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5. Les objets dans l’action

5.1 La factitivité et son articulation

Toute la première partie d’Oggetti in azione est consacrée à la définition du concept de factitivité. Cependant, avant d’approfondir cet aspect, j’ai dédié le premier chapitre à la définition de la morphologie des objets quotidiens à partir de l’approche sémiotique.

Mon problème initial a donc été d’établir une approche théorique. D’abord, je voulais démontrer les raisons pour lesquelles les objets quotidiens pouvaient être considérés comme des textes et interprétés en tant que tels. Dans un second temps, afin d’aborder la morphologie des objets, je me suis inspirée des théories de la perception et des concepts de la sémiose et de la sémiose perceptive produites par les objets. Les auteurs protagonistes de ce chapitre sont donc Gibson (1966, 1979), Norman (1988), Eco (1997), Violi (1997), De Fornel (1993), Goodman (1978), Semprini (1996). C’est à partir de leurs études que j’ai commencé à m’interroger sur les modalités d’interprétation les objets, sur les actions et la compréhension des usagers, notamment selon certaines théories cognitives et selon les hypothèses de la sémiotique interprétative.

J’ai commencé à comprendre qu’interpréter un objet signifie repérer: a) son utilisation potentielle ; b) l’usager possible ; c) le style de l’usager ; d) le style du concepteur ; e) l’identité culturelle et sociale de l’objet. En particulier, par rapport à la factitivité, les deux points premiers sont les plus centrés, tandis que les autres concernent les valeurs ainsi que d’autres aspects déjà exploités par d’autres genres d’études.

M’approprier de la façon de communiquer des objets, leur fonction, ainsi que construire leur Usager Modèle45, témoigne de ma nécessité de devenir une experte dans l’identification des aspects fonctionnels et perceptifs des objets, selon leur

relevance sémiotique. À mon avis ces aspects étaient à aborder en dépassant la

notion d’affordance qui, à ce moment-là, en revanche, était une explication suffisante pour la majorité des auteurs cités. Pour y parvenir, il fallait se concentrer sur les opérations d’interprétation des objets ainsi que sur l’apprentissage à l’usage en cours d’action. L’articulation à la factitivité, selon la relation entre fonctionnalité communicative et fonctionnalité opératoire s’est alors avérée primordiale.

5.1.2 Factitivité et Narrativité

Dans le premier chapitre d’Oggetti in azione je me suis attardée sur la définition, l’explication et l’articulation de la dimension factitive (§ 1.2, 1.3, 1.4). Afin de l’éclaircir, j’ai abordé ce concept à partir de la théorie des modalités de Greimas. Au départ, j’ai défini la manipulation en sémiotique ainsi que la typologie de relations qui s’instaurent entre sujet et objet concernés. À ce stade, il ne s’agissait pas encore de se référer aux objets quotidiens, mais plutôt à la définition d’un sujet et d’un objet en tant que tels et dans leur relation hiérarchique et réciproque. Ensuite, seulement après un approfondissement sur les conditions nécessaires pour l’existence d’une manipulation, j’ai abordé le concept de factitivité, en expliquant sa spécificité dans la théorie modale.

L’aspect important de la factitivité demeure dans la dimension narrative de son parcours. Il s’agit de la capacité d’un sujet, en tant qu’actant, qui provoque le

faire-faire, d’un objet, en tant qu’actant, en donnant lieu à des séquences d’actions et à des

changements d’états. Ce parcours narratif se dévoilait à mes yeux, grâce à une nouvelle perspective, qui n’était pas simplement susceptible de s’appliquer aux objets, mais qui montrait le rapport entre les utilisateurs et les objets d’usage sous une lumière différente. Les objets quotidiens considérés dans une séquence d’action structurée – donc une dimension narrative par étapes – devenaient des actants-sujets qui manipulent les usagers interprétant leur rôle d’actants objets. Ainsi, dans cette perspective, les objets assument un rôle actif en signifiant aux usagers les actions et la hiérarchie des séquences d’actions pour les utiliser. Cependant, l’importance de réfléchir sur la factitivité autrement que ne le faisaient les études sur l’affordance consistait à vérifier et à saisir les éléments signifiants dans les objets, ainsi que le résultat de leur interaction.

Dans mon parcours de recherche, l’usager était observé en tant qu’objet

manipulé ; à son tour, l’objet d’usage pouvait être interprété à partir de toutes ses

dimensions synesthésiques et matérialles pour reconstruire sa dimension signifiante. À moi-même, à la méthodologie que j’avais élue comme la mienne, appartenait la responsabilité d’expliciter le code de ce langage ayant recours aux concepts de forme et substance de l’expression. Si l’impératif saussurien des langues est l’arbitraire du signe, les objets d’usage n’étaient pas forcément motivées ni nécessairement

arbitraires46. Je devais donc comprendre comment aborder la matérialité des objets. Une première réponse a conduit à recourir à la théorie de l’énonciation. Aborder cette perspective m’a permis d’interpréter les objets, ainsi que la matérialité de leurs composantes constitutives, sous un autre éclairage, tout en identifiant certains éléments comme de véritables marques énonciatives : forme, poids, couleur, texture, matériaux ainsi que leurs relations réciproques devenaient à mes yeux autant de marques énonciatives possibles structurant les séquences d’actions des usagers.

J’ai donc commencé à considérer les aspects qui, dans un objet, construisent un espace communicatif. Une fois établies les limites de cet espace, il fallait analyser la qualité de son interface, en tant qu’objet technique ou technologique. La définition d’interface la plus efficace est encore celle donnée par Bonsiepe (1995). Son efficacité réside dans sa généricité capable d’élargir à tous typologies d’objets, bien au-delà de son emploi habituel. En particulier, Bonsiepe identifie l’interface d’un objet comme le lieu d’interaction entre usager, objet et action : « L’interface n’est

pas un objet, mais un espace communicatif dans lequel s'articule l’interaction entre

corps humain, outil […] et but de l’action » (Bonsiepe 1995: 20, notre traduction). Pour ces mêmes raisons, l’interface est aussi le lieu d’expression de la factitivité d’un objet.

Pour mes études sur la factitivité, j’ai adopté aussi les suggestions de Zinna (2005) articulant les points d’intervention d’un objet47 : il s’agit des parties de l’objet qui lui permettent d’interagir avec les sujets dans une pratique d’action. Zinna propose en fait une définition ultérieure du concept d’interface, en séparant l’interface-sujet et l’interface-objet : l’interface-sujet est la partie de l’objet prévue pour l’interaction avec le sujet (le manche d’un couteau par exemple) et l’interface-objet est la partie qui agit en revanche sur un autre l’interface-objet de la réalité externe (la lame). Dans ma perspective de recherche, une telle approche me permettait d’identifier les interfaces de chaque objet comme les manifestations sémiotiques privilégiées dans lesquelles la factitivité se met en place : en fait, en organisant la fonctionnalité communicative d’un objet, les interfaces en déterminent sa fonctionnalité opératoire.

46 Cf. Hjelmslev 1943.

47 Zinna 2005 est la publication du texte présenté à Limoges en 1999 en occasion du colloque « Les métiers de la sémiotique ».

5.2 Gestes, séquences et relations actancielles