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CHAPITRE 7. La méthodologie de recherche

7.3. La méthodologie et les techniques d’analyse des entretiens

Avant de passer à l’analyse des entretiens, il convient de se situer dans le contexte théorique dit de l’analyse de contenu. Dans l’ensemble des techniques d’analyse de contenu, l’analyse

par catégories est à citer en premier lieu. Elle fonctionne par opérations de découpage du texte en unités puis par classification de ces unités en catégories. « Parmi les différentes possibilités de catégorisation, l’investigation des thèmes, ou analyse thématique, elle est rapide et efficace à condition de s’appliquer à des discours directs (significations manifestes) et simples ».135

L’analyse catégorielle vise à prendre en considération la totalité d’un « texte » pour le passer par la classification et le dénombrement par fréquence de présence (ou d’absence) d’items de sens. Dans le cas de la présente recherche, cela revient à analyser un par un les entretiens.

Cette méthode taxinomique des catégories ou des rubriques significatives permet la classification des éléments de significations constitutifs des différents messages émis par chaque professeur.

Il convient d’inférer évidemment sur la source, donc sur les émetteurs et la situation sociale, éducative, professionnelle dans laquelle chacun d’eux se trouve. Mais aussi, il serait valable de tenter d’inférer sur le destinataire de la communication sachant que celui aussi fait partie du groupe socioprofessionnel des enquêtés et influence a priori les résultats de son enquête par sa présence même, par ses sentiments ou ses propres représentations. A cela il faut ajouter que, tout au long des entretiens, le non dit occupait une place importante et il serait erroné de négliger une dimension « polémique » qui ressort, au second degré, des entretiens ; les interviewés pensaient souvent exprimer leurs sentiments dans le besoin de se faire entendre, pas seulement dans le cas de la présente enquête, mais au sens plus large. En d’autres termes, ces entretiens leur ont donné l’occasion de s’exprimer, de communiquer même avec d’autres personnes se trouvant dans le même cas qu’eux, d’extérioriser leur pensée et la voir publiée. Toutefois, la destinataire et les émetteurs se connaissent et interviennent dans le même milieu professionnel ou éducatif.

Il faut souligner que durant la phase de la préanalyse, il a été question d’abord de la constitution du corpus, ensuite de la formulation des hypothèses et des objectifs, enfin de l’élaboration des indicateurs sur lesquels l’interprétation finale a été basée. Selon L. Bardin136

« le choix de documents dépend des objectifs, ou, inversement, l’objectif ne sera possible qu’en fonction des documents disponibles ; les indicateurs seront construits en fonction des hypothèses ou, au contraire, des hypothèses seront fondées sur la présence de certains indices ». En fait, les hypothèses ne sont pas toujours établies lors de la préanalyse. D’autre

135 Bardin, L. : 207

136Bardin, L., id

part, L. Bardin déclare qu’il n’est pas obligatoire d’avoir un corpus d’hypothèses comme guide pour procéder à l’analyse. « Certaines analyses se font sans idées préconçues. Une ou plusieurs techniques sont, a priori, considérées adéquates pour faire ‘ parler ’ le matériel et sont utilisées systématiquement » (L. Bardin, 1977 : 128).

Dans le cas de la présente enquête le processus a été circulaire. Les premiers indicateurs des pre-entretiens ont permis de recentrer les hypothèses de travail et d’ajuster le guide d’entretiens. Plus précisément, un premier entretien a été effectué sans que le terme d’insécurité linguistique soit posé par l’intervieweuse et l’objectif majeur n’a pas pu être atteint ; à aucun moment le terme n’a pas été évoqué par l’interviewé. A ce point, il faut noter que le cycle d’entretiens clôt par un deuxième interview que AK a voulu accorder, un an et demi après son premier interview. Son statut professionnel et éducatif137 ayant évolué, elle a voulu s’exprimer au sujet de l’insécurité linguistique à la lumière de son évolution personnelle et professionnelle. En outre, un onzième interview a été effectué avec une professeur grecque de français langue étrangère, cette fois locutrice native de français.138 Le but était d’élargir la problématisation sur l’insécurité linguistique et de voir à quel point l’insécurité linguistique devient insécurité professionnelle ou à quel point le sentiment d’insécurité linguistique est « inhérent » chez les professeurs de langue, qu’ils soient natifs ou pas de la langue qu’ils enseignent.

En partant du principe que les différents thèmes ont d’autant plus d’importance pour les interviewés qu’ils sont répétés plus souvent seront retenus de thèmes comme les locuteurs natifs, la norme, l’expérience professionnelle sera commentée, tout comme la présence explicite des émotions, de l’anxiété souvent exprimés par des troubles de la parole. Or, tout au long de l’analyse des entretiens, l’accent sera mis sur des unités comme les mots clés - à savoir l’insécurité linguistique, la norme, la classe, les collègues, l’expérience, le français, la France, la formation ; les thèmes139 - à savoir les stratégies que les professeurs développent pour faire face à l’insécurité linguistique ; les personnages – des attributs de l’interviewé

137 Dans l’espace de deux années scolaires AK a achevé ses études en sociologie de l’éducation, a décroché son master, a été embauché en tant que vacataire dans l’enseignement public et a commencé à dispenser des cours préparation au concours national de recrutement.

138 SS est d’origine grecque, née en France, résidant à Paris jusqu’à l’âge de 25 ans.

139 Selon M. C. d'Unrug (M. C. d'Unrug, (1974), Analyse de contenu et acte de parole,éd. Universitaires) une unité de signification complexe, de longueur variable ; sa réalité n'est pas d'ordre linguistique mais d'ordre psychologique : une affirmation mais aussi une allusion peuvent constituer un thème ; inversement, un thème peut être développé en plusieurs affirmations (ou propositions). Enfin, un fragment quelconque peut renvoyer (et renvoie généralement) à plusieurs thèmes… »

mais aussi de l’intervieweuse comme le statut social, familial, âge ; et enfin les événements marqueurs que les interviewés portent comme témoignage pour mieux illustrer leurs propos.

L’accent sera également mis sur le contexte dans le sens où « il est nécessaire de se référer - consciemment - au contexte proche ou lointain de l’unité à enregistrer » (L. Bardin, 1977 : 137).

Dans le souci de réaliser une analyse la plus complète possible, seront également pris en compte les phénomènes de présence ou d’absence significative de différents éléments.

Surtout, l’absence d’éléments (par rapport à une certaine attente, exprimée ou pas par l’intervieweuse) peut, dans certains cas, véhiculer du sens. Notamment dans le cas de ED, l’absence de témoignage, le déni ferme à toute question relative à l’insécurité linguistique témoigne de l’importance à accorder à ce phénomène. Par ailleurs, l’absence du terme insécurité linguistique durant l’entretien de IG, qui a servi d’entretien pilote, a eu comme résultat l’ajustement du guide d’entretiens.

Enfin, il est à souligner le rôle des co-occurrences, lorsque deux ou plusieurs unités d’enregistrement sont simultanément présentes dans une unité de contexte pour démonter l’association d’éléments - les interviewés associent l’expérience professionnelle avec le manque du sentiment d’insécurité linguistique ; l’équivalence d’un élément à un autre - AK, EP, AS, ED égalisent la certification à la véritable maîtrise de la langue ; l’opposition ou l’exclusion d’un élément contre un autre - pour ED l’insécurité linguistique ne fait jamais partie de ses ressentis dans la classe, ou encore pire, ce n’est pas elle qui ne comprend pas le mot nounours dans un contexte professionnel, ce sont les enfants qui ne parlent pas clairement.

Seront également soulignés des éléments d’ordre sémantique comme des thèmes soulignant le sentiment des professeurs interviewés de la honte, du mal à l’aise, la fierté ou l’indignation, l’acception ou le démenti d’éprouver de l’insécurité linguistique ; syntaxique comme les verbes marquant l’état d’âme des interviewés, à savoir les verbes de sentiments ; lexical à savoir un classement des mots selon leur sens avec appariement des synonymes et des sens proches. Surtout pour le terme d’insécurité linguistique l’accent sera aussi mis sur l’implicite, puisque souvent les interviewés choisissent ne pas utiliser le terme proposé et lui préfèrent des « équivalents ». L’emploi des mots étrangers fera l’objet d’une analyse, notamment sous deux angles : l’emploi de mots français par les interviewés qui ont choisi parler en grec, et l’emploi des mots étrangers, autres que français (anglais, espagnol, italien,

allemand, suivant les langues étrangères que les interviewés connaissent) que les interviewés emploient impulsivement dans leur souci de mieux s’exprimer.

Outre les catégories thématiques déjà évoquées, seront également soulignés les éléments tels que les récurrences, les failles logiques, les alibis, les lapsus, l’évocation des lieux communs, les jeux de mots. Les lieux communs employés par les interviewés ont un rôle justificateur.

Ce sont des raccourcis sociaux et professionnels qui ont une fonction d’étayage du discours.

Il s’agit d’obtenir l’adhésion de soi-même ou d’un potentiel interlocuteur malveillant, sa complicité en usant de notions partagées culturellement comme des stéréotypes ou des phrases toutes faites ; « on ne peut pas tout savoir » en est une.

Les particularités de la constitution du corpus d’interviewés, ainsi que le fil conducteur du guide obligent à procéder à une analyse de contenu des entretiens plurielle au sens où différentes techniques des approches ci-dessus présentées seront en partie prises en compte pour enrichir et compléter l’analyse de contenu par interviewé et par catégorie thématique.

Ainsi suivra une analyse linéaire des témoignages de chaque professeur interviewé, ce qui permettra d’examiner de près l’impact du sentiment d’insécurité linguistique chez chaque enseignant, comment il le gère, ce qu’il mobilise pour faire face au « mal-être » auquel il témoigne être sujet, quelles sont les particularités en matière de stratégies ou de zones anxiogènes. Dans un deuxième temps, suivra une analyse transversale des données issues des entretiens.

Bien que celle-ci puisse se réaliser selon le guide d’entretien, une autre catégorisation a été mise en place ; elle respecte, plus que le fil rouge des entretiens, le schéma de

« résilience »140 que les professeurs interviewés semblent suivre pour faire face à leur sentiment d’insécurité linguistique sans remettre en question leur compétence professionnelle.

140 Sans vouloir aucunement entrer dans le domaine de la psychanalyse, nous empruntons le terme de résilience pour démontrer le schéma des professeurs interviewés : ceux-ci le mettent en avant, pour sortir du mal-être que le sentiment de l’insécurité linguistique leur crée, et se construire une légitimité professionnelle en redéfinissant leur rôle et leur profil d’enseignant de langues.

CHAPITRE 8. L’analyse linéaire des entretiens : les témoignages