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Les  enfants  en  prison  :  espaces  et  pratiques

                                                                                                               

a. Présence d’enfants derrières les barreaux : législation et état des lieux.

Les enfants n’ont pas toujours constitué une préoccupation à part entière pour les autorités. Ainsi Mami Lucha, volontaire de la prison Chorrillos I depuis plus de 30 ans, se souvient :

« Quand je suis arrivée ici [au début des années 1980], il y avait des enfants et même des adolescents, ils y en avaient qui avaient 15 ans, ils dormaient là et puis la journée ils sortaient, ils allaient à l’école ou ils sortaient travailler, pour gagner un peu d’argent. C’était très étrange, ils pouvaient entrer et sortir, comme ça. »78

La présence des mineurs auprès de leur mère incarcérée n’était alors régie par aucune disposition particulière. Ce n’est que relativement récemment que le séjour des enfants de détenues au sein de l’espace carcéral fait l’objet d’une législation. En 1991, lorsqu’est promulgué le Code d’Exécution Pénale (CEP) péruvien79, il est prévu que les enfants pourront demeurer avec leur mère dans la prison jusqu’à l’âge de trois ans (CEP, art. 103). Ce séjour peut-être autorisé dans le cas où la détenue est incarcérée en état de gestation, mais elle peut également solliciter ce qui s’apparenterait à un regroupement familial. Les enfants de moins de trois ans nés en liberté peuvent ainsi rejoindre leur mère si elle en fait la demande. Or, le texte législatif, reproduit ci-dessous, n’envisage le séjour des enfants en prison qu’auprès de leurs mères et fait abstraction des pères incarcérés. Si les enfants nés hors des murs peuvent partager la vie carcérale de leur mère, ils ne peuvent pas être élevés par leur père, car la loi ne le prévoit pas. La législation ne fait aucune mention particulière des cas où les deux parents seraient emprisonnés. À travers l’écriture de la loi, on assiste de nouveau à la reproduction de la division sexuelle des rôles domestiques. L’éducation des enfants est une tâche exclusivement assignée à la femme-mère et, étant considérée comme telle, elle est le seul parent qui peut prétendre élever son enfant en prison.

                                                                                                               

78 Entretien effectué par l’auteur en octobre 2007 dans la prison de Chorrillos I.

79 Disponible sur http://spij.minjus.gob.pe/CLP/contenidos.dll?f=templates&fn=default-codejecucionpenal.htm&vid=Ciclope:CLPdemo

Code d’Exécution Pénale

Article 103. Age limite de l’enfant pour vivre avec la mère détenue.

Les enfants mineurs amenés à l’établissement pénitentiaire par la détenue pourront y demeurer jusqu’à l’âge de trois ans, après examen de l’assistante sociale, et doivent être accueillis dans une garderie. Provisoirement, ils peuvent demeurer dans l’établissement pénitentiaire dans des espaces séparés. Lorsque le mineur atteint l’âge susmentionné, son futur séjour à l’extérieur est déterminé par la personne qui en a la responsabilité légale ou la tutelle. En cas de risque moral, l’assistante sociale coordonne avec le juge des mineurs.

Cette disposition légale relève cependant de la théorie et dans la pratique aucune des femmes rencontrées à Chorrillos I ne vit avec un enfant né à l’extérieur des murs. En effet, les mères en confient généralement le soin à un membre de leur famille, majoritairement à la grand-mère maternelle. Dans les cas les plus extrêmes, il arrive que ce soit les services sociaux qui recueillent le(s) enfant(s). Si les détenues ne sollicitent pas le regroupement familial, c’est évidemment par souci de protéger leur progéniture de la dureté du milieu carcéral ; mais c’est aussi parce que la majorité d’entre elles, issue de milieux socio-économiques défavorisés et de faible niveau éducatif, ne connaissent pas leurs droits. La prison ne fait qu’accroître cette situation de vulnérabilité et l’adoption d’un « profil bas » semble parfois préférable à une attitude revendicative, les pratiques de l’administration pénitentiaire tendant davantage à la répression et la punition qu’à la mise en exergue des droits des détenues. Dans un entretien effectué avec Wilfredo Pedraza, ex-Président de l’INPE, celui-ci évoque la situation des relations de pouvoir entre gardiennes et détenues :

« L’exercice excessif de l’autorité dans un contexte délicat rend les gens plus fragiles. La prison fragilise et dans ce contexte, [les gardiennes], dans une espèce de réaction animale, écrasent et contrôlent […]. C’est comme chez les lions, la lionne gouverne […]. Leur exercice du pouvoir est régi par un mauvais concept de l’autorité. »80

En effet, dans certains cas, l’enfant constitue un instrument de chantage employé par les autorités afin d’imposer leur pouvoir. Au cours du même entretien, Pedraza relatait une anecdote dont il avait été témoin :

                                                                                                               

« Dans une autre prison de femmes, ils essayaient de contrôler la discipline d’un groupe de femmes en disant : ‘Si tu ne te tiens pas bien, je vais emporter ton fils, je vais donner ton fils aux services sociaux’. Et en privé les détenues me disaient : ‘Nous sommes désespérées, ils nous menacent avec ça, tous les jours on a peur qu’ils emmènent nos enfants’. »

Dans les faits, les autorités pénitentiaires n’ont pas le pouvoir de sortir de la prison un enfant qui y vit avec sa mère. Dans le cas où elle maltraite physiquement ou moralement son enfant, ou dans les cas où la mère serait dépendante de la drogue, il est possible que mère et enfant soient séparés, sur décision du procureur de la famille auprès de qui une plainte doit avoir préalablement été déposée. Le seul recours des autorités pénitentiaires face à de telles situations est d’isoler physiquement le mineur afin de garantir son intégrité physique et morale. Les mesures prises directement dans l’établissement se limitent donc à une dimension matérielle et la décision d’une modification de la situation juridique de la mère et de son enfant relève exclusivement du ministère public et du pouvoir judiciaire81. Face à des situations d’abus comme celle décrite précédemment, les propres termes de Pedraza sont concluants :

« Cet exercice du pouvoir, je crois que c’est un exercice qui exprime un mauvais concept de l’autorité. Et parce qu’on prétend appliquer le règlement sans aucune rationalité. […] Je crois que toutes ensemble [les gardiennes] se contaminent cet esprit de sévérité peu réflexif qui finit par avoir un impact négatif sur les détenues. »

Ce sont donc bel et bien les détenues qui ne connaissent pas leurs droits qui représentent les premières victimes d’abus de pouvoir caractérisés par la menace.

b. Des espaces réservés.

La régulation de la maternité dans l’espace carcéral ne s’est pas traduite exclusivement en dispositions légales, mais a également donné lieu à une forme d’adaptation matérielle concrètement visible au sein des infrastructures pénitentiaires. Avec la promulgation du Code d’Exécution Pénale de 1991, les établissements susceptibles de devoir accueillir des enfants se voient obligés de disposer d’une crèche. Même en province, où certaines prisons n’accueillent                                                                                                                

que très peu d’enfants (1 à 10), toutes disposent d’une zone spéciale qui leur est réservée. Dans ces établissements, cet espace est généralement géré par une détenue dont l’activité de surveillance et de soins est considérée par les autorités comme un travail donnant droit à une éventuelle remise de peine. Dans la prison Chorrillos I, ce sont en moyenne cinquante mineurs qui vivent avec leur mère en détention, mobilisant un personnel spécifiquement dédié à leur encadrement. Ces enfants se voient en effet pris en charge par trois professeures, une psychologue à temps partiel ainsi qu’une équipe de bénévoles anglicans, dirigée par Mami Lucha, qui intervient à raison d’une à trois fois par semaine. La crèche constitue un espace privilégié dans le sens où aucune gardienne n’y est affectée durant la journée. Seuls les membres du personnel qui y exercent ainsi que les bénévoles y ont accès en permanence. Les mères qui y laissent leur(s) enfant(s) n’ont le droit de pénétrer dans cet espace qu’en début et en fin de journée, exception faite des jours de célébration des anniversaires.

Parallèlement à la crèche, comme je l’ai mentionné plus haut, le rez-de-chaussée du pavillon A est réservé aux détenues et à leurs enfants. De nouveau, faute de place, les mères vivent à plusieurs par cellule et les enfants partagent leur lit. Un risque existe avec l’usage des lits superposés et même si les chutes sont rares, elles se sont déjà produites. Enfin, le rez-de-chaussée du pavillon destiné aux visites intimes accueille régulièrement des femmes en fin de grossesse et les mères et leur enfant pendant environ deux mois après l’accouchement. Dans cet espace, les femmes bénéficient de cellules avec salle de bains individuelle. Finalement, l’administration tente d’adapter la réalité des conditions carcérales aux besoins de la population, mais la surpopulation ne permet pas aux détenues en général, et aux mères en particulier, de vivre dans des espaces adaptés à leurs besoins.