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CHAPITRE 2. Discussion des notions-clés liées à l’insécurité linguistique

2.9. Les enseignants de langues et le plurilinguisme

« Il est clair que, volens nolens, nous, enseignants, sommes à la fois des porteurs, des vecteurs et des facteurs majeurs d’insécurité linguistique. Au regard des apprenants, par les normes que nous incarnons ou représentons, par l’évaluation qui nous incombe, par les exigences que nous pouvons formuler. Mais à l’égard aussi de la discipline et de la langue auxquelles nous sommes censés nous conformer. »95

Les enseignants « natifs » tendent à opérer, qu’ils le veuillent ou non, comme des agents d’insécurisation. Les enseignants de langue « non natifs », insécurisés qu’ils sont parfois eux-mêmes, peuvent rendre cette insécurité « contagieuse ». Quant aux enseignants de disciplines non linguistiques qui enseignent leur matière dans une langue étrangère, il leur arrive de cultiver l’insécurité à l’égard de leurs collègues spécialistes de langues, de leurs élèves, voire de leur discipline même. La trilogie insécuritaire formelle, statutaire, identitaire pourrait être transposée à leur propos.

Les enseignants ne se confondent pas nécessairement avec les petits-bourgeois de W. Labov et ne sont généralement ni des fanatiques de l’hypercorrection, ni des pourfendeurs de fautes, ni des inquiets torturés par leur soi-disant déficience. Mais, de par leur position dans le système éducatif, ils sont aussi, fonctionnellement, des gardiens de la parole, des garants des normes, et perçus surtout comme tels.

94 Eurydice en Bref, Apprendre les langues étrangères, une priorité européenne, Mars 2005

95 Coste, D., Compétence bi/plurilingue et (in)sécurité linguistique, Supplemento al n° 54, Atti del Convegno Valle d'Aosta regione d'Europa: l'educazione bi/plurilingue, ponte verso la cittadinanza europea, 4 settembre 2001, Centro Congressi, Saint-Vincent A cura di Viviana Duc, Ufficio Ispettivo Tecnico In collaborazione con la rivista, L’École Valdôtaine, (supplément au n. 54) http://www.scuole.vda.it/Ecole/Atti/05.htm, consulté le 16/03/2006

D. Coste explique qu’il ne faut pas tirer la conclusion qu’il y aurait une sorte d’incompatibilité entre compétence plurilingue et insécurité linguistique, celle-ci bloquant la construction de celle-là, celle-là ne pouvant exister que dans la sécurité. En d’autres termes, l’insécurité linguistique n’est ni toujours néfaste et bloquante, non plus qu’elle ne disparaît dès lors que le locuteur passerait du « bi » au « pluri ». Sans aller jusqu’à prétendre qu’il y aurait une bonne et une mauvaise insécurité linguistique, nous devons là aussi complexifier la notion et estimer que, selon les situations, cette perception d’un décalage entre une norme représentée et une autoévaluation peut s’avérer dynamique ou paralysante.

De même qu’il a été fondamental pour la didactique des langues et pour la réflexion sur l’enseignement/apprentissage de passer d’un point du vue monolingue, longtemps prévalent, à un point de vue bilingue, de même il devrait être déterminant aujourd’hui, selon D. Coste, d’adopter un point de vue plurilingue, tant sur l’appropriation et l’usage des langues que sur le bilinguisme même. Ce qui revient non à considérer le plurilinguisme comme une sorte de démultiplication du bilinguisme, mais à poser le bilinguisme comme un cas particulier du plurilinguisme.

Dans cette perspective comme dans la construction d’un premier répertoire plurilingue et la mise en place d’une conscience linguistique de cette pluralité, l’école a un rôle décisif à jouer, et nous, enseignants, au premier chef.

Conclusion

Tout au long de ces chapitres il a été question des origines et de l’évolution de la notion de l’insécurité linguistique. Depuis sa genèse dans les années 1960, la notion a traversé beaucoup de contextes sociaux et linguistiques différents.

A notre connaissance, jusque là l’insécurité linguistique a été examinée du côté des locuteurs en tant qu’apprenants ou anciens apprenants d’une langue, maternelle, seconde ou étrangère.

Il demeure aussi important d’interroger cette notion par rapport à un groupe socioprofessionnel particulier, les enseignants. Ce groupe est originel au sens où la langue ne constitue pas pour eux seulement un outil de communication comme c’est le cas pour tout autre locuteur, mais elle est pour eux un outil de travail, encore plus, ils sont censés pas seulement l’utiliser, mais l’enseigner, la transmettre au sein d’une culture éducative définie.

La notion de l’insécurité linguistique comme vécue par les enseignants non natifs d’une langue étrangère parait être liée à la notion de la norme, ainsi qu’à celle du locuteur natif

idéal, dans la mesure où ces deux constituent des véritables blocages quant à l’usage libre de la langue étrangère.

La définition d’échelle de performance a fourni dès le milieu des années 1970 une formalisation de différents niveaux de compétence en langue étrangère adaptée au milieu professionnel, le modèle d’évaluation étant celui du locuteur natif éduqué. Or, ce modèle entraîne comme conséquence la description en creux de ce que l’apprenant en langue étrangère n’est pas en mesure de faire et de l’empreinte de sa langue maternelle, c’est-à-dire une focalisation sur les difficultés communicatives et linguistiques du statut de l’apprenant en tant que locuteur étranger. D’autre part, la norme – en tant que système d’instructions définissant ce qui doit être choisi parmi les usages d’une langue donnée si l’on veut se conformer à un certain idéal esthétique ou socioculturel - implique l’existence d’usages prohibés, fournit son objet à la grammaire normative ou grammaire au sens courant du terme.

La norme correspond alors à l’institution sociale que constitue la langue standard.

La question principale à la quelle cette recherche tente d’apporter une réponse pertinente est comment les enseignants non natifs d’une langue étrangère vivent les représentations de la norme et du locuteur natif idéal dans leur quotidienneté professionnelle ou sociale ; l’intérêt est encore plus important puisqu’il s’agit de faire réaliser aux professeurs qu’être professeur non natif n’égale point être inférieur.

CHAPITRE 3. Le corps enseignant dans le système éducatif grec