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Au cours de la fin des années quatre-vingt-dix, entre colloques et publications consacrés au design et à la sémiotique des objets quotidiens, le thème des objets est devenu assez présent dans le débat de la sémiotique française ainsi que dans la sémiotique italienne. Pour cela mes recherches commencées pendant la thèse et la publication d’Oggetti in azione ont donné lieu à la possibilité de publier encore sur ces thèmes en exploitant d’une façon plus détaillée les objets analysés. Une de ces occasions s’est présentée avec un numéro monographique de Protée dirigé par E. Landowski et G. Marrone au sujet de La société des objets. L’article « Organisations interobjectives et intersubjectivité dans les trains » est sorti dans cette revue et m’a permis de revenir avec une attention majeure sur la question des relations entre les objets. En particulier, après avoir analysé les objets qui aménagent l’espace des trains et leurs rapports réciproques, j’ai poursuivi ma recherche par l’articulation conséquente des relations intersubjectives qui s’en dégagent.

Tous les objets présents dans un lieu créent un contexte particulier. Ils n’ont pas de sens en eux-mêmes, mais ils transforment et augmentent leurs propres

potentialités sémiosiques dans la relation avec les autres objets. De cette façon, ils

« Organisations interobjectives et intersubjectivité dans les trains » (Deni 2001a)

prennent une identité à valeur relationnelle. C’est pour cela que la relation syntagmatique des objets, comme le résultat des rapports réciproques (paritaires, hiérarchiques, positionnels)50, construit chaque espace ainsi que l’interprétation même de l’espace. L’efficacité factitive, en tant qu’effet de sens global descend alors de la co-présence de différents objets qui, perdant leur sens original, se recontextualisent dans le déploiement de signes-objets.

L’analyse de la disposition, de la forme et même de la relation entre les différentes parties des objets qui composent l’équipement des trains met en évidence des caractéristiques importantes par rapport au thème de l’interobjectivité. Notamment, les relations entre les objets : a) prescrivent des configurations

proxémiques préconstituées entre les sujets qui sont dans le même espace ; b)

déterminent l’interprétation de l’espace; c) modifient le type de relation que les voyageurs entretiennent réciproquement. La disposition des sièges, des tablettes, des cendriers et de tous les autres objets, agit sur le plan proxémique en présupposant la mise en acte d'une syntaxe générale de séquences d'action. La factitivité de ces objets influence les modalités personnelles du voyageur de saisir sa disposition de l’espace et les possibilités d'interaction entre voyageurs tout en transformant le train, selon les circonstances, en espace topique (lieu d'action) ou en espace hétérotopique (lieu de suspension de toute action). Les objets statiques aussi bien que dynamiques, comme les fauteuils ou tous ces objets qui s’ouvrent, s’allongent, s’élargissent comme le cendrier, les tablettes et les accoudoirs, ont des influences remarquables.

Le train est un exemple intéressant car c’est un moyen de transport public qui réunit dans le même espace des personnes qui ne se connaissent pas, mais qui sont contraintes de voyager ensemble pour atteindre un ou différents endroits spécifiques sur un même parcours ; à la différence de n’importe quel autre lieu social, le train prévoit une utilisation plus intime de l’espace, car il impose des dispositions

proxémiques plus contraignantes et ceci pendant des durées qui peuvent parfois être

longues.

Dans cet article, j’ai analysé en détail chaque modèle de train en circulation à ce moment-là ainsi que les wagons ou voitures qui le composent : en fait, il y a des modèles de trains qui prévoient des voitures différentes bien qu’appartenant au même train. Aujourd’hui, cet aspect est devenu central pour le travail de conception de l’entreprise, puisque la stratégie de diversification de tarifs et de services correspond aussi à la différenciation des espaces et du décor. Jusqu’à 2010, l’entreprise

Trenitalia n’avait pas une véritable stratégie de segmentation de l’espace par rapport

aux clients dans la composition par typologie de wagons et compartiments. Au-delà des trains à réservation obligatoire, les voyageurs choisissaient leurs places selon leurs critères de préférence. Aujourd’hui, la segmentation de l’espace fait partie de la stratégie marketing destinée à personnaliser les services.

Sans détailler cette analyse, j’ai proposé la classification de certains modèles d’organisation de l’espace qui, selon les cas, déterminent des potentialités d’interaction avec les objets d’usage et avec les autres passagers. En général, l’opposition entre espace « ouvert » (wagon) et espace « fermé » (compartiment) se traduit dans l’opposition « individuel » vs « collectif » sur le plan du contenu. D’ailleurs il y a des exceptions : il y a l’espace « semi-ouvert » ainsi appelé par la disposition générale des fauteuils en micro-groupes qui produit une relation « sociale » et sociable entre les passagers en devenant une dimension “semi-publique-collective” ; il y a l’espace « ouvert » qui en revanche devient un espace « semi-fermé » et, plus précisément sur le plan du contenu, « semi-privé-individuel ». Pour chaque cas, l'espace que nous avons considéré comme semi-privé-individuel, collectif, privé, public n'est pas donné en tant que tel mais il est plutôt construit et perçu ainsi. Dans chacun des cas étudiés, les simples objets et l'ensemble des différents objets organisés deviennent des dispositifs modaux dissuasifs, persuasifs ou permissifs51.

Le schéma qui suit est le résultat de typologies d’espaces identifiés ainsi que leurs signifiés :

OUVERT FERME

public-individuel privé-collectif

wagon pullman (IC) Espresso

ETR 500 IC

ETR 480

individuel collectif

SEMI-FERME SEMI-OUVERT

semi-privé-individuel semi-public-collectif

ETR 450 IR

Ce schéma met en lumière une opposition graduelle entre les deux types d'espaces ouvert et fermé et autant d'oppositions graduelles sur le plan du contenu. Les oppositions sur le plan du contenu s'articulent dans un espace perçu comme « individuel» dans la colonne de gauche et « collectif » dans la colonne de droite. Toutefois, il y a d’autres spécificités liées à l'effet de sens de chacun des espaces identifiés : public-individuel ; privé-collectif ; semi-privé-individuel ;

51 Cf. Hammad 1989 sur la privatisation de l’espace et l’« Introduction » de J. Fontanille dans Hammad 1989.

collectif52. Pour éclaircir encore les modèles de socialisation conséquents, nous avons proposé un autre schéma :

voiture bureau voiture salon

voiture salle d’attente voiture place53

En conclusion de l’article, j’ai souligné le fait que les objets et leur disposition contribuent à créer un milieu le rendant plus adapté à certaines activités (relaxation, lecture, travail, conversation, contacts sociaux, attente, etc.) grâce à une valeur modale qui, à chaque fois, le transforme en un espace caractéristique par rapport à d’autres espaces. Tout cela, inévitablement, modèle des typologies interactionnelles qui, selon chaque cas, favorisent ou découragent le contact entre les passagers ainsi que toute pratique d'inclusion ou d'exclusion.