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Des fichiers d’identification aux dérives inavouables

POLICE POUR UN SERVICE LOYAL DE LA PROCEDURE PENALE

SECTION 1 : LE CONSTAT DE DERIVES

B. Des fichiers d’identification aux dérives inavouables

Ces initiatives déloyales ne concernent pas seulement le STIC mais aussi les autres fichiers et notamment le FNAEG. Alors que le patrimoine génétique doit être strictement protégé si l’on ne veut dériver vers un état totalitaire digne de la science-fiction, les agents de la police nationale sont tentés, et sont récemment passé à l’action, de contourner les règles relatives à la consultation du FNAEG. Ces abus sont inavouables car ils font honte dans un Etat de droit égalitaire et doivent donc être en principe fermement proscrits, en réalité ils ne sont pas toujours reconnus comme tels.

Au stade de la simple tentation, une première dérive consiste à déterminer les caractères physiques ou l’origine ethno-géographique d’une personne à partir des résultats d’analyse de son ADN. Cette dérive n’est pas une fiction mais bien une réalité, qui plus est constatée par le Garde des Sceaux lui-même dans une circulaire adressée aux procureurs généraux près les cours d’appel189.

Le délégué aux fonctions du ministre dénonce cette proposition faite à des magistrats et officiers de police judiciaire d’identifier de telles informations à partir d’un ADN non

identifié, recueilli sur la scène d’une infraction pénale. S’appuyant sur le principe de la liberté de la preuve, les défenseurs du procédé soutenaient que leur proposition concourait à la manifestation de la vérité mais la circulaire s’y oppose. De fait, cette méthode ne vise pas l’identification d’une personne comme le prévoit la loi pour le FNAEG mais l’examen des caractéristiques génétiques d’un individu, prohibé par l’article 16-10 hors la poursuite de finalités strictement médicales ou scientifiques. Cela relève même d’une infraction pénale prévue à l’article 226-25 du code pénal. Par conséquent, cette réaction à des intentions illicite rassure et tente de protéger le respect des prévisions légales. Le Conseil constitutionnel avait par ailleurs prévu cette dérive dans sa décision du 16 septembre 2010, suite à une question prioritaire de constitutionnalité relative au FNAEG, en précisant que « la disposition contestée

188 « Obtenir la fiche Stic d’un rappeur, mode d’emploi », Nouvel Observateur, le 4 janvier 2013, par Elena

Brunet

189

103 n’autorise pas l’examen des caractéristiques génétiques des personnes […] mais seulement leur identification », ainsi est-elle conforme à la Constitution190.

La vigilance doit donc l’emporter sur l’utilisation illimitée des nouvelles technologies au sein de la procédure pénale.

La seconde initiative contestable, mais quant à elle réalisée, correspond à une technique utilisée pour la première fois en 2011 dans l’affaire du viol et du meurtre de « la banquière de Péronne » agressée en 2002.

L’idée est alors d’une « familial search », recherche familiale de l’ADN, qui consiste non plus à rechercher l’identité de celui dont l’empreinte a été relevée sur le lieu de l’infraction mais à identifier la présence d’un de ses parents dans la base de données. Ce procédé est rendu possible grâce à une composante « familiale » de l’identité génétique correspondant à un allèle paternel et un allèle maternel que chaque enfant possède et qui correspond à la

transmission d’une part de l’identité génétique de ses parents. A partir de ce parent, il ne reste plus qu’à comparer l’empreinte relevée et les ADN des membres de la famille, frères et sœurs compris. Ce procédé existait déjà en matière civile, en cas de catastrophes telles le crash du Concorde ou l’incendie sous le Mont Blanc, pour identifier avec certitude les victimes mais en aucun cas le FNAEG n’intervenait. Si le feu vert a été donné par la chancellerie au moment des faits, la loi ne prévoit pas cette hypothèse de sorte que le débat oppose ceux pour qui le vide juridique est signe de permission et ceux dénonçant un procédé illicite.

Le point certain tient au danger des conséquences d’une telle technique, élargissant

considérablement le nombre des personnes fichées, de deux millions d’individus on passerait à cinq si l’on considère le taux moyen de natalité de deux enfants par couple191

. La maîtrise des informations stockées dans le FNAEG semble en tout cas fragilisée.

Aux dires de la magistrate Evelyne Sire-Marin, le «familial search» est «un détournement total de procédure», elle rappelle que « La Cour européenne des droits de l'Homme a condamné la Grande-Bretagne pour ses fichiers trop larges. Je serai curieuse de savoir ce qu'elle dirait dans ce cas.»192

Colosse aux pieds d’argile, on peut effectivement douter de la licéité de cette consultation du FNAEG pour diverses raisons.

190 Cons. Constit. QPC n° 2010-25 du 16 septembre 2010 191

Pierre Alonso « L'ADN d'un Français sur six est fiché », Article de Slate du 20 février 2013

192

Vice-présidente du TGI de Paris, auteur d’un chapitre sur le fichage dans l’ouvrage Contre l’arbitraire du pouvoir, Ed. La fabrique, 2012.

104 En premier lieu, l’hypothèse soutenue par Mme Sire-Martin d’une possible condamnation par la Cour européenne peut être renforcée si l’on songe à son exigence éminente de

prévisibilité193 dans les atteintes aux droits. En l’espèce, le procédé a été appliqué de manière tout à fait novatrice en 2011 et il n’y a toujours pas de loi ni de jurisprudence reconnaissant cette technique, l’argument pourrait peser dans la balance. Cependant la nuance doit être de mise car cette exigence s’applique aux peines, en vertu de l’article 7 de la Convention

européenne des droits de l’homme, ce que n’est pas le fichage de l’ADN. Il reste que l’article 8 relatif à la vie privée exige que toute ingérence soit non seulement nécessaire et

proportionnée mais avant tout prévue par la loi.

En outre, on peut s’interroger sur le respect du consentement, ici biaisé puisque l’on se contente du consentement d’un membre de la famille pour atteindre le patrimoine génétique d’une personne qui n’en est pas informée. Il convient de rappeler à ce titre que l’article 706- 56 CPP en son alinéa 5 prévoit la possibilité d’un prélèvement sans l’accord de la personne sur réquisitions écrites du procureur de la République pour les cas de crime ou de délit puni de plus de dix ans d’emprisonnement. Le consentement présidant le cadre juridique du

prélèvement ADN serait donc totalement bafoué pour les autres cas mais pas en l’espèce.

Enfin, la force du principe de légalité va à l’encontre de ce type de contournement s’appuyant sur un soit disant « vide juridique ». A l’instar de la citation de Lacordaire selon qui « C’est la liberté qui opprime, la loi qui affranchit », l’intervention d’une loi pour encadrer le FNAEG prouve la sensibilité du fichier et l’indispensable autorisation parlementaire pour empiéter sur le principe du respect de la vie privée et des libertés individuelles. Nous ne pouvons accepter l’argument d’un vide juridique alors que le principe tient à l’interdiction générale de violer les droits fondamentaux sans autorisation légale. Faut-il rappeler les conseils de Portalis selon qui « L’office de la loi est de fixer, par de grandes vues, les maximes générales du droit ; d’établir des principes féconds en conséquences, et non de descendre dans le détail des questions qui peuvent naître sur chaque matière. »194

193 Arrêts CEDH Cantoni c/ France 15 novembre 1996 requête n°17862/91 et Soros c/ France du 6 octobre 2011,

requête n°50425/06

194

Discours préliminaire sur le projet de code civil, Jean-Etienne-Marie PORTALIS, présenté le 1er pluviôse an IX

105 Le législateur ne peut, ni ne doit, prévoir toutes les entraves et dérives possibles à des

prescriptions légales. Ce serait là un travail dangereux car autorisant les autres dérives mais surtout impossible face à l’infinitude de l’imagination humaine.

Dès lors, l’atteinte aux droits fondamentaux, puisque c’est cela dont il s’agit lorsqu’on élargit le champ d’application du FNAEG, exige nécessairement une loi et non la simple autorisation de la Chancellerie.

Ces considérations nous amène à douter de la licéité de la recherche familiale de l’ADN.