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CHAPITRE 2. PRESENTATION DES POLITIQUES DE DEVELOPPEMENT EN

2.1 Politiques de développement en Turquie et prise en compte de l’environnement

2.1.3 Les conflits environnementaux dans les années 2010

Comme mentionné précédemment, l’ouverture de l’économie turque date de 1980 et elle est basée sur la mise en œuvre de politiques néo-libérales. L’analyse historique des différents plans quinquennaux de développement en Turquie depuis les années 1960 montre que la prise en compte de l’environnement dans la conception des politiques publiques suit la tendance des évolutions internationales dans le domaine de l’économie et de la gouvernance de l’environnement : intégration du concept de développement durable à partir du 5ème

plan, perspective de décentralisation en lien avec l’expérience de l’UE, importance du développement régional et local à partir des années 2000, objectif d’une croissance verte vers les années 2020. Bien que l’environnement soit une référence importante dans les plans de développement, les décalages entre les principes des plans quinquennaux et les investissements réalisés en matière de développement ont engendré des conflits sociaux. Dans cette section, on va brièvement montrer pourquoi, surtout dans les dernières années, on observe une mobilisation des acteurs locaux et nationaux en raison des impacts des investissements centralisés sur les ressources naturelles.

La majorité des critiques concernant les politiques d’écologie en Turquie relient le processus de marchandisation de l’environnement aux règlements et pratiques en cours depuis 1980 (Çoban et al., 2015). Les terres agricoles menacées par l’urbanisation occupent une place importante dans ces critiques. Le constat suivant du rapport de l’Agence de développement de Sud-Egée (Guney Ege Kalkinma Ajansi) sur l’agriculture et l’élevage explicite bien le problème, à propos des terres agricoles, menacées par les changements dans les règlements d’aménagement qui autorisent d’y pratiquer l’installation d’activités industrielles:

« L’un des problèmes remarquables dans la Région de Sud-Egée est la pression exercée sur l’agriculture par les autres secteurs. On observe une diminution dans la surface agricole utilisée totale, une baisse de 8 % pour la période 2005-2011 en raison des autorisations de construction sur les terres agricoles de 1ère classe4. Outre la pression des autres activités, notamment des activités minières, affecte la durabilité des terres agricoles, il est important donc de limiter l’utilisation des terres agricoles pour les d’autres activités que agriculture»

(Öselmis, 2013).

4 Les terres agricoles de 1ère classe sont les terres fertiles avec très peu de pente et une bonne capacité pour la

retenue de l’eau. La productivité dans ces terres est plus élevée par rapport à la productivité moyenne des autres terres dans la région. Elles représentent 6,5 % des terres en Turquie (Commission, 2014).

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Un autre problème environnemental mentionné dans les plans quinquennaux est l’urbanisation dans les zones côtières. Les politiques en faveur du tourisme encouragent les agriculteurs à vendre leurs terres afin de bénéficier de revenu foncier ou à quitter l’activité agricole pour le tourisme (Atik et al., 2006).

Compte tenu de nombreux exemples on peut se questionner sur le décalage entre les objectifs de développement définis dans les plans quinquennaux et ce qu’on constate dans la réalité. L’une des réponses à cette question pourrait reposer sur le fait que les autorités régionales et locales ne participent pas à la prise de décision sur les politiques environnementales qui les concernent (Bayraktar et Massicard, 2012). Pourtant, la décentralisation et une certaine prise d’autonomie sont prévues à travers le transfert de responsabilités aux autorités locales mis en place par le changement de la loi 5302 en 2005, (loi de l’administration provinciale spéciale). La loi 5779 en Juin 2008 est également porteuse d’une nouvelle vision sur la distribution de budget public en faveur des autorités locales. Pour autant, les modifications des lois restent au niveau juridique et le changement souhaité n’est pas visible en pratique. L’une des raisons est que les réglementations environnementales sont principalement adoptées par la pression de la communauté internationale et ne sont pas bien appropriées par les institutions locales dont l’initiative et la vision sur les enjeux environnementaux sont limitées et faibles (Akbulut et Soylu, 2012). Autrement dit, les conflits environnementaux liés à la gestion des ressources ne peuvent pas être expliqués seulement par l’absence des réglementations nécessaires, mais aussi par l’absence d’évolution des mentalités de certaines institutions (absence de philosophie de bonne gouvernance environnementale en faveur du bien-être de la société). Ainsi, les constats suivants dans les plans quinquennaux mettent en évidence les limites institutionnelles et l’absence de coordination entre institutions par rapport à la gouvernance environnementale:

« En Turquie, il existe beaucoup de dispositions législatives pour la protection de l’environnement. L’évaluation de la Loi de l’Environnement et des règlements montre qu’il y a certaines incohérences et répétitions qui posent problèmes dans la mise en œuvre de la législation environnementale.

Le problème principal est que la Loi 2872 sur l’environnement est de plus en plus incapable de répondre aux besoins de la situation actuelle.

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Bien que la réglementation de l’Evaluation de l’impact environnementale (CED) soit mise en œuvre, il existe les limites liées à la disponibilité des données ainsi qu’au manque de personnels qualifié et formé de façon appropriée. Il y a également d’autres limites institutionnelles qui compliquent la bonne démarche de la réglementation ». (7ème Plan du Développement, p. 189, 191)

« Le progrès envisagé sur les collectes des données sur l’environnement et le développement, la surveillance et la mesure, l’inventaire environnemental et les statistiques et standards n’a pas réussi… Les objectifs à propos de la mise en œuvre de l’Evaluation de l’impact environnemental (CED) n’ont pas été atteints ». (8ème

Plan du Développement, p. 187)

« Il existe les problèmes à propos de la gestion durable des ressources naturelles en raison des incertitudes liées à la division des tâches et des responsabilités entre les institutions ». (9ème Plan du Développement, p.28)

« Il faut réduire les conflits émergeant de la division des tâches et des responsabilités et augmenter la coordination entre les institutions ». (10ème Plan du Développement, p. 137)

Du côté des citoyens, leurs critiques des politiques environnementales se concentrent principalement sur le fait d’avoir favorisé les investisseurs en changeant et en modifiant ces lois. Premièrement, leur traçabilité devient assez difficile avec ces changements et modifications assez fréquentes. Çoban et al. (2015) constatent que le nombre de modifications et de changements dans les règlements (yonetmelik) concernant la gestion des ressources naturelles est 40 dont 32 pendant la période 2003-2014 (Çoban et al. (2015), p.17). Deuxièmement, les modifications des lois peuvent aggraver les problèmes de coordination entre les institutions, ce qui est d’ailleurs souvent mentionné dans les plans quinquennaux. Ainsi la modification fréquente de certaines réglementations tout comme l’absence de réglementations nécessaires est des facteurs qui conduisent au développement d’une tension environnementale au sein de la société.

Le contexte structuré par les conflits autour des politiques environnementales en Turquie a donné naissance à des mouvements sociaux tels que la manifestation au Parc de Gezi initialement menée par des écologistes et des citoyens contre le projet de piétonisation de la

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Place de Taksim, la manifestation à Yirca où les oliviers on été déracinés pour la construction de centrales thermiques, et la manifestation à Artvin Cerattepe et à Bergama où les gens se mobilisent contre l’activité minière. Il y a aussi beaucoup de débats sur la pertinence des investissements réalisés, notamment sur les investissements de construction (par exemple la construction du 3ème Aéroport à Istanbul), qui sont critiqués pour leurs impacts négatifs sur les écosystèmes forestiers au Nord d’Istanbul(Yesil Gazete, 2017), et donc sur la qualité de vie des citoyens.

2.2 Présentation de la zone d’étude