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Mes recherches sur les objets quotidiens ont été complétées par une étude des aspects liés aux interfaces, notamment autour du concept de convivialité, un thème assez présent dans le débat sur l’usabilité au début des années deux mille. C’est à l’occasion du Congrès de l’Association Française de Sémiotique, qui s’est déroulé à Limoges en 2001, que j’ai présenté l’intervention « La construction sémiotique d’une interface conviviale ». Cette contribution a été développée dans un article publié l’année suivante.

L’objet de l’article concerne la convivialité des interfaces, une convivialité, assez souvent conséquente aux effets de sens produit par l’objet concerné. Notamment, trois éléments déterminaient l’aspect d’un objet ainsi que l’organisation de son interface : l’économie, le progrès technologique et la mode du moment. Les

sujet des objets techniques (la prise d’un stylo) ainsi que les interfaces-sujet des objets technologiques (les commandes d’un appareil photo numérique)

changent par rapport à l’évolution technologique et en fonction de la tendance esthétique de la culture dominante, en s’influençant réciproquement. Dans l’article, en tant qu’évolution technologique, j’ai identifié la découverte de nouveaux matériaux, les différentes possibilités de les travailler et la mise au point de nouvelles technologies.

Aujourd’hui, comme au début des années deux mille, chaque innovation

52 Cf. Zinna 1982.

53 Dans le sens italien de piazza.

« La construction sémiotique d’une interface conviviale » (Deni 2002c)

technologique introduit des esthétiques différentes ainsi qu’une certaine homologation du goût. En d’autres termes, la technique et la technologie progressent à la même vitesse que l’esthétique qui les accompagne. Pour ces raisons, mon intervention au congrès de sémiotique saisissait l’évolution des formes des objets marquant la nécessité de communiquer et de créer des relations affectives avec les usagers. Le but était aussi celui de comprendre le concept de convivialité d’une

interface, sa valeur par rapport aux usagers ainsi que les caractéristiques nécessaires

pour la définir en tant que telle.

Le premier paragraphe de l’article est consacré à la discussion du concept d’interface, en considérant notamment l’interface comme moyen sémiotique pour communiquer aux usagers les actions à accomplir, la modalité pour le faire et les valeurs. En ce sens, l’interface ne correspond pas nécessairement à une partie immédiatement identifiable, et comporte à chaque occasion une construction sémiotique diverse ainsi qu’une interprétation sensible ou cognitive différente. Chaque interface dépend de l’objet concerné, de la fonction que cet objet accomplit et des usagers présumés. Par ailleurs, l’efficacité d’une interface est conséquente à la relation entre la fonctionnalité communicative d’un objet et sa fonctionnalité opératoire.

Un des aspects déjà souligné concerne l’étude des modalités de communication des objets à travers leur interface. Les interfaces des objets communiquent parfois en passant par la dimension pragmatique-sensorielle qui, seulement dans un deuxième temps, mais pas nécessairement, joint la dimension cognitive consciente. Cela arrive par exemple dans le cas d’objets que nous avons appris à utiliser grâce aux informations sensorielles qu’ils nous renvoient à travers la texture de leurs matériaux ou de leur forme. Pour ces raisons, les interfaces doivent prendre en compte les deux modalités sémiotiques de communication : celle qui passe par la dimension cognitive et l’autre qui traverse la dimension pragmatique. Ces deux dimensions sont rarement séparables et agissent le plus souvent ensemble. Donc, une interface qui privilégie une sémiose perceptive en stimulant le toucher (surfaces discontinues) ou l’ouïe (sons et bruits de retour) contient aussi souvent des éléments graphiques (couleurs, icônes, symboles) qui privilégient la dimension cognitive. Toutefois, les interfaces qui proposent autant la solution cognitive que la solution sensible ne sont pas toujours les plus efficaces puisque, dans quelque cas, ces modalités différentes peuvent devenir contradictoires.

Encore aujourd’hui, la sémiose perceptive qui se base sur la dimension pragmatique est la modalité de signification préférée tant par les concepteurs que par les usagers. En outre, autour des années deux mille, le débat commençait à avoir recours à deux autres sens comme l’odorat et le goût. Cependant, encore aujourd’hui ces sphères sensorielles sont restées pour la plupart à l’état d’expérimentation. Ainsi dans l’article, je décris toutes les nouveautés annoncées pour le développement des

interfaces, nouveautés restées le plus souvent des concepts ou, dans les meilleurs cas, des prototypes perçus actuellement comme faisant partie de l’archéologie

industrielle.

Sans rentrer dans les détails, il y a en particuliers trois aspects que j’ai évoqué pour définir la convivialité d’une interface : la miniaturisation ; le concept de convivialité ; la convivialité en tant que valeur. Ces aspects m’ont permis de définir aussi la convivialité en tant que construction sémiotique d’une valeur et, dans quelques cas, j’ai identifié les parties matérielles de l’objet qui sont censées prendre en charge cette valeur.

En parcourant cet article, je perçois aujourd’hui les changements bouleversants survenus en si peu de temps : la plupart des objets choisis comme représentants des innovations technologiques nous semblent appartenir à un passé très lointain, à tel point que certaines de mes abstractions théoriques les concernant ne sont plus d’actualité. C’est d’ailleurs pour cela que, dès lors, il faut se concentrer sur ce qui reste encore actuel comme, par exemple, la recherche sur les qualités qui nous permettent de définir une interface en tant que conviviale. Il y également des considérations qui demeurent importantes à propos des objets qui, à cette époque, étaient considérés comme des représentants d’objets d’un futur proche. En même temps, il y a eu un changement dans la perception de la convivialité d’une interface : cette construction est caractérisée par une matérialité presque invisible et transparente. En fait, dans les conclusions de l’article, j’identifiais comme souhaitable la possibilité d’éviter les interfaces conçues en tant que modes d’emplois explicites. Je prévoyais également de nouvelles formes de rematérialisation virtuelle ou potentielle, inévitables et conséquentes à la dématérialisation des objets (les claviers à projeter ou bien les claviers qui apparaissent à l’écran des portables ou des ordinateurs). J’anticipais aussi la possibilité de dépasser le problème des interfaces grâce à la tendance encore actuelle de transformer les objets numériques en objets avec une apparence analogique. Actuellement, nous ne sommes pas loin de la matière fluide du bio-design, se basant sur l’idée que la forme d’un objet n’est pas contraignante et dépend de l’esthétique de l’objet.

Comme je le proposais déjà dans « La construction sémiotique d’une interface conviviale », je conclus en affirmant que le concept de la convivialité d’une interface s’est finalement déplacé du fait d’être une valeur incarnée dans des formes, des matériaux et des couleurs, pour coïncider avec l’état substantiel de l’objet. Ainsi aujourd’hui, c’est l’objet qui « reconnaît » son utilisateur.