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Chapitre 3. Des incertitudes de la grammaire traditionnelle

1. Les critères de reconnaissance d’une grammaire traditionnelle

Reconnaître un type de grammaire donné, c’est avant tout le délimiter par des critères. La grammaire traditionnelle entre dans ce champ là.

En effet, cette grammaire a toujours été le soubassement de la grammaire scolaire qui s’est implantée au XXème et qui est d’usage encore aujourd’hui. Nous la retrouvons dans le " Précis de grammaire française" de M. Grevisse. dont la première édition a plus de soixante ans.

Généralement, le programme grammatical appliqué dans nos écoles primaires et nos collèges est conforme au contenu de ce manuel et à bien d’autres qui lui ressemble tant au niveau du métalangage grammatical que de la structuration des leçons en "espèces" de mots, "nature" des mots ou encore "parties" du discours. La manière de présenter la langue morcelée n’aide pas à concevoir celle-ci comme un système représentant un tout.

En termes de proportion de pages consacrées à l’étude de la langue, Il a été constaté, après étude, que 69% de cet ouvrage (le Grevisse) était consacré aux catégories de mots contre 22% pour la syntaxe (phrases simples et subordonnées). Ce qui, par conséquent, met en évidence la dominante de la grammaire dite traditionnelle. Cette distribution se manifeste clairement dans les manuels de 1ère et 2ème années et à un degré moindre dans celui de la 3ème année. Ce qui pousse les enseignants, dans la pratique de la classe, à être plus portés vers un enseignement grammatical à visée notionnelle et sémantique que structurale.(V. chap11. Les techniques employées et leur impact). S’étant familiarisés avec de ce type de grammaire, les enseignants la pratiquent de façon inconsciente sans pouvoir s’en détacher. Le fait aussi que cette structuration des livres qui sont à leur portée soit conçue ainsi signifie une occultation de la hiérarchisation dans la construction des phrases ( l’analyse en constituants et en groupes). Il faut aussi noter que cette grammaire occulte la grammaire de texte en ne dépassant pas l’analyse de la phrase. Le métalangage est loin d’être "cohérent". On ne parle guère de catégorie de déterminants alors que celle des "adjectifs" et des "articles" y figurent.

Il faut aussi noter l’utilisation d’expression de "compléments circonstanciels" et non des compléments de phrase ni de base. Si on ajoute le fait que ces concepts grammaticaux sont définis sur la base de considérations sémantiques plutôt que syntaxiques, on arrive à

50 caractériser donc les contours de cette grammaire traditionnelle. Ce qui marque une rupture avec les nouvelles tendances en grammaire.

1-1. Le raisonnement à base sémantique et ses limites

1-1-1. De la notion des catégories de mots

Héritière d’une grammaire normative fondée sur la codification du système de la langue, la grammaire traditionnelle s’est développée autour des catégories de mots définies à partir de leur sens (le nom est un mot…, le verbe est un mot…, l’adjectif est un mot…, etc.). Cela n’a pas manqué d’entrainer de nombreuses confusions dans la manière d’interpréter et de classer (en différentes catégories) les mots. Et c’est dans ce sens que la grammaire traditionnelle s’est avérée insuffisante et incapable de fournir les explications adéquates pour classer les mots.

Alors que les critères morphologiques ou syntaxiques permettent de mieux comprendre pourquoi un même mot peut appartenir à plusieurs catégories selon son contexte d’utilisation, c'est-à-dire selon sa position dans la phrase ou dans le groupe de mots auquel il appartient (lance, garde, cache,…), le critère sémantique ne permet pas cela puisqu’il restreint la signification de ce mot à une seule nature. Or, le mot n’est pas attaché à une seule nature.

Cette manière de procéder ne manque pas de créer des confusions chez les élèves en situation d’apprentissage. Aussi, serait-il plus sain de parler de "classe des mots" à la place de nature.

1-1-2. De la notion des fonctions

En grammaire traditionnelle, les fonctions sont aussi définies sur une base sémantique. A partir d’un jeu de questions et de réponses dont l’application s’avère souvent délicate, la grammaire traditionnelle tente d’expliquer, par exemple, les fonctions sujet et complément d’objet en les ramenant aux définitions suivantes : le sujet est l’élément qui désigne l’être ou l’objet dont on dit ce qu’il fait ou subit, ce qu’il est alors que le complément d’objet se joint au verbe et désigne la personne ou la chose auxquelles aboutit l’action du sujet. Ces définitions prises telles qu’elles, peuvent dans certaines situations s’avérer, fort abstraites pour des élèves de collèges et même du lycée. Car, dans une phrase du type "Les enfants

51 apprennent la grammaire", il est difficile de concevoir que la grammaire subit l’action d’apprendre selon les définitions précédentes. De telles définitions peuvent donc prêter à confusion. Aussi, les définitions sémantiques des fonctions deviennent-elles vite peu efficaces, comme c’était le cas pour les catégories de mots, au point où de nombreuses grammaires de référence ne les utilisent même pas.

Si les questions du type "Qui" ? "Qui est-ce qui" ? " Qu’est-ce que" ?... permettent de trouver les sujets et les compléments " d’objet" plus facilement que les définitions sémantiques, c’est parce qu’elles amènent inconsciemment l’apprenant sur le terrain de la syntaxe. Elles renvoient, en quelque sorte, à l’ordre des constituants dans la phrase de base, c'est-à-dire à une approche structurale où la place des constituants est importante et détermine leurs fonctions28.

D’une manière générale, ces quelques exemples montrent bien la nécessité de maîtriser des connaissances grammaticales qui dépassent le cadre des questions, réponses, toujours posées une à une, pour arriver à une analyse juste. Le problème des procédures traditionnelles et qu’elles ne fournissent pas une vision générale de la construction de la phrase ; elles n’aident donc pas à concevoir la langue comme un système organisé. Et l’élève du collège n’est pas en mesure de développer seul une telle conception ! Car, ce type de grammaire est encore présent dans nos classes aux collèges (nous aurons à le vérifier dans l’analyse des items destinés aux quatre niveaux).

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Conclusion partielle

Si nous avons soulevé le problème des incertitudes de la grammaire traditionnelle à travers l’application de ses règles c’est que celle-ci est toujours présente dans nos classes, et particulièrement au primaire et au collège. Elle est donc fortement ancrée dans le cadre des pratiques d’enseignement/apprentissage, comme nous aurons à le voir à travers l’analyse des techniques, et se manifeste à travers deux critères seulement (catégories, fonctions). La syntaxe, ou construction de phrases, y occupe peu de place par rapport au traitement réservé aux catégories de mots (nom, adjectif, adverbe, verbe, pronom, etc.) Nous avons vu également que les procédures pour trouver les fonctions se présentent sous forme de questions( qui est-ce qui ? avant le verbe ; qui ? ou quoi ? après le verbe, etc.) Il est évident que de cette manière là, les incertitudes de la grammaire traditionnelle résident dans le fait que les concepts grammaticaux y sont définis sur une base sémantique. Cette manière de les définir s’avère incomplète29 et ne permet pas de distinguer l’étude de la langue de celle du réel, ce qui mène assez souvent à des erreurs d’analyse ou à des confusions dans les interprétations.

D’un autre côté, nous avons également noté que les procédures utilisées dans le cadre des fonctions ne sont pas assez fiables du point de vue des interprétations. Comme les mots étaient traités séparément, on ne pouvait pas dégager d’une façon tout à fait naturelle de liens avec la syntaxe. Cela a pour effet de les "approcher" uniquement sur la base de règles et d’exceptions. Une réflexion s’engagea alors afin de combler les insuffisances constatées au niveau de l’analyse et de la définition des concepts qui caractérisaient l’étude de la langue. Il fallait surmonter ou encore mieux combler cette approche sémantique qui s’est avérée insuffisante à traduire tous les faits de langue par une approche formelle qui tendait à expliquer le fait que les formes d’expression d’une langue avaient leur propre évolution historique, indépendante de l’ensemble des facteurs logiques ou psychologiques. Le but, à travers ces recherches, était d’établir un ensemble de règles concernant cette évolution, semblables aux règles objectives utilisées dans des matières avérées telles que les sciences naturelles. Ces règles devaient donc s’appliquer au matériel concret du système de la langue représenté par ce que l’on identifiera par l’expression les unités linguistiques, telles que les sons de la langue ou les formes fléchies des mots. Un nouveau regard fut jeté sur la

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53 langue et son évolution permettant de jeter les bases d’une approche grammaticale nouvelle représentée par ce que l’on connaît sous l’expression de grammaire comparée. La recherche dans l’histoire des langues, qui n’a pas manqué de soulever de nombreuses questions conduisant à des considérations renouvelées sur le langage, a ouvert une nouvelle ère sur le plan de la recherche à travers cette nouvelle approche.

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