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Chapitre 1. Conception et approche historique

3. Grammaire et enseignement du français

Dans le cadre de l’instruction, cette époque fut marquée par l’avènement des Ecoles centrales qui remplacèrent les collèges. Dans ces Ecoles, La grammaire prend la place de la philosophie et est associée aux mathématiques.

André Chervel (1977) a retracé dans"…et il fallut apprendre à écrire à tous les petits Français", la naissance et l’histoire de la grammaire scolaire qui est l’aïeule de la grammaire traditionnelle. Dans ces Ecoles qui d’ailleurs retrouvèrent leur vocation première de collèges, l’enseignement du latin fut introduit de force même si plus tard la promotion du français comme langue de la République signa irrémédiablement le recul du latin. Le travail grammatical s’appuyait à cette époque sur le livre de L’homond " Eléments de la grammaire française" (1780) qui fut choisi comme référence. La grammaire scolaire prend donc forme avec cet ouvrage qui fut adopté en 1795 comme manuel scolaire pour les

32 écoles primaires. Ce livre préconisait l’usage avec prédominance de l’orthographe tout en accordant une place importante aux parties du discours. Chervel insiste sur le fait que le livre de L’homond introduisit une méthode d’apprentissage de l’écriture française. Ainsi, le cadre conceptuel d’un apprentissage grammatical scolaire fut énoncé à travers un style simple clair et bref. Ce qui ne manquera pas de révolutionner l’enseignement du français et fonctionnera comme source d’inspiration et d’innovation à la conception de séries d’exercices portant tout aussi bien sur l’acquisition de l’orthographe que sur les parties du discours. L’analyse grammaticale et l’analyse logique entrèrent également dans l’école. Par la suite, on introduisit graduellement les concepts de fonctions grammaticales qui consistaient à faire passer les fonctions ( sujet/attribut/complément) du plan logique au plan grammatical et à partir des notions ainsi obtenues, à rendre compte des principaux accords orthographiques dans la phrase.

Nous voyons donc bien à travers cette description, la mise en place d’un système fondé tout à la fois sur la description de ce système et de certaines applications dans lequel on puisait pour transmettre un savoir et un savoir faire. Chervel ne manque pas d’ailleurs de le souligner en disant qu’ : "on consultait la grammaire pour apprendre ou comprendre la langue. On va désormais se livrer à des exercices pour apprendre cette grammaire"(1977, p.102). Mais, comme nous ne pouvons pas le nier, l’évolution entraîne parfois une remise en cause de ce qui a été développé en termes de connaissances et de savoir dans un domaine précis pour faire l’objet d’une réorganisation ou d’une réinterprétation. Il en est ainsi le cas de la discipline grammaticale qui devient, au fil de ces pratiques et de ces raisonnements parfois douteux, nous sommes au niveau de la langue, une matière rebutante qui ennuie et dégoûte. Nous pouvons pour preuve citer à ce propos Beaudry,(1873) qui a dit "Et pourtant la grammaire excite un dégoût universel ; elle est le supplice de l’enfance" ou encore Anatole France, 1885 dont les termes traduisent mieux la mise à l’écart de cette première grammaire scolaire : "Qu’il me soit permis de m’étonner qu’il faille faire des exercices si douloureux pour apprendre une langue qu’on nomme maternelle, et que ma mère m’apprenait fort bien, seulement en causant avec moi." Ce qui explique l’évolution significative de cette première grammaire scolaire.

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3.2. La deuxième grammaire scolaire

Selon Chervel, cette grammaire fut achevée en 1920. Elle a commencé à prendre forme à partir du XIXe à travers une série de changements modestes mais continuels, qui ont fini par transformer complètement le cadre précédent. Cette grammaire est née du besoin même de l’école et c’est tout naturellement qu’elle fut une continuité de la première. En s’adaptant avec son temps, elle introduisit certaines nouveautés comme :

-la fin des explications byzantines recourant aux sous-entendus,

-le développement d’un système des fonctions qui permet d’analyser totalement la phrase, -le développement de l’analyse vers les structures complexes telles que les phrases subordonnées. Cette grammaire se développa aussi en dégageant de proche en proche de nouveaux compléments et de nouvelles fonctions, ce qui ne manqua pas d’entraîner, bien entendu une nouvelle terminologie. Par exemple, comme l’adjectif remplissait la fonction d’attribut, il devenait indispensable d’identifier sa fonction dans la phrase quand il n’est pas attribut. On inventa alors la fonction épithète. Ce qu’il faut retenir de cette deuxième grammaire, c’est qu’elle a tenté d’articuler la nature des mots et celui de leur rôle dans la phrase. L’objectif était de pouvoir situer chaque terme d’une phrase selon un double repérage, nature/fonction, afin de bien appliquer les règles d’accord. Car, ainsi que Chervel l’affirme avec force, la raison d’être de la grammaire scolaire est de justifier l’orthographe :

"Il fallut donc apprendre l’orthographe à tous les petits Français…Pour cette tâche on créa l’institution scolaire. Pour cette tâche, l’institution scolaire se dota d’un instrument théorique, d’une conception globale de la langue qu’elle présenta arbitrairement comme la justification de l’orthographe."

A travers cette grammaire, se développa également la syntaxe de la phrase complexe avec l’introduction des subordonnées dans la grille des fonctions. Par conséquent, le concept de proposition fut relégué et dépassé par celui de phrase qui traduit bien cette notion d’unité.

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Conclusion partielle

L’usage d’une langue varie avec le temps, dit-on. Les descriptions, qui se veulent un reflet de l’usage, varient également. Les représentations ou conceptions du grammairien au sujet de la langue évoluent sans cesse, se raffinent aussi avec le temps. Les grammaires sont ainsi appelées à être modifiées, non seulement dans leurs premiers moments (comme nous l’avons vu avec les Grecs par exemple), mais tout au cours de l’histoire. Ce qu’il faut donc retenir de cette première approche de la grammaire, c’est le fait qu’à travers son évolution, de grammaire générale à grammaire scolaire (I & II ), la grammaire fut une succession d’hypothèses à partir desquelles furent expliqués, et son fonctionnement et certains de ses aspects (syntaxe ou morphologie du mot). Les traditions grammaticales françaises ont pris leurs racines, comme nous avons eu à l’expliquer dans les études de langue amorcées par la philosophie grecque source de toute inspiration qui a conduit aux fondements d’une théorie grammaticale. Celle- ci se ramènera, par la suite, à une théorie des parties du discours qui traitera les mots selon leur catégorie. Ces catégories furent établies sur des critères des sens, de contenu. Selon la conception d’Aristote, il y en avait au début, quatre (le nom, le verbe, la conjonction, l’article) correspondant à des pensées pour lesquelles on peut déterminer la valeur de vérité. La combinaison de ces parties donna lieu à des phrases représentant des pensées ayant valeur de vérité. C’est ce que nous connaissons sous la dénomination de propositions. Dépourvus d’une tradition grammaticale qui leur soit propre, les Romains, comme nous avons pu le constater imitèrent les Aristotéliciens. La tendance des grammairiens de l’époque fut longtemps d’accepter sans examen critique, le cadre de travail qui avait été au départ conçu pour des études assez retreintes de la langue grecque. Même si ce cadre d’étude s’adaptait à des langues similaires comme le Latin, il n’a pas empêché la mise en exergue des distorsions dans la description des langues dont l’organisation était tout à fait différente. Ce qui expliqua, par la suite, l’émergence de grammaire générale et de grammaire particulière. La première se devait d’être une discipline déductive fondée sur les principes de la logique. Néanmoins, si la grammaire générale convenait à la compréhension du langage humain, il n’y en avait pas moins la nécessité de grammaires particulières convenant, elles, à la description des particularités de chaque langue. Ces descriptions particulières, bien sur, n’avaient pas besoin de mentionner tous les détails d’une langue puisqu’on considérait que

35 la plupart des faits étaient déductibles, par les principes de la grammaire générale, à partir d’un nombre restreint de faits essentiels. Cela a, quand même, eu pour effet de précipiter le retrait du latin au détriment du français dans le cadre d’un enseignement grammatical scolaire fondé sur une description qui se réduisait souvent à l’énoncé d’un ordre de base des mots et des règles orthographiques comme nous avons pu le constater. Cela n’a pas empêché, bien évidemment, l’évolution du système d’enseignement qui passa de l’analyse du mot à celui de la phrase dans sa globalité balayant dans son sillage les structures complexes. L’innovation réside dans le fait que même certains concepts furent relégués et dépassés par d’autres à l’image de proposition.

Dans le même ordre d’idées, nous pouvons dire autant du concept de syntaxe qui s’est "transformé" dans son acception. Par exemple, pendant de très nombreuses années, ce concept était vu dans la perspective du simple au complexe, du mot à la phrase, et non l’inverse. Cette conception, suivant laquelle la syntaxe concernait l’emploi et la construction des mots régna jusqu’à la fin du 19ème

siècle avant de se voir attribuer une autre valeur : celle de l’organisation de la structure de la phrase, allant du tout à la partie, contrairement au mouvement antérieur. Ainsi, le concept de syntaxe a pu évoluer à partir de l’évolution de la grammaire en général. Comme toute théorie "scientifique", la grammaire a donc été marquée par beaucoup de changements à travers son évolution. A travers cette évolution, le visage qu’elle prenait dépendait, à chaque fois, de son objectif premier. Les grammairiens, d’observateurs de l’usage des écrivains (XVIIe) se sont graduellement transformés en législateurs grammaticaux dans le cadre d’une grammaire prescriptive (grammaire de Port-Royal), et jetèrent ainsi les fondements de cette grammaire scolaire fondée sur des normes et des règles même si depuis, elle n’a pas cessé de connaître de fréquents changements.

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