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CHAPITRE 1 Analyse sociohistorique : Émergence des dispositifs d’évaluation éthique

1.2 Les comités nationaux d’éthique

1.2.1 Les comités nationaux d’éthique à durée limitée

La Commission nationale pour la protection des sujets humains de la recherche biomédicale et comportementale (1974-78) et la Commission présidentielle pour l’étude des problèmes d’éthique en médecine et dans la recherche biomédicale et comportementale (1978)

Aux États-Unis, nous retrouvons, dans cette catégorie, deux grandes commissions nationales : la Commission nationale pour la protection des sujets humains de la recherche biomédicale et comportementale, dont les travaux débutèrent en 1974 pour se terminer en 1978, et la Commission présidentielle pour l’étude des problèmes d’éthique en médecine et dans la recherche biomédicale et comportementale, qui débuta en 1979 et prit fin en 1982. a) La Commission nationale pour la protection des sujets humains de la recherche biomédicale et comportementale

Cette commission, dont les travaux portaient sur plusieurs questions relatives à l’éthique de la recherche biomédicale – principes, comités de révision (Institutional Review Boards), populations vulnérables, etc. – a eu par la suite des impacts importants au plan politique et social, comme nous l’avons vu lors de notre analyse de l’émergence des CÉR. En effet, outre le fait que c’est à l’issue de cette Commission que fut publié le Rapport Belmont –

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qui, encore aujourd’hui, constitue une référence majeure en éthique de la recherche biomédicale –, les recommandations formulées par la Commission donnèrent lieu à des mesures dont l’importance n’est plus à démontrer :

Une importante consultation liée à des moyens de recherche adaptés aux questions soulevées a abouti à des rapports avec recommandations qui ont été suivies d’effets. Ils ont été publiés (cf. Bibliographie) et certaines recommandations ont été reprises par les autorités fédérales. Il faut retenir ici deux recommandations adoptées par le DHEW : les réglementations des IRB publiées en 1981 et la création de Bureaux consultatifs d’éthique (Ethics Advisory Boards) chargés de donner des avis sur les politiques et les exigences éthiques de RBM. Un EAB a été créé en 1978 par le ministre de la Santé qui a été dissous en 1980, après la création d’une nouvelle commission (cf. DHHS rules and reglementations, FR 45 CFR 46, vol. 46, nº 16, 26 janv. 1981, in R. J. Levine, 1981 et Cahiers de bioéthique, nº 4, 1982)91.

Rappelons que c’est dans le contexte des travaux de cette commission nationale que furent élaborées les bases de l’approche éthique de Beauchamp et Childress, auxquels nous devons le célèbre ouvrage Principle of Biomedical Ethics – lequel deviendra une référence très recherchée en éthique médicale et fera l’objet de nombreuses rééditions au cours des décennies – et, simultanément, les bases de l’approche de Jonsen et Toulmin qui furent présentées dans l’ouvrage The Abuse of Casuistry, devenu lui aussi une référence maîtresse dans le domaine de l’éthique médicale.

b) La Commission présidentielle pour l’étude des problèmes d’éthique en médecine et dans la recherche biomédicale et comportementale

Cette commission a été instituée par le Congrès en 1978 et est davantage axée sur les valeurs liées aux recherches biomédicales que la Commission nationale pour la protection des sujets humains de la recherche biomédicale et comportementale. Elle sera à l’origine de nombreuses publications, dont un guide des procédures de recherche avec des sujets humains destinés aux comités locaux de révision. La Commission présidentielle pour l’étude des problèmes d’éthique en médecine et dans la recherche biomédicale et comportementale va en outre proposer trois nouveaux principes d’éthique qui viennent

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s’ajouter à ceux que l’on retrouve dans le Belmont Report : la promotion du bien-être des populations, le respect de leurs choix et de leurs préférences, et leur traitement équitable.92

La Commission présidentielle, en plus de reprendre certains problèmes que la Commission nationale de 1974-1978 n’avait pas pu traiter – dont la problématique que soulèvent les différences entre les réglementations fédérales – va également se pencher sur les questions soulevées par la création d’une nouvelle instance éthique, les « comités d’éthique hospitaliers », « dont le premier avait été demandé par la Cour Suprême du New Jersey pour décider de l’interruption des traitements extraordinaires donnés à une jeune femme dans le coma, Karen Quinlan93. ».

Enfin, la Commission présidentielle, dans ses recommandations, ouvre un espace éthique en proposant qu’une nouvelle Commission soit envisagée, dont les travaux permettraient « d’engendrer et d’encourager des procédures à travers lesquelles la société pourrait réexaminer, réviser et réaffirmer son système de valeurs et de croyances, un système dans lequel il n’y a pas que les questions importantes posées par la médecine et la recherche94 ».

Au Canada

La Commission Royale d’enquête sur les techniques de reproduction (1989)

La Commission royale d’enquête sur les techniques de reproduction créée par le Premier Ministre canadien et instaurée en 1989 constitue un exemple représentatif des comités à durée limitée mis en place en Amérique du Nord pour répondre aux enjeux soulevés par le développement des nouvelles technologies.95

Les auteurs présentent, au chapitre 3 du Rapport qui a été déposé suite à cette commission, le cadre éthique qui a prévalu dans le cadre de leurs travaux : « entre, d’une part, l’utilitarisme, le droit naturel ou le « contractarisme », et d’autre part, « l’éthique du souci

92 Rappelons que les trois principes que la Commission nationale pour la protection des sujets humains de la recherche biomédicale et comportementale avait proposés dans le Rapport Belmont (Belmont Report)

étaient le respect des personnes, la bienfaisance et la justice.

93 AMBROSELLI, 1990, op. cit., p.103 94 Idem.

95 CANADA. COMMISSION ROYALE SUR LES NOUVELLES TECHNIQUES DE REPRODUCTION,

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d’autrui », elles ont choisi la deuxième approche96. ». Ainsi, selon les membres de la

commission :

S’ils ne sont pas des personnes aux yeux de la loi, les zygotes, les embryons et les fœtus sont rattachés à la collectivité par leurs origines (ils ont été engendrés par ses membres) et leur destin éventuel (ils peuvent devenir membres de cette collectivité). Par conséquent, ils méritent eux aussi le respect97.

Au Danemark

La Commission Fremskridtets Pris (1983) et le Conseil national d’éthique pour la santé (1987)

L’exemple du Danemark est cité en raison de l’instauration d’institutions nationales mises en place dans les années 80, soit la Commission Fremskridtets Pris, (« Le prix du progrès »), et par la suite, le Conseil d’éthique pour la santé et la recherche biologico- médicale, créé en 1987 suite aux travaux de la Commission mise en place après la naissance, en 1983, d’une enfant conçue in vitro. Cette Commission avait alors été chargée de se pencher sur quatre questions spécifiques, soit : la recombinaison génétique, la transplantation embryonnaire, l’insémination artificielle et le diagnostic des fœtus humains. Elle avait répondu clairement, selon Ambroselli, sur un seul point : la création d’un Conseil national d’éthique pour la santé. Ce Conseil national viendra ainsi compléter le réseau de comités d’éthique médicaux déjà existants au Danemark, cette initiative créant certains débats soulevés par la question des articulations entre ces comités régionaux et la nouvelle instance nationale98.

À cette analyse d’Ambroselli, nous nous devons d’ajouter que le Danemark a développé et mis en place des conférences citoyennes, en se basant sur le modèle du jury citoyen développé à partir du concept de consultations populaires créé par le sociologue allemand

96 RHÉAUME, J. (1994). « Un virage à prendre en douceur : Rapport final de la Commission Royale

d’enquête sur les nouvelles technologies de la reproduction. Présidente : Patricia Baird. Ottawa, Imprimeur de la Reine 1993, 1435 p., Books Review/Chroniques bibliographiques, 1994, p. 677. [Document pdf.]

97 Canada. Un virage à prendre en douceur : Rapport final de la Commission Royale d’enquête sur les nouvelles technologies de la reproduction. Présidente : Patricia Baird. Ottawa, Imprimeur de la Reine 1993, p.

63, cité dans RHÉAUME, op. cit., p. 677.

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Peter Dienel en 1970. S’inspirant du modèle du jury citoyen, le Danemark « affine la méthode qu’il baptise "Conférence de consensus" », et fait appel à un groupe de citoyens dont le rôle sera de se prononcer sur la question des organismes génétiquement modifiés (OGM)99.

En Grande-Bretagne

Le Comité Warnock (1982-1984)

Comme plusieurs autres pays, la Grande-Bretagne va réagir à l’événement que constitue la naissance, en 1978, d’une enfant conçue in vitro en créant une instance nationale chargée de se pencher sur les problématiques de la fertilité et de l’embryologie humaines. Le rapport (Warnock, 1984) de ce comité, dont les travaux débuteront en 1982 pour prendre fin en 1984, formule 63 recommandations relatives aux principes éthiques et juridiques, des propositions concernant des limitations à la recherche et la création d’un comité dont le mandat serait de contrôler et de réglementer la recherche100.

Il faut cependant préciser que le rôle de ce comité, présidé par la philosophe Mary Warnock, était de développer des principes pour la régulation de la fécondation in vitro (FIV/IVF) et de l’embryologie. Le comité a conclu que l’embryon humain devrait être protégé, mais que la recherche sur les embryons pouvait être permise, compte tenu des garanties appropriées101.

L’analyse des conditions d’émergence des comités nationaux d’éthique à durée limitée nous permet de faire état de premiers constats.

Dans un premier temps, on observe que les approches des comités qui visent la réglementation incorporent toujours un espace éthique. Ainsi en est-il des approches et des principes éthiques élaborés suite aux travaux de la Commission nationale pour la protection des sujets humains de la recherche biomédicale et comportementale tenue aux États-Unis en 1974-1978 et aux travaux de la Commission présidentielle pour l’étude des

99 Cf. Wikipédia, Jury citoyen, http://fr.wikipedia.org/wiki/Jury_citoyen, page consultée le 15 octobre 2013. 100 Ambroselli, (1990), op. cit., p.104

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problèmes d’éthique en médecine et dans la recherche biomédicale et comportementale de 1978. Rappelons l’espace éthique ouvert par cette dernière commission dans ses recommandations de proposer qu’une nouvelle commission soit créée pour l’examen des valeurs et des croyances en lien avec les questions importantes soulevées par la médecine et la recherche. Le cadre éthique présenté au 3e chapitre du Rapport qui a suivi la Commission

Royale d’enquête sur les techniques de reproduction mise en place au Canada en 1989 témoigne également de la présence d’un espace éthique dans cette commission nationale. Au Danemark, c’est par la mise en place des conférences citoyennes que va s’ouvrir un espace éthique; en Grande-Bretagne, enfin, l’ouverture à un espace éthique se manifeste par la formulation des recommandations relatives à des principes éthiques sous la présidence de la philosophe Mary Warnock.

On observe par ailleurs, à la lumière de la lecture qu’en fait Ambroselli, qu’il y a deux courants très différents en France et au Canada en ce qui a trait à l’émergence et au développement des dispositifs nationaux d’éthique.

Ainsi, en France, l’approche est davantage politique, alors qu’au Canada, l’approche est davantage axée sur la responsabilité des acteurs sociaux.

En effet, selon Ambroselli, la création du Conseil national de recherche sur l’humain, comité mis en place afin de répondre aux besoins des acteurs en éthique de la recherche102,

ne fait « que rendre plus présentes les institutions médicales dans la consultation des CÉR et des autres comités d’éthique qui se créent, sans ouvrir davantage cette consultation à d’autres exigences, comme celles des droits internationaux de l’homme103. ».

Ceci permet déjà de souligner une certaine différence de vision entre la France et la Canada en ce qui concerne les orientations en ce qui a trait à la gouvernance en matière de recherche. Le Canada semble en effet présenter une conception de l’éthique qui, à ce moment, le place dans une toute autre perspective que celle qui se dessine en France, et même aux États-Unis, où l’intervention du législatif semble tenir une plus grande place; cependant, l’ouverture à l’approche bioéthique – qui se manifeste , comme on a pu le voir,

102 Voir section 1.1 de ce chapitre. 103 AMBROSELLI, (1990), op.cit., p. 99

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dans la composition des CÉR – semble traduire une plus grande affinité entre le Canada et les États-Unis qu’entre le Canada et l’Europe, laquelle, si on en juge par les propos d’Ambroselli, demeure perplexe face à cette notion qui « connaîtra un certain succès malgré l’idéologie à plusieurs faces qu’elle véhicule104. ».

On constate enfin que la demande éthique se formalise à travers différentes instances en réponse aux développements technoscientifiques et aux enjeux qu’ils soulèvent. Dans un premier temps, en réponse aux enjeux soulevés par les pratiques de recherche au 20e siècle,

ce sont des comités d’éthique de la recherche qui vont être mis en place; en second lieu, des comités d’éthique clinique seront mis en place afin de répondre aux enjeux soulevés par le développement technoscientifique dans le domaine de l’intervention médicale; enfin, les comités nationaux d’éthique seront mis en place en réponse aux enjeux soulevés par le développement des nouvelles technologies.

Ainsi, on observe que tous les comités nationaux nous amènent au niveau des enjeux soulevés par la technoscience; l’évolution de ce processus va conduire aux comités permanents.

1.2.2 Les comités nationaux d’éthique permanents