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CHAPITRE 1. REVUE DES APPROCHES RELATIVES AUX SERVICES

1.3 Les apports récents sur l’interaction des services écosystémiques

1.3.1. La notion de bouquet de services écosystémiques

Depuis quelques années, la notion de bouquet de services a été introduite de façon à étudier les interactions entre de multiples services écosytémiques relatifs aux territoires en général (Lavorel et al. (2011); Lavorel et al. (2016)) ainsi que dans le cas particulier de l’élevage; (Ryschawy et al. (2013); Gos (2013)). Dans la littérature anglosaxone, cette notion a été introduite afin de développer l’étude des dynamiques socio-écologiques des écosystèmes et les conditions d’une bonne gestion des services écosystémiques (Bennett et al. (2009) ; Raudsepp-Hearne et al. (2010) ; Martín-López et al. (2014)). Selon ces chercheurs l’étude de l’interaction et des arbitrages (trade-off) entre les services écosystémiques peut permettre de prendre en compte l’impact d’un service sur un autre ou sur l’ensemble, ce qui peut faciliter la mise en place de politiques mieux adaptées aux conditions locales d’une zone.

Il est en effet important dans les politiques de gestion des écosystèmes, que les actions qui sont menées à propos de la préservation de certains services ne conduisent pas à dégrader l’équilibre des écosystèmes, c’est-à-dire qu’il s’agit de ne pas favoriser un service au détriment des autres (en particulier bien évidement le cas des services d’approvisionnement par rapport aux services de régulation ou de support). Selon le MEA (2005), pour éviter cet écueil, il faut, conformément à la logique d’une approche systémique, prendre en compte les arbitrages (trade-off) et la synergie entre les services à différentes échelles. Ainsi l’approche dite de bouquet de services écosystémiques implique une gestion concertée des services

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écosystémiques à travers une analyse des dynamiques socio-écologiques qui structurent les relations au sein des écosystèmes au niveau local.

Dans leur publication, Bennett et al. (2009) se basent sur la définition des services écosystémiques issue du MEA (2005) ainsi que celle proposée par Daily (1997). Ils soulignent la nécessité de faire une typologie des interactions entre services écosystémiques selon deux types de relation :

 les effets de « driver » communs à plusieurs services écosystémiques (driver commun impliquant que des services sont sensibles à des évolutions/actions/pression/incitation similaires dans l’esprit d’une « famille » de services) et

 l’existence d’interactions entre les services, au sens de liens fonctionnels qui peuvent relever d’arbitrages ou de synergies

Ces notions d’arbitrages ou de synergies sont définies dans le tableau 2 à partir des définitions données par les auteurs.

Tableau 2 : Les types de relation entre les services écosystémiques

Arbitrage (trade-off) des services écosystémiques

Augmentation d’un service alors qu’on observe une diminution d’un autre.

Cette évolution peut résulter d’une réponse simultanée à un driver commun, soit être le résultat de leur interaction fonctionnelle.

Synergie entre les services écosystémiques

Les services augmentent ou diminuent simultanément dans le même sens. Là encore cette évolution peut résulter d’une réponse simultanée à un driver commun ou être le résultat de leur interaction.

Source : Bennett et al. (2009)

Les auteurs constatent que la typologie des services écosystémiques en fonction de ces types de relations peut faciliter la reconnaissance des systèmes écologiques et la gestion des services écosystémiques en diminuant l’arbitrage et en augmentant la synergie afin d’améliorer la résilience et la durabilité au niveau local ainsi que régional. Pour souligner la complexité des relations entre les services écosystémiques, les auteurs utilisent la notion de « bouquet » (bundle en anglais), pour rendre compte de « l’ensemble des services

écosystémiques qui sont en relation dans le temps et dans l’espace » (Bennett et al. (2009),

p.1398). Ils proposent une typologie des services écosystémiques en tenant compte de trois points. En premier lieu les auteurs soulignent l’importance de quantifier l’offre des services écosystémiques à travers une approche socio-écologique intégrée. Deuxièmement, ils

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proposent de déterminer les points de levier de chaque système qui permettent d’augmenter les bénéfices. Enfin dans un troisième point, ils évoquent la nécessité de tenir compte du rôle des variables structurelles (slow variables) sur les services de régulation pour la résilience des écosystèmes. Il est important de mieux connaitre ces variables pour comprendre le fonctionnement des écosystèmes et préciser ainsi les facteurs de la résilience à long terme. Raudsepp-Hearne et al. (2010) utilisent également la notion de bouquet pour rendre compte des services écosystémiques qui apparaissent de façon liée dans le temps et dans l’espace. Selon les auteurs l’avantage de prendre en compte les services écosystémiques à travers la notion de bouquet est de pouvoir identifier les zones où les écosystèmes produisent à la fois les services écosystémiques souhaitables ou non-souhaitables. Autrement dit, la prise en compte spatiale des arbitrages et de la synergie entre services permet de définir les liens entre le système écologique et le système social et de réduire le coût de la dégradation des services pour la société en améliorant la multifonctionnalité du territoire et le bien-être. Ils proposent pour identifier ces bouquets de quantifier l’offre de services écosystémiques et d’étudier l’interaction entre les services.

Raudsepp-Hearne et al. (2010) offrent un cadre méthodologique en trois étapes. Il s’agit d’abord d’étudier la distribution spatiale de chaque type de service écosystémique, de façon à identifier leur concentration géographique. Dans un deuxième temps, il s’agit d’analyser les corrélations de façon à étudier les arbitrages et les synergies entre les services écosystémiques. Ces deux étapes permettent dans un troisième temps d’identifier et d’analyser les bouquets de services écosystémiques. Dans la logique d’une analyse de cluster, les auteurs identifient les bouquets en regroupant les zones ayant des caractéristiques similaires. Ils déterminent ensuite les bouquets qui dépassent les seuils de référence pour des indicateurs donnés, tels que la rétention du phosphore dans le sol, la matière organique du sol et la qualité de l’eau. La troisième étape permet donc de comparer les effets des bouquets sur le bien-être.

Bien qu’ils n’évoquent pas la notion de bouquet de services écosystémiques, l’article de Martín-López et al. (2014) relève de cette catégorie de recherche. En effet, ces auteurs développent une approche méthodologique associant les dimensions biophysiques, socio- culturelles et monétaires pour évaluer l’offre et la demande de services écosystémiques en faisant référence à Raudsepp-Hearne et al. (2010). Pour examiner l’offre de services écosystémiques, les auteurs se focalisent sur les valeurs biophysiques (en quantité physique)

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fournis par les écosystèmes. Pour évaluer la demande de services écosystémiques ils proposent deux méthodes : en premier lieu, une enquête de perception permet de connaitre quels sont les services qui sont considérés comme les plus importants pour les enquêtés. Ensuite la demande de services écosystémiques est monétarisée à travers des techniques variées : évaluation contingente, méthode de coûts de déplacement, évaluation par les prix de marché, évaluation de l’investissement public. Ainsi l’évaluation de l’offre et de la demande de SE permet de développer une approche intégrée pour comprendre les arbitrages ou les synergies entre les services.

L’utilisation du concept de bouquet de services écosystémiques est assez récente dans les recherches françaises. Ryschawy et al. (2013) examinent les interrelations des services écosystémiques à travers le concept de bouquet de services, pour les territoires français concernés par l’élevage. Pour ces auteurs, le bouquet de services écosystémiques renvoie à « l’ensemble de services produits simultanément dans le temps et l’espace”. Ils identifient quatre services rendus par l’élevage : service d’approvisionnement, service de qualité environnementale, service culturels et service de vitalité territoriale. Ils définissent la vitalité territoriale comme le fait de créer des emplois et d’impulser un dynamisme rural à travers l’élevage. En attribuant cinq indicateurs pour chaque service écosystémique rendu par l’élevage, les auteurs quantifient l’apport des services et construisent les bouquets en fonction de l’importance de cet apport. Ils obtiennent ainsi 4 types de bouquets de services écosystémiques (Tableau 3) :

Tableau 3 : Les quatre bouquets de services écosystémiques liés à l’élevage en France

Caractéristiques du bouquet

Bouquet 1 Forte production de services d’approvisionnement et de vitalité

Bouquet 2 Forte production de services environnementaux et patrimoniaux

Bouquet 3 Production modérée de services d’approvisionnement et de vitalité

Bouquet 4 Production modérée de services environnementaux et patrimoniaux

Source : Ryschawy et al. (2013)

Dans sa thèse Gos (2013) étudie les services rendus par les prairies en lien avec l’élevage dans le Vercors (France). Comme Ryschawy et al. (2013), l’auteur questionne les éléments et les conditions qui permettent de caractériser des bouquets de services pour les prairies.

Lavorel et al. (2014), quant à elle, définit la notion de bouquet en fonction de la répétition et de la distribution des services dans le temps et dans l’espace et elle en déduit une typologie des paysages, à l’échelle locale ou globale en fonction des types de bouquets. En regroupant

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les services écosystémiques dans des bouquets, il est ainsi possible d’étudier les caractéristiques de chaque bouquet en fonction de l’état du milieu écologique.

Tichit (2014) intègre l’agroécologie comme un outil d’évaluation des services écosystémiques dans le modèle du bouquet. Selon ce chercheur un bouquet de service équilibré représente une répartition équilibrée des trois types de services écosystémiques : service de régulation et de support, service d’approvisionnement, et service culturel (Figure 2). Ce bouquet équilibré correspond à une situation de vitalité du système agricole dont l’évaluation est ainsi multicritère.

Figure 2 : Bouquet de services

Source : Tichit (2014)

Ces approches concernant la notion de bouquet de services écosystémiques montrent, en premier lieu, qu’une approche écosystémique doit prendre en compte les relations mutuelles entre les services écosystémiques à l’échelle du territoire. En effet il est plus facile pour comprendre les arbitrages et les interactions d’étudier les services écosystémiques à une petite échelle. Il s’agit ensuite d’étudier les liens entre les territoires qui sont en interaction. Ainsi par rapport au territoire, la notion de bouquet de service écosystémique, offre une approche large, proche de l’approche écosystémique que nous développons (section 1.5). On retrouve cette perspective avec Ryschawy et al. (2013) et Tichit (2014) qui prônent le fait que cette approche améliore l’analyse des impacts des activités agricoles sur les services écosystémiques, notamment à travers des pratiques de l’agro écologie. Cependant soulignons que la notion de bouquet de services écosystémiques se focalise sur la compréhension des arbitrages et des interactions entre services dans le bouquet, en se situant plutôt de côté de l’offre, alors que notre approche comme nous le verrons essaie de tenir compte des deux volets offre et demande, en se focalisant sur l’internalisation des externalités positives à travers les outils de développement territorial.

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