la participation de son partenaire à des activités de la communauté gaie, ce qui a un impact certain chez la victime sur son sentiment d’identification et d’appartenance à la communauté.

2.3.3.6 Intersection des formes de violences et d’oppressions

L’intersection des formes de violences et d’oppressions vécues par les hommes gais membres d’une communauté ethnoculturelle est considérée dans diverses recherches sur la violence entre partenaires masculins, soulignant la double stigmatisation basée sur l’orientation sexuelle et l’origine ethnique à laquelle sont confrontés ces hommes (Madera & Toro-Alfonso, 2005; Peralta & Ross, 2009;

Poon, 2000). Outre les difficultés d’accès aux services sociaux et de santé pour les victimes homosexuelles racisées ou immigrantes, la violence conjugale dans les couples gais mixtes se révèle de différentes façons. Les agresseurs peuvent par exemple confisquer le passeport ou les pièces d’identité de leur conjoint réfugié ou le menacer de rompre l’entente de parrainage qui les unit, ce qui exacerbe le sentiment de dépendance et l’isolement de la victime. Demander de l’aide s’avère aussi très délicat, puisque les victimes peuvent craindre les répercussions négatives associées à de multiples dévoilements, tant les réactions homophobes des membres de leurs diasporas que les attitudes empreintes de racisme au sein des communautés LGBT de leur pays d’accueil.

D’autres études ont quant à elles exploré l’expérience des hommes gais au prisme de l’infection au VIH/sida et de la sérophobie (Craft & Serovich, 2005; Heintz &

Melendez, 2006; Stall, Mills, Williamson, Greenwood, Paul, Pollack, Binson, Osmond & Catania, 2003). Il ressort de ces recherches que les personnes vivant avec le VIH/sida rapportent davantage de violence dans les relations intimes que les hommes gais séronégatifs. À l’instar de la menace de dévoilement forcé de l’homosexualité mentionnée plus tôt, les agresseurs en couple sérodifférents peuvent brandir une telle menace par rapport au statut sérologique de leur partenaire. D’autres confisquent les médicaments de leur conjoint séropositif dans le but de prendre en charge son traitement sans son consentement, ce qui constitue un levier supplémentaire de contrôle et de manipulation.