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Les fichiers de renseignements

SECTION 1 : UNE ALIMENTATION BASEE SUR LA SUSPICION

D. Les fichiers de renseignements

La dernière catégorie de fichiers à examiner concerne les fichiers de renseignements. Parmi eux, les fichiers couverts par le secret-défense sont évidemment plus difficile à analyser du fait de la non-publication des décrets en Conseil d’Etat qui en sont à l’origine.

Le fichier CRISTINA (Centralisation du Renseignement Intérieur pour la Sécurité du

Territoire et les Intérêts Nationaux) est le fichier de la DCRI, nouvelle Direction Centrale du Renseignement Intérieur depuis la réforme de 2008, qui a institué un service de

renseignement unique. Ce fichier de souveraineté ne prévoit aucune durée de conservation et les circonstances de son alimentation sont inconnues. Cependant, les principes posés par la loi de 1978 quant au respect de la finalité et de la proportionnalité des mesures doivent être obligatoirement respectés. Dès lors, les circonstances sont présumées commandées par l’intérêt qu’elles présentent au regard de la sûreté de l’État et de la sécurité nationale. La légitimité ne peut être que présumée en l’espèce.

Le GESTEREX est un autre fichier secret-défense à la finalité plus étroite car il a été mis en place pour le travail d’une sous-section de la Direction du Renseignement de la Préfecture de Police (DR-PP) qui est chargée de la lutte contre le terrorisme et les extrémismes à

potentialité violente. Le principe de la conservation d’une donnée en stricte adéquation avec la finalité du fichier conduit à présumer le bien-fondé du fichier.

Au soutien de ces présomptions de validité, il s’agit de préciser que, malgré le poids du secret-défense, ces fichiers sont soumis au droit d’accès et de rectification garanti à chaque citoyen et réalisé par le biais de la CNIL88. Cette éventualité pèserait nécessairement sur le respect des principes et de la finalité des fichiers.

En dehors des fichiers classés confidentiels, d’autres traitements rendus officiels servent au renseignement et à la surveillance du territoire.

Ces traitements permettent d’enrichir les enquêtes par le recoupement d’informations, notamment relatives aux habitudes des délinquants, à leur environnement, ou aux modes opératoires constatés.

49 Le Fichier des Brigades Spécialisées (FBS) et le Fichier de Travail de la Police Judiciaire (FTPJ) sont deux fichiers créés respectivement en 1991 et 1987 par les services de police sans autorisation légale. Leur commune finalité tient au recensement de toute information

recueillie à l’occasion de la surveillance du territoire dans le cadre de la lutte contre la grande délinquance et le crime organisé ; l’un permettant des échanges entre services spécialisés et l’autre non. En dehors de l’absence de légalité de ces fichiers, mis en avant comme simples fichiers de travail pour remédier à la critique89, les données collectées ainsi que la durée de conservation ne sont pas spécifiquement déterminées. La seule garantie tient une nouvelle fois au respect des principes légaux dont la proportionnalité, unique guide du comportement des policiers. Il peut apparaître illégitime que de tels fichiers, soit disant officialisés, ne rendent pas compte plus précisément des données enregistrées et des circonstances justifiant leur alimentation. On ne peut que souhaiter leur obsolescence constatée par les spécialistes. Enfin, leurs défauts transparaissent d’autant plus face à un autre traitement, le logiciel

SALVAC, encadré par la loi90 et à la finalité précise, tenant au rapprochement des procédures judiciaires pour lutter contre la criminalité sérielle. Un service spécialisé alimente le fichier à partir des informations issues de la constatation d’infractions complexes, pour lesquelles aucun mobile n’est apparent ou mettant à jour un mode opératoire particulier. Les précisions données sur les hypothèses d’enregistrement et la finalité claire du fichier mettent sa

légitimité en lumière par rapport aux fichiers précédents.

Pour finir, le renseignement s’appuie sur un dernier fichier de police davantage controversé. Le fichier EDVIRSP a connu de nombreuses péripéties et sa création a attiré l’attention de l’opinion publique suite à la médiatisation du fichier EDVIGE initialement envisagé.

A l’origine, il était prévu de ficher les personnes ayant sollicité, exercé ou exerçant un mandat, ou jouant « un rôle institutionnel, économique, social ou religieux », ainsi que celles dont l’activité individuelle ou collective est susceptible de troubler l’ordre public. De plus, EDVIGE devait contenir des données très sensibles et prévoyait le fichage des mineurs de treize ans. De nombreuses critiques se sont élevées de la part des citoyens émus de ce fichage généralisé et reposant sur des circonstances très floues. L’arbitraire des conditions

89 Op. cit. Rapp. Bauer 2009

50 d’enregistrement a fortement mobilisé les associations telles la Ligue des droits de l’homme ou encore le syndicat de la magistrature qui ont signé la pétition « Non à Edvige »91.

Aujourd’hui, le fichier EDVIRSP tente de s’écarter des critiques par un double renoncement au critère du « trouble à l’ordre public » et au fichage des personnalités sur la base d’un mandat ou de son rôle public (mais les préfectures prennent le relais par l’institution d’un répertoire des personnalités) en faveur du fichage des personnes dont « l’activité » indique qu’elles peuvent porter atteinte à la « sécurité publique ». Les circonstances justifiant l’élargissement du fichier semblent de ce fait plus objectives, c’est en tout cas ce que

défendent les partisans d’EDVIRSP qui définissent la sécurité publique comme l’absence de périls pour la vie, la liberté ou le droit de propriété des individus. Cette notion apparaît à ce titre plus restrictive que le simple trouble à l’ordre public92

.

Dans un sens opposé, le fait est que ficher des personnes en raison de leur activité, qui

semblerait indiquer un danger pour la société, inquiète et peut donner l’impression d’ouvrir la voie à l’arbitraire des policiers. En effet, les circonstances manquent de précision et les

critères influençant les agents publics peuvent tout à fait relever de l’apparence, des vêtements ou d’autres indices à tendance discriminatoire. Dans cette perspective, certains perçoivent la survenance du « règne du soupçon » dans la création de fichiers de renseignement aussi larges qu’Edvige93

.

Le recul s’imposant face au ressenti politique, il peut être admis que la lutte contre la

criminalité exige une information précise sur les risques et les menaces pesant sur la sécurité, pour permettre la surveillance et la prévention des infractions. A ce titre, on peut avancer que ces données n’ont pas vocation à être utilisées pour le prononcé de la condamnation mais servent uniquement le travail de prévention. Dès lors, pour ce qui est des circonstances à l’origine de l’alimentation du fichier, le caractère restreint de la finalité judiciaire tendrait à justifier leur proportionnalité. Encore verra-t-on plus loin que l’efficacité de ces fichiers ne fait pas l’unanimité.

91 Consultable sur internet, http://www.nonaedvige.sgdg.org 92

« Les fichiers du type Edvirsp sont-ils attentatoires aux libertés », entretien avec Christophe Soullez, in Regards sur l’actualité, mars 2009

93

« Contre le fichier Edvirsp et le règne du soupçon », entretien avec J.P. Dubois, Président de la Ligue des Droits de l’Homme, revue Regards sur l’actualité, mars 2009

51

§ 2 Quant aux personnes enregistrées :

Deux catégories de personnes exigent une attention toute particulière quant au fichage dont elles peuvent faire l’objet, du fait de leur vulnérabilité dont on ne doit point abuser : les étrangers (A) et les mineurs (B).