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Les données de l’usage

2. LE MOTEUR DE RECHERCHE WEB ET LES IMAGES

2.3 Assemblages algorithmiques

2.3.1 Les données de l’usage

 

Il faut également clarifier le fait que les utilisateurs de Google-le-moteur-de-recherche ne sont pas ses clients. Ils sont sa marchandise – à tout le moins leur attention l’est. Les clients de Google-l’entreprise sont les annonceurs publicitaires. Ils achètent les mots-clés de recherche les plus populaires et donc notre attention44. Lorsqu’il collecte de l’information pour son index, le moteur de recherche ne puise pas seulement dans le contenu du web pour constituer sa base de données, il enregistre aussi les usages, c’est-à-dire l’historique de mots-clés utilisés pour faire des recherches. Des « biscuits » ou « témoins de connexion » (cookies) sont également installés par défaut dans nos navigateurs web afin de pouvoir tracer les chemins que nous empruntons dans le cyberespace et chacun de nos clics sur les hyperliens. Ce travail de profilage invasif contribue à l’accumulation de données liées qui nourrissent les algorithmes du moteur de recherche. En ce sens, nous sommes aussi des données de la base et nous participons au modelage de l’information (Hillis, Petit et Jarret 2012 : 169).

Plusieurs des utilisateurs de Google savent qu’il conserve en mémoire toutes les recherches effectuées, même s’ils ont souvent de la difficulté à en imaginer l’ampleur et la précision45. Battelle a qualifié ces agrégats de données collectées de « Database of Intentions » dans The Search (2005) puisqu’il s’agit en fait d’une base de données qui porte en elle l’historique des envies. Ainsi renseigné, le moteur de recherche accède à une sorte de pouvoir oraculaire en ayant connaissance de ce que des millions d’internautes désirent. L’anonymat que procure la relation à une machine permet effectivement aux utilisateurs de chercher à propos de tous les sujets qui leur traversent l’esprit, peu importe leur nature. Le moteur de recherche participe ainsi à la construction d’un monde où les faits et les désirs s’amalgament (Hillis, Petit et Jarret 2012 : 16). Depuis l’arrivée de Google Instant en 2010, le passé semble se transformer en futur lorsque ses algorithmes prédictifs permettent de suggérer automatiquement les termes d’une recherche pendant que l’usager tape sa requête dans la petite boîte blanche (Hillis, Petit et Jarret 2012 : 22).                                                                                                                

44 Les résultats publicitaires apparaissent ensuite dans les listes de résultats en étant toutefois différenciés par un

encadré. Seuls 38 % des utilisateurs du moteur de recherche soutiennent savoir faire la différence entre les résultats organiques et les résultats publicitaires de la liste (Ippolita 2011 : 60). Plusieurs internautes ne connaissent pas non plus les outils de recherche ou ne prennent pas le temps d’utiliser ne serait-ce que la fonction de recherche avancée. Pour le collectif Ippolita (2011 : 13), l’alphabétisation et la critique des outils de gestion de la connaissance sont une « urgence sociale ».

45 Pour plus d’information sur la collecte de données sur les individus, voir l’histoire de la fuite des historiques de

recherche d’AOL en 2006 et comment le New York Times a pu retrouver l’un des utilisateurs selon la liste de ses requêtes dans l’article intitulé « A Face Is Exposed for AOL Searcher No. 4417749 » (Barbaro et Zeller 2006).

Le développement de ces algorithmes prévisionnels travaille donc à rendre les usages de la recherche prévisibles. Il semble également possible que « [l]’imagination, façonnée par l’information ainsi consommée, prédétermine en retour ce que nous cherchons » (Becker 2009 : 170, trad. libre). Les chercheurs web, satisfaits des propositions qui leur semblent pertinentes, cliquent docilement sur celles-ci et augmentent de cette façon leur poids dans le classement. Les internautes utilisant le moteur ressentent également une forme de connexion mondiale grâce à une synthèse du désir collectif proposée à chaque saisie (Hillis, Petit et Jarret 2012 : 184). Ce n’est toutefois pas parce que l’expérience de la recherche est collective et qu’elle se déroule dans le web collectivement composé qu’elle se transforme en connectivité émancipatrice ; elle facilite aussi les procédures de profilage.

Les diverses activités de surveillance numériques ont sensiblement augmenté depuis le 11 septembre 2001. L’agrégation de données sur les individus aurait mené à maintes incarcérations de terroristes, présumés ou non. Le USA Patriot Act, un acronyme pour ce qui serait en français la « Loi pour unir et renforcer l'Amérique en fournissant les outils appropriés pour déceler et contrer le terrorisme »46, est une loi antiterroriste qui autorise la réclamation de données collectées par des entités comme Google sans en informer la personne concernée. Une fois divulguées au gouvernement américain47, ces données permettent de dresser un portrait précis des « intentions » d’un individu à l’aide de ces outils de profilage exemplaires. En plus des débats entourant les pratiques de torture après le 11 septembre que rappellent les Googlegrams d’Abu Ghraib, cela démontre comment les conflits militaires contemporains sont axés sur l’obtention d’information. En fait, la guerre contre le terrorisme, malgré son origine vindicative, semble être surtout une guerre contre le futur, contre des complots terroristes, contre des « intentions » qui peuvent se retrouver dans les « bases de données d’intentions » de Google. Comme McLuhan (1989) l’avait prédit, la connectivité du présumé village global produit effectivement de graves problèmes identitaires et politiques.

                                                                                                               

46 « Uniting and Strengthening America by Providing Appropriate Tools Required to Intercept and Obstruct

Terrorism. » Le texte de loi est disponible en ligne au http://www.americanlaw.com/patriotact.html, consulté le 4 janvier 2014.

47 Sur sa page intitulée « Transparence des informations », Google rapporte qu’il a reçu plus de 21 000 demandes

d’information sur les utilisateurs de la part d’organismes chargés de l’application de la loi de juillet à décembre 2012 seulement. Accessible en ligne au http://www.google.com/transparencyreport/userdatarequests/countries/?t=table, consulté le 4 janvier 2014.