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CHAPITRE 2 : État des connaissances

2.3 Les facteurs liés aux changements dans les organisations de la santé

2.3.1 Les facteurs liés à l’organisation et son environnement

Les facteurs organisationnels font appel à quatre concepts respectivement relatifs aux spécificités environnementales, structurelles, culturelles et organisationnelles (Rogers, 2003).

Les spécificités environnementales traduisent la nature turbulente du secteur dans lequel évolue l’organisation visée par le changement, ainsi que la perception d’une forte incertitude de l’environnement par ses acteurs. Ces spécificités environnementales sont encore plus importantes selon la nature des relations que l’organisation entretient avec son environnement (Teece, 2001). Au nombre des spécificités environnementales, on retrouve les facteurs socio-économiques qui font référence au contexte de contraintes budgétaires, à l’évolution démographique caractérisée par un vieillissement de la population, à l’avancement des connaissances (connaissances sur les technologies, la maladie et ses déterminants ainsi que les modalités de prise en charge), etc. La reconnaissance de l’influence de ces facteurs s’inscrit dans une conception déterministe du changement. En effet, la conception déterministe du changement organisationnel insiste sur le caractère inflexible de l'organisation et voit dans la structure, le système, la culture des facteurs de rigidité et d'inertie qui tendent à préserver l'organisation des changements. Cette conception déterministe met l'accent sur les facteurs organisationnels et voit les pressions de l'environnement comme le principal moteur des transformations organisationnelles. Cette approche envisage la dynamique organisationnelle essentiellement dans le sens d'une action de l'environnement sur l'organisation et conçoit donc les organisations comme réactives aux stimuli de l'environnement, les réactions étant fortement structurées par le contexte environnemental.

Les spécificités structurelles traduisent la nature organique de la structure organisationnelle ainsi que le degré important de décentralisation de la prise de décision qui caractérise les organisations (Teece, 2001).

Le système de santé est généralement perçu comme une entité complexe, interactive, organique où les expérimentations, les études empiriques et la réflexion sont centrales pour créer une culture d'innovation, d'amélioration et par conséquent d'efficacité (Kitson, 2009). Peu de systèmes sont aussi complexes à gérer que les systèmes de santé (Kitson, 2009; Mintzberg, 2007; Rondeau & Jacob, 2009). La transformation de nouvelles connaissances en pratique organisationnelle est cependant un processus lent et imprévisible (Nutley, Walter & Davies, 2007). Changer le comportement des professionnels, en particulier dans les organisations de la santé où l’autonomie professionnelle est fortement reconnue et constitue un processus complexe et difficile (Nutley et al., 2007). Même l’application des meilleures innovations basées sur des évidences scientifiques reste parfois un défi (Fitzgerald, Ferlie & Hawkins, 2003). En effet, les travaux en psychologie des organisations soulignent que les organisations en général disposent de la capacité à se transformer, mais elles disposent également d’une capacité à définir des règles assurant ainsi la précision des actions et la stabilité (Burnier & Masserey, 2002).

L’environnement dans lequel évoluent les organisations de la santé est de moins en moins prévisible. Les réformes que connaissent les systèmes de santé obéissent à des impératifs souvent contradictoires : standardisation versus adaptation, réactivité vs anticipation, etc. pour concilier ses contradictions, la collaboration entre les professionnels de la santé, mais aussi entre les structures de la santé devient plus que nécessaire. Une telle collaboration est nécessaire pour une approche plus efficace des soins (Andrew et al., 2008; Fung-Kee-Fung et al., 2008). Mais, lorsqu’elles fonctionnent harmonieusement, ces coopérations permettent de valoriser les complémentarités entre des organisations

confrontées aux mêmes enjeux stratégiques et aux mêmes contraintes structurelles. En effet, lorsque la coopération devient durable et réciproque, au point de fidéliser les partenaires dans un jeu consensuel fondé sur la confiance, une organisation en réseau se construit (Assens & Jacob, 2008).

Selon Provan & Kenis (2007), les éléments-clés permettant de prédire l’efficacité des formes de gouvernance des réseaux sont la confiance, le nombre de participants au sein du réseau, le consensus sur les objectifs visés, le niveau de compétences requises pour effectuer les tâches et faire face aux demandes externes. Par ailleurs, les auteurs soulignent qu’il existe des tensions à gérer au sein d’un réseau à savoir efficience versus inclusion, légitimité interne versus externe et flexibilité versus stabilité (Provan & Kenis, 2007).

Déployer un tel système de gouvernance du réseau exige donc de se familiariser à une démarche de développement organisationnel qui prenne en compte les impacts sur le personnel des ajustements majeurs exigés par ces nouveaux modes de gestion, qui aide le personnel à comprendre et à redéfinir les valeurs, les rôles, les pratiques et les comportements à adopter (Rondeau & Jacob, 2009). Cela signifie aussi la mise en place et le suivi d’un ensemble d’activités de support (communication, formation, accompagnement, etc.) pour que les professionnels concernés en viennent à s’approprier et à traduire dans leur action quotidienne les exigences des nouveaux modèles de gestion en émergence (Lamothe, 2002). Selon cette perspective, le changement des modes de structuration et de coordination du réseau de la santé prend la forme d’un changement radical qu’il convient cependant de conduire selon la logique d’un apprentissage collectif dans l’action, avec de nombreuses itérations par lesquelles se produit une appropriation

graduelle de nouvelles compétences et connaissances organisationnelles par tous les acteurs concernés (Rondeau & Jacob, 2009).

Les spécificités culturelles des organisations traduisent le climat de communication ainsi que l’état d’esprit face à l’innovation et au changement. Elles désignent aussi la présence d’incitatifs mis en œuvre dans ces organisations (Bounfour, 2000; Munkvold, 1999). Certaines caractéristiques qui sont intrinsèques à chaque organisation contribuent à la l’implantation d’une innovation. Il s’agit de la taille, la variété de services, diversité de clientèle, la gamme de technologie utilisée ainsi que les qualifications du personnel (Rondeau, 1999). Donc, à elle seule, l'innovation ne suffit pas à transformer une organisation si cette dernière ne se l'approprie pas, à la fois en amont pour reconnaître la nécessité de l'innovation, ou d'une innovation particulière et en aval, pour l'intégrer dans sa réalité quotidienne, réorganiser autour d'elle ce qui doit l'être, la rendre perceptible et exploitable par les différents acteurs qui constituent l’organisation. Selon le modèle du développement organisationnel, les variables explicatives de l’adoption d’un changement sont celles qui mettent en cause la capacité de développement des organisations : la présence dans l’organisation d’un style participatif de gestion (Armenakis, Harris & Feild, 1999), la décentralisation des processus de décisions (Proctor & Doukakis, 2003), et la mise en place de mécanismes favorisant une bonne communication (Armenakis et al., 1999; Lewis, 2000; Proctor & Doukakis, 2003).

On retrouve la présence de divers types d’intérêts dans les organisations, car il s’agit également de systèmes politiques. Les droits acquis des membres de l’organisation constituent des sources importantes de résistance à un changement, car celui-ci peut modifier ou menacer le système politique existant dont certains groupes bénéficient. Le

fait que les organisations soient imbriquées dans un ensemble de relations sociales et de normes informelles qui modèlent les comportements, au même titre que les règles formelles et la poursuite des intérêts constituent des obstacles à l’adoption d’une innovation (Gagnon, 2003). Dans les organisations de santé, l’allégeance des professionnels à des associations collégiales représente un facteur pouvant influencer l’introduction des innovations (Scott, 1990).

Par ailleurs, une méta-analyse des facteurs organisationnels d’adoption des innovations a été réalisée par Damanpour (1991) à partir des variables associées aux caractéristiques de divers types d’organisations. Il en ressort que certaines de ces caractéristiques ont une influence importante sur l’adoption des innovations par les organisations. Ainsi, la spécialisation des tâches, le professionnalisme, la différentiation verticale, la centralisation de la prise de décision, l’attitude des gestionnaires face au changement, l’intensité administrative, les ressources en connaissances technologiques, la disponibilité des ressources et les communications externes avaient une influence significative sur l’adoption des innovations.

Une autre étude (Subramanian & Nilakanta, 1996) s’est penchée sur l’association entre certaines caractéristiques des organisations et leur degré d’adoption de différentes innovations. Dans le cas des innovations techniques, c’est-à-dire des innovations touchant le centre opérationnel de l’organisation et les processus de production, la centralisation de la prise de décision était négativement associée au degré d’adoption des innovations. Cependant, la spécialisation des tâches, la disponibilité des ressources et la taille de l’organisation avaient une influence positive sur l’adoption des innovations techniques.

Les spécificités organisationnelles quant à elles, traduisent les structures de communication existantes au sein de l’organisation. Ces structures révèlent des activités de veille organisées avec une allocation de temps et de ressources à l’observation de l’environnement

L’interdépendance entre les organisations et leur environnement est considérée comme une condition pouvant limiter l’adoption des innovations par les organisations, car ces dernières doivent se soumettre à l’idéologie en présence dans l’environnement afin de justifier et de légitimer leurs activités (Gagnon, 2003). Le caractère complexe et mouvant des facteurs environnementaux accentue la nécessité du changement et incite les organisations à rechercher une plus grande flexibilité pour pouvoir s’adapter aux contraintes extérieures. Par ailleurs, Scott (1990) soutient que ces mêmes conditions peuvent devenir des éléments favorisant l’adoption des innovations si elles se retrouvent dans un contexte approprié. Par exemple, au lieu de sembler menaçante, l’introduction d’une innovation pourra, au contraire, favoriser les intérêts d’un groupe et ce dernier en fera ainsi la promotion active. Selon Rondeau (1999), les pressions environnementales peuvent encourager le changement comme elles peuvent l'empêcher. La pression externe peut augmenter le taux d'activité des membres d'une organisation et les mène vers le changement. Dans ce cas, les pressions environnementales agissent en tant que force de propulsion. Autrement, ces pressions peuvent constituer des obstacles au changement. Plusieurs ressources ont été investies pour comprendre pourquoi les acteurs, groupes d’acteurs ou même les organisations entières n’entreprennent pas le changement de manière dynamique et continue et pourquoi l’introduction de nouvelles technologies, de pratiques et de processus (cliniques ou organisationnels) n’est pas une partie d'un corpus

de comportements, de compétences et d’attributs possédés par la plupart des acteurs de l’organisation. Ces questions constituent encore des préoccupations pour les organisations de la santé à travers le monde (Woolf, 2008) et des programmes de recherches sont développés pour améliorer l’application des nouvelles connaissances dans la pratique (Graham & Tetroe, 2007, 2009).