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CHAPITRE 1. REVUE DES APPROCHES RELATIVES AUX SERVICES

1.4 Le panier de biens et de services de développement territorial

1.4.1 Hypothèses de l’approche du panier de biens et services

Dans la théorie du consommateur en économie néo-classique, le consommateur est censé être un homo economicus. Il choisit rationnellement les combinaisons qui lui permettent de maximiser ses préférences compte tenu de ses ressources qui sont limitées, de façon à maximiser son utilité. Le problème dans cette théorie tient à l’absence d’échelle de référence pour mesurer l’utilité, qui est par nature subjective. Pour palier en partie ce problème, l’approche du panier de biens et de services s’inscrit dans la théorie de Lancaster qui offre une meilleure mesure de l’utilité en précisant les motifs des préférences. Lancaster (1966) souligne le fait que les produits ont plusieurs attributs qui vont affecter différemment les préférences des consommateurs dans ses choix de consommation. En effet l’approche de Lancaster se base sur les trois hypothèses suivantes (Lancaster (1966) ; Pecqueur (2001)) :

 « Le bien en soi n'a pas une utilité pour le consommateur; il possède des caractéristiques (attributs) et ce sont elles qui déterminent l'utilité du bien.

 En général, un bien peut posséder plus d'une caractéristique et certaines caractéristiques peuvent être partagées par plus d'un bien.

 Les biens combinés entre eux peuvent posséder des caractéristiques différentes de celles qui composent chacun de ces biens pris séparément. »

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Ainsi Pecqueur (2001) souligne que c’est la troisième hypothèse de Lancaster (1966) qui explique la formation du panier à travers une offre de type « bundle1 », c’est-à-dire une offre composite et une demande différenciée pour les services et les biens réunis dans le bundle. Les produits de type package touristique organisés par les agences de voyage constituent un exemple de ce type de panier. Il peut aussi exister des paniers liés à l’ancrage territorial des biens et des services offerts au consommateur, comme par exemple pour les produits AOC (Appellation d’origine contrôlée) où la rente est alors construite par une labellisation conjointe de la qualité et du territoire. Les biens et les services sont donc perçus positivement par le consommateur en fonction de l’image positive du territoire qui est renforcée et institutionnalisée par la certification. Dans ce cas le label réduit (voire supprime) la substituabilité des produits et crée un processus de coopération entre producteurs spécialisés (création collective d’une charte).

Les principales différences entre l’approche du « bundle » et l’approche AOC, sont résumées dans le tableau 5 :

Tableau 5 : Différences entre le modèle de bundle et le modèle AOC

Le modèle bundle Le modèle AOC

Offre-composite non située Offre de produit unique et située Le prix est masqué Le produit est plus transparent L’opérateur touche le surplus Le producteur touche le surplus

Marche de type « livraison » Pas d’arbitrage entre les marchés de types de « livraison » et de type « shopping » Pas d’ancrage spatial, pas de construction

institutionnelle

L’ancrage territorial et la construction institutionnelle

Source : Pecqueur (2001)

Ainsi le modèle de panier de biens et de services s’inscrit dans l’approche de Lancaster en se distinguant des démarches de certification (Tableau 6). En premier lieu, le panier de biens et de services renvoie à une offre composite et située. La relation forte entre la qualité du bien ou service et le lieu où il est produit est reconnue par le consommateur et fonde le différentiel de valorisation. Ces produits ne sont donc pas substituables du fait de leur qualité spécifique. Le consommateur est libre de consommer tels ou tels produits du panier mais il existe un

1 Le terme de bundle chez Pecqueur renvoie au modèle économique de l’offre composite mais non-située. Nous

le reprenons sans faire le lien avec la notion de bouquet de services écosystémiques (en anglais par ce terme de bundle) qu’on a mentionné dans la partie 1.3.1.

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produit leader qui fonde l’intérêt de la démarche de type panier. Le produit leader est le produit principal qui crée le surplus le plus élevé pour les producteurs. Les autres produits du panier accompagnent ce produit en profitant de son image positive et bénéficient aussi d’un surplus. C’est le cas de l’huile d’olive AOC de Nyons qui regroupe d’autres produits ou services dans le panier de Baronnies : vins de pays, plantes à parfums, plantes aromatiques et médicinales, gîtes ruraux, tapenade, savon (Mollard, 2001).

Selon Pecqueur (2001) le surplus du panier est décroissant du centre (où sont les producteurs du produit leader) vers les périphéries du panier qui concernent les autres producteurs. Ce sont donc les producteurs du produit leader qui profitent le plus du panier. Evidemment, le regroupement des producteurs nécessite une construction institutionnelle pour renforcer la solidarité et améliorer la coordination locale. Les producteurs sont donc regroupés autour d’une structure de type « club » grâce à laquelle ils obtiennent un surplus de valorisation. Du point de vue de l’offre, le panier exprime une rente territoriale qui est due à de nouvelles sources de productivité ou de rareté à l’échelle du territoire : Pecqueur (2015) évoque la notion d’écrin pour qualifier ces sources de rente territoriale. Il évoque l’existence de ressources naturelles, la biodiversité et le paysage qui constituent des éléments de rareté, en regard de l’importance actuelle des dégradations environnementales qui caractérisent la plupart des territoires. L’existence de ces éléments contribue à segmenter les marchés et à créer des produits spécifiques et relativement rares (Mollard, 2001).

Du point de vue de la demande, la demande pour les produits du panier est inélastique ou encore dite de type « shopping » dans le sens où les demandeurs cherchent les produits sur place. Ce type de demande correspond aux préférences des consommateurs qui ont le consentement à payer le plus élevé, du fait de la relation spécifique entre la qualité et le territoire. Ainsi, le prix élevé renvoie à une sorte de prix d’option qui rend compte de la contribution du consommateur à la protection ou à la soutenabilité d’une ressource ou à la préservation de l’usage futur d’un bien.

Ainsi comme nous l’avons souligné, la demande pour les produits du panier a deux sources de différenciation pour le consommateur : la qualité et le territoire.

La différenciation des produits par la qualité : Selon Mollard (2001), la qualité fait référence au processus de spécification par lequel les produits de qualité se différencient des produits industriels de qualité générique. La demande pour ces

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produits est rigide (courbe J), et on note que l’augmentation du prix génère une augmentation de la quantité demandée. La qualité est à relier ici à des critères de réputation, d’authenticité ou de typicité qui donnent une image positive et un surplus du consommateur important comme dans l’exemple de l’huile d’olive de Nyons, du sel de Guérande ou des parfums haut de gamme (Mollard, 2001).

La différenciation de la qualité par les territoires : La différenciation de la qualité liée au territoire concerne une gamme de produits et de services complémentaires qui possèdent des critères de qualité comparables : qualité par la certification, qualité spécifique d’origine, de savoir-faire, qualité de l’authenticité, qualité de la réputation, qualité de l’image (Mollard, 2001). La qualité territoriale est donc liée à l’image positive du territoire et on observe une relation forte entre le produit et le territoire. Les éléments constitutifs du panier de biens et de services sont donc résumés à travers les trois hypothèses suivantes (Mollard et Pecqueur, 2007):

 un ensemble de biens et de services complémentaires qui se renforcent sur les marchés locaux

 une combinaison de biens privés et publics (notion d’écrin) qui concourent à élaborer l’image et la réputation de qualité du territoire ;

 une coordination interactive entre les producteurs du panier (« club ») pour internaliser la rente de qualité territoriale (RQT).

Tableau 6 : Les caractéristiques du modèle de panier de biens et de services

Le modèle du panier Offre située et composite

Surplus de type conjoint Surplus bénéficie à un « club » de

bénéficiaires privés et publics Biens non substituables Marché de type shopping Construction institutionnelle

Temporalité : trajectoire

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1.4.2 Présentation des types de rente qui fondent la notion de panier de

biens et services

Pour expliquer la plus-value attendue au niveau de la valorisation du panier de services et de biens, par rapport à des valorisations disjointes des composantes de ce panier, cette approche associe deux types de rente2:

i) Rente territoriale : la rente territoriale, dans la filiation ricardienne de la rente, est

centrée sur l’offre. Elle met l’accent sur les éléments de l’offre qui distinguent les territoires et les espaces par rapport aux autres, c’est-à-dire la différenciation des produits, des services et l’existence d’externalités. En effet pour Ricardo, il existe une rente différentielle qui est fonction de la fertilité des terres, et qui a donné lieu à de nombreux développement dans les années soixante, portant sur la « rente foncière » et les logiques de capitalisation de la terre selon les zones.

La notion de panier de services et de biens mobilise ce type de rente différentielle qui dépend des spécificités des produits et des entreprises (Mollard, 2001). Cette rente trouve son origine dans la rareté des facteurs qui ne sont pas produits mais qui sont associés à l’image des produits locaux. Dans le cas où ces facteurs seraient abondants et accessibles, il n’y aurait pas d’avantage de rareté et donc pas de rente territoriale.

ii) Rente de qualité : La rente de qualité s’inscrit dans l’approche marshalienne de la

rente qui met l’accent sur les éléments de la demande en lien avec les préférences des consommateurs, notamment quant à la plus ou moins grande qualité des produits ou des services (Mollard, 2001).

Rappelons que le surplus du consommateur renvoie à l’excédent de bien-être, autrement dit, la différence entre le prix de marché du produit et le consentement à payer du consommateur pour ce produit, qui reflète le niveau de satisfaction du consommateur. Ce surplus du consommateur peut être affecté par plusieurs facteurs tels que le revenu disponible, la rareté du produit, sa substituabilité et la rigidité de la demande. Toutefois, la spécificité d’un produit peut aussi, en renforçant l’image du produit, en accentuant sa rareté (difficulté de substitution),

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En économie, la définition de la notion de la rente a fortement évolué au cours du temps comme le rapporte Mollard (2001).

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contribuer à la rente marshallienne axée sur la qualité. En effet si les caractéristiques du territoire ont de la valeur pour le consommateur, il existe des externalités positives qui rendent les produits spécifiques et que les producteurs doivent exploiter.

iii) Rente de qualité territoriale (RQT) : La rente de qualité territoriale permet

d’associer ces deux types de rente. Elle permet une valorisation conjointe du point de vue de l’offre et de la demande à l’échelle du territoire (Mollard et Pecqueur, 2007). La relation entre les notions de « qualité » et de « territoire » conduit à combiner la rente territoriale et la rente de qualité. Dit plus précisément il s’agit des rentes conjointes des produits qui constituent le panier de biens et de services. La formation de cette rente est étudiée par (Lacroix et al., 2000) dans le cas de l’huile d’olive de Nyons (produit leader) et des autres produits qui sont associés à cette huile dans le panier : gîtes ruraux, vins de pays, huiles essentielles et plantes aromatiques. Les résultats empiriques montrent bien l’existence d’une rente de qualité territoriale pour les gîtes ruraux de qualité supérieure alors qu’elle n’existe pas pour les campings, l’hôtellerie classique et les gîtes d’étape. De même les vins de type de « production au domaine » ont un prix supérieur par rapport à celui des vins issus de coopératives qui témoignent aussi de l’existence de la RQT. Quant aux plantes aromatiques et médicinales, c’est le procédé de transformation (savoir- faire local) qui donne une spécificité aux produits. On note ainsi une collaboration des laboratoires pharmaceutiques locaux pour valoriser la RQT dans ce secteur. Ces résultats empiriques permettent de mieux comprendre les caractéristiques de cette rente, sachant que chacun des produits au sein du panier n’est pas nécessairement concerné par la RQT. C’est le cas des campings, de l’hôtellerie classique et des gîtes d’étape. De même il convient de souligner que la pérennisation de cette rente implique la pérennisation de ces externalités, pérennisation qui peut nécessiter l’intervention publique notamment au niveau de la gouvernance locale. Cette pérennité sera d’autant plus forte que la diversité des produits au sein du panier sera large. Autrement dit le développement territorial est d’autant plus stable qu’il repose sur une large gamme des produits et services de qualité locale (Mollard, 2003).

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Ces différentes notions de rente sont donc au cœur de la définition de l’approche de panier de biens et services. La RQT est la principale propriété du panier qui combine l’offre et la demande, mais aussi la qualité et le territoire, ce qui conduit à définir le panier de biens et services à partir d’une relation selon quatre axes. Le tableau 7 illustre la relation entre les éléments de la RQT sous forme de matrice: offre-demande et qualité-territoire. Coté « qualité », il s’agit de concilier le surplus du producteur et le surplus du consommateur. Mollard (2001) constate que le passage du surplus du consommateur à la rente de qualité (courbe de demande de type J) peut être compatible avec le surplus de producteur de type effet-club, c’est-à-dire dans le cadre d’un regroupement des producteurs locaux autour de produits leader en profitant des externalités territoriales. Côté de « territoire » il s’agit de passer de la rente différentielle à la rente territoriale pour les producteurs lorsqu’il y a une forte demande spécifique du consommateur pour les produits et services ancrés dans le territoire. Le panier est donc constitué de biens ou de services complémentaires, mixtes. Il vise à internaliser la RQT par une construction institutionnelle. La coordination des producteurs se base sur des formes de solidarité qui structurent leurs stratégies. Compte tenu de sa nature, on peut évaluer la RQT en évaluant d’une part la rente territoriale et d’autre part la rente de qualité.

Tableau 7 : Matrice de la RQT

TERRITOIRE

(filiation ricardienne : rareté, facteurs naturels, localisation, distance…)

QUALITE

(filiation marshallienne : intensité des préférences, rigidité de la demande…)

OFFRE

De produits et services complémentaires, spécification des ressources

De la rente différentielle

(foncière, de la localisation)

à la rente territoriale

De la différenciation des produits et services de qualité

(effet-club) au surplus du producteur DEMANDE Intense et différenciée de produits et services localisés

Préférences pour un territoire biens publics et privés, ressources intrinsèques et

construites

Du surplus du consommateur (pour un panier de biens)

à la rente de qualité

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