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Les d´es´equilibres : en voie d’ajustement ?

Depuis plusieurs ann´ees, les ´economistes se posent la question si les d´es- ´equilibres globaux repr´esentent ou pas un v´eritable probl`eme dans l’´economie mondiale et europ´eenne. D’un cˆot´e, beaucoup d’auteurs (Blanchard et Milesi- Ferretti, 2009 ; Goldstein et Lardy, 2009 ; Sinn et al., 2011 ; Mayer et al., 2012) les consid`erent comme une menace pour l’avenir et proposent les instruments `a les r´e´equilibrer.

16. A part de d´eficit budg´etaire et d’endettement public, les taux d’int´erˆet long refl`etent ´egalement l’´evolution des d´es´equilibres ext´erieurs (Allesandrini et Fratianni, 2012).

Selon Sinn et al. (2011), les d´es´equilibres ext´erieurs sont en grande partie caus´es par l’accumulation des dettes importantes dans les pays qui ´etaient les grands importateurs des capitaux dans le pass´e, plus particuli`erement par les flux excessifs des capitaux qui r´esultaient des contraintes insuffisantes de la dette pu- blique et priv´e. Pour r´e´equilibrer l’´economie, ils soulignent la n´ecessit´e du syst`eme des contraintes budg´etaires plus s´ev`eres avec meilleure surveillance bancaire et les limites plus « ´etroites » de la dette publique. Mayer et al. (2012) expliquent que la correction des d´eficits ext´erieurs peut ˆetre anticip´ee si les biens, les services et les actifs domestiques sont plus comp´etitifs par rapport `a leurs substituts ´etrangers. De l’autre cˆot´e, d’autres auteurs (Cooper, 2007 ; Popov, 2010) raisonnent diff´eremment. Cooper (2007) ne voie pas de probl`eme dans l’existence des pays exc´edentaires et d´eficitaires. Il explique que le d´eficit de la balance courante n’est pas exclusivement n´egatif, s’il est entraˆın´e par les d´epenses dans l’´education, dans la recherche et le d´eveloppement ainsi que dans les biens de consommation de long terme. Il consid`ere ces trois cat´egories comme une « ´epargne », ´etant donn´e qu’elles peuvent g´en´erer de futurs exc´edents. Popov (2010) rel`eve que les interventions dans une ´economie ne sont pas n´ecessaires puisque les d´es´equilibres auront une tendance de se r´e´equilibrer spontan´ement dans quelques ann´ees.

On note enfin que les d´ebats sur la « menace » provenant des d´es´equilibres globaux restent tr`es fr´equents. Toutefois, le rapport r´ecent du Fonds Mon´etaire International17 de l’octobre 2014 (FMI, 2014) r´ev`ele l’ajustement des d´es´equi-

libres ext´erieurs dans le monde et en Europe. Le rapport argumente que cet ajus- tement a diminu´e le risque syst´emique pour l’´economie mondiale. Mˆeme si les exc´edents ext´erieurs de certains pays europ´eens (les Pays-Bas et l’Allemagne18)

sont toujours importants, plusieurs pays europ´eens (le Portugal, la Gr`ece, l’Italie, l’Espagne) ont r´eussi `a ajuster leur d´eficits ext´erieurs pendant la p´eriode de 2011 `a 2013.

17. World Economic Outlook (WEO)

Ce rapport du FMI explique que le moteur principal de la r´eduction des d´e- ficits ext´erieurs ´etait la baisse de la demande int´erieure et du produit int´erieur19.

La chute de la demande int´erieure se traduisant par la chute de l’investissement, ce m´ecanisme a permis de r´eduire les d´eficits de la balance courante. L’estima- tion du mod`ele, r´ealis´ee dans ce rapport, r´ev`ele que l’ajustement des d´es´equilibres ext´erieurs ´etait li´e au changement de la demande int´erieure plutˆot qu’au chan- gement du taux de change r´eel.20 Toutefois, le rapport indique que l’ajustement

des d´eficits ext´erieurs ´etait au prix de l’accroissement des d´es´equilibres int´erieurs (le chˆomage et l’´ecart de production plus ´elev´e) et leur position de d´ebiteur par rapport `a l’´etranger n’a pas diminu´e21. Enfin, il y a toujours le risque que les

d´es´equilibres ext´erieurs recommencent `a s’´elargir.

19. La baisse du produit national ´etait typiquement moins importante dans les pays ayant les exc´edents ext´erieurs ; leurs exportations ne se sont pas diminu´ees.

20. Ce r´esultat est coh´erent avec l’´etude de Dong (2012), dont les r´esultats r´ev`elent que l’importation et l’exportation sont, pendant les derni`eres ann´ees, moins sensibles aux fluctua- tions des taux de change.

Chapitre 2

L’hypoth`ese des d´eficits

jumeaux : analyse th´eorique et

empirique

Les faits stylis´es sur les d´es´equilibres globaux (Chapitre 1), qui indiquent l’existence d’un certain lien entre les d´es´equilibres ext´erieurs et les d´es´equilibres int´erieurs ainsi que l’ajustement r´ecent des d´es´equilibres ext´erieurs accompagn´e de la hausse des dettes publiques, nous am`enent `a nous interroger sur l’existence de la « relation type twin deficit » entre les deux d´es´equilibres. Lorsque la hausse du d´eficit budg´etaire s’accompagne de la hausse du d´eficit de la balance courante, nous parlerons des « d´eficits jumeaux » (Abell, 1990). En revanche, lorsque la hausse de l’exc´edent budg´etaire est suivie par la hausse de l’exc´edent de la balance courante, nous parlerons des « exc´edents jumeaux » (« twin surpluses » ; Mirdala, 2015).

La premi`ere mention sur l’interd´ependance entre le d´eficit budg´etaire (le d´es´equilibre int´erieur) et le d´eficit de la balance courante (le d´es´equilibre ext´e- rieur) a apparu dans les ann´ees quatre-vingts suite `a la hausse simultan´ee des deux d´eficits aux ´Etats-Unis (Darrat, 1988). C’est `a ce moment l`a qu’on com- mence `a utiliser le terme de « twin deficits ». Les ´etudes sur les d´eficits jumeaux connaissent aujourd’hui un renouveau avec la hausse des d´es´equilibres int´erieurs et ext´erieurs. De nombreuses ´etudes `a la fois th´eoriques et empiriques qui indiquent

l’existence de diff´erentes formes dans la relation entre les deux d´eficits. Toutefois, ces ´etudes apportent les r´esultats mixtes et mˆeme contradictoires. Cette ´evidence nous am`ene `a proc´eder `a la revue syst´ematique de ces travaux depuis les ann´ees quatre-vingts jusqu’`a la p´eriode la plus r´ecente.

L’objectif de ce chapitre est de d´etecter les tendances les plus importantes dans les articles sur les d´eficits jumeaux. Apr`es avoir rappel´e l’analyse th´eorique, nous ´elaborons la revue et le classement syst´ematique des ´etudes sur les d´eficits jumeaux selon les r´esultats obtenus, les m´ethodes utilis´ees, les variables incluses dans les mod`eles, les pays et la p´eriode analys´ee. La m´ethodologie de recherche s’appuie sur l’analyse dite de « text-mining » des articles rep´er´es sur ce sujet sur le portail « Research Papers in Economics » (RePEc) et sur l’analyse du contenu empirique des 50 articles les plus cit´es .

2.1

L’approche par les comptes nationaux

Selon l’hypoth`ese des d´eficits jumeaux, la hausse du d´eficit budg´etaire pro- voque la hausse du d´eficit de la balance courante (Abell, 1990), et/ou inversement. Autrement dit, il existe une relation positive entre le d´eficit (l’exc´edent) int´erieur et le d´eficit (l’exc´edent) ext´erieur.

Pour exprimer cette relation entre les deux d´eficits, nous consid´erons tout d’abord l’approche par les comptes nationaux. Le produit int´erieur brut (PIB) dans une ´economie ouverte est traditionnellement exprim´e de la fa¸con suivante : Y = C + I + G + X − M, (2.1) o`u C est la consommation, I est l’investissement, G sont les d´epenses publiques, X est l’exportation et M est l’importation. Nous consid´erons ensuite que la balance courante de la balance des paiements (CA) est r´eduite et correspond `a la balance commerciale (X − M ), donc CA = X − M .

Nous exprimons l’exportation nette CA = X − M de l’´equation (2.1) : X− M = CA = Y − (C + I + G) (2.2)

o`u (C + I + G) repr´esente l’Absorption (i.e. la demande int´erieure). Dans une ´economie ferm´ee, si l’´epargne est ´egale `a l’investissement (I = S) et si le produit national est ´egal `a Y = C + S, alors, on peut ´ecrire Y − C = S. Pour une ´economie ouverte, en revanche, nous pouvons ´ecrire :

S = I + CA, donc CA= S − I (2.3)

Nous consid´erons ensuite que l’´epargne S est ´egale `a la somme de l’´epargne priv´ee Sp et l’´epargne publique Sg et que les investissements I sont ´egaux `a la

somme des investissements priv´es Ip et des investissements publics Ig (Fidrmuc,

2003 ; Raffinot et Venet, 2003) :

CA= Sp+ Sg− Ip− Ig (2.4)

Ainsi, la balance courante est d´etermin´ee par le niveau de l’´epargne priv´ee et de l’investissement priv´e. Comme par ailleurs, elle est influenc´ee par le niveau de l’´epargne publique et de l’investissement public, la balance courante est reli´ee `a la balance budg´etaire. Notons donc que l’´epargne totale est compos´ee de :

1. L’´epargne priv´ee, c’est-`a-dire de la diff´erence entre le revenu disponible et la consommation finale que nous pouvons ´ecrire comme Sp = Y − T − C1;

2. L’´epargne publique, c’est-`a-dire de la diff´erence entre les recettes fiscales et les d´epenses publiques que nous pouvons ´ecrire comme Sg = T − G. Ce

solde repr´esente le d´eficit budg´etaire si T < G (Aglietta, 1997).

Pour r´e´ecrire l’´equation (2.3), nous pouvons remplacer l’´epargne totale (S) par la somme de l’´epargne priv´ee (Sp) et de l’´epargne publique (Sg).

S = I + CA, donc Sp+ Sg = I + CA (2.5)

Ainsi :

Sp+ T − G = I + CA (2.6)

En exprimant la balance courante, on obtient sa relation avec la balance budg´etaire (Aglietta, 1997 ; Guillochon et Kawecki, 2003 ; Fidrmuc, 2003) :

CA= (Sp− I) + (T − G) (2.7)

Il en r´esulte que la hausse du d´eficit budg´etaire (T − G) s’accompagne par la hausse du d´eficit de la balance courante2. Dans ce sens, nous parlerons des

d´eficits jumeaux : le d´eficit int´erieur est corr´el´e avec le d´eficit ext´erieur.

L’´equation (2.7) montre que la balance courante est d´etermin´ee par (i) la diff´erence entre les recettes fiscales T et les d´epenses publiques G, c’est-`a-dire la balance budg´etaire ; et (ii) la diff´erence entre l’´epargne priv´ee Sp et les investis-

sements priv´es I, c’est-`a-dire la balance « l’´epargne-l’investissement ».

L’exc`es des investissements priv´es par rapport `a l’´epargne priv´ee (c’est-`a- dire la balance « l’´epargne-l’investissement » (Sp−I) n´egative) signifie la n´ecessit´e

d’emprunter `a l’´etranger3 ce qui entraˆıne l’importation des capitaux et le d´eficit

de la balance courante. C’est la raison pour laquelle Sinn et al. (2011) et Mayer et al. (2012) expliquent que la baisse des taux d’int´erˆet4 avant la cr´eation de l’UEM provoquait la hausse des cr´edits, ce qui a provoqu´e l’exc`es des investissements par rapport `a l’´epargne dans les pays du sud de l’Europe. Ils soulignent ensuite que cette situation provoquait l’afflux des capitaux ´etrangers dans ces pays et la hausse du d´eficit de la balance courante.

2. C’est-`a-dire par la baisse de CA dans l’´equation (2.7).

3. Les investissements domestiques sont aliment´es par l’importation des capitaux ´etran- gers. Autrement dit, la part des investissements domestiques est couverte par l’´epargne ´etrang`ere (Mirdala, 2013).

4. Cette baisse correspond `a la convergence « artificielle » des taux d’int´erˆet des obliga- tions publiques.

Au contraire, l’´epargne priv´ee qui exc`ede les investissements priv´es (c’est-`a- dire la balance « l’´epargne-l’investissement » (Sp − I) positive) provoque l’exc´e-

dent de la balance courante. Sinn et al. (2011) et Mayer et al. (2012) montrent que les pays du nord de l’Europe ayant aujourd’hui des exc´edents ext´erieurs ne pro- fitaient pas de la diminution des taux d’int´erˆet avant la cr´eation de l’UEM, leurs investissements n’augmentaient pas par rapport `a l’´epargne priv´ee et ces pays exportaient leurs capitaux. Dans les pays avec la balance courante exc´edentaire, l’´epargne priv´ee exc`ede les investissements priv´es ce qui implique l’exportation des capitaux, c’est-`a-dire l’exportation de l’´epargne.

En r´esum´e, il en r´esulte que le pays avec le d´eficit de la balance courante souffre de l’insuffisance de l’´epargne domestique pour couvrir ses besoins en inves- tissement. Par cons´equent, pour que le pays puisse r´eduire le d´eficit de la balance courante, son gouvernement doit pr´evoir que ces efforts d’ajustement du d´eficit ext´erieur sans r´eduire le d´eficit budg´etaire peuvent ˆetre tr`es difficiles (Mirdala, 2013).