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CHAPITRE 1 Analyse sociohistorique : Émergence des dispositifs d’évaluation éthique

1.1 Les comités d’éthique de la recherche

1.1.3 Déclaration d’Helsinki : apparition des IRB (1964-1977)

C’est lors de cette période que la prise de conscience de l’insuffisance des modes de régulation sociale de la recherche impliquant des sujets humains va conduire à l’implantation des premiers comités spécifiquement créés à cette fin. Comme l’a montré plus tard l’exemple de Tuskegee :

Les mêmes critères du Code de Nuremberg, rédigé à l'issue du procès de médecins nazis, étaient invoqués pour juger le cas de Brooklyn. Mais justement, les responsables de l'expérience prétendaient avoir respecté le code. Pour ne prendre que les principaux critères, ils plaidaient l'intérêt humanitaire et scientifique d'une expérimentation faisant mieux connaître la dynamique de rejet des cellules cancéreuses et arguaient de l'absence de risque d'implantation, de la part de cellules étrangères. Quant au consentement des sujets, requis par le code, il avait été obtenu, en gros, pour des « expériences sur la peau », et si on n'avait pas parlé de cancer, c'est parce que le mot aurait éveillé des craintes illusoires. Il était évident que les principes pouvaient être d'autant plus facilement infléchis qu'ils étaient plus généraux et qu'ils étaient interprétés par les seuls auteurs de l'expérience54.

En 1964, avec Helsinki, le processus devient affaire d’association; on quitte la vision locale pour une vision planétaire, assurant une vision internationale de l’autorité de la norme

54 ISAMBERT, François. « Aux sources de la bioéthique », in Le débat, # 25, mai 1983, p. 85. À ce sujet,

Isambert renvoie (en note de bas de page) à l'article de H.K. Beecher dans le New England Journal of

Medicine, no. 274 (1966) dans lequel ce dernier présente l'analyse de vingt-deux cas qui soulèvent des

questionnements au plan de l’éthique. Voir aussi D. J. Roy et al., La bioéthique, ses fondements et ses

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médicale, et c’est à ce moment qu’on assiste à une institutionnalisation de l’éthique par les comités de pairs, assurant une plus grande efficience que la conscience individuelle55.

Ainsi, l’exigence d’une évaluation réalisée par un comité – ce qui implique la mise en place d’une telle structure – est clairement formulée dans la Déclaration d’Helsinki :

Le projet et l'exécution de chaque phase de l'expérimentation portant sur l'être humain doivent être clairement définis dans un protocole expérimental qui doit être soumis à un comité indépendant désigné spécialement à cet effet, pour avis et conseils.56

Ainsi les premiers comités d’éthique de la recherche – certains parlent des ancêtres des CÉR – font leur apparition aux États-Unis : ce sont les Institutional Review Board, ou IRB, dont la composition, suivant la loi, doit être multidisciplinaire. Selon Isambert, la mise en place de ces premiers comités est une initiative qui inscrit les évaluations éthiques dans les institutions qui abritent des recherches :

En 1966, la règle est fixée : chaque « institution » prend la responsabilité des recherches qu'elle abrite. Un comité de « pairs » (peer committee) est désigné par elle à cet effet - d'où le nom d'Institutional Review Board (I.R.B.) pris officiellement par ces comités - avec comme seule condition l'honorabilité, la compétence et l'indépendance financière par rapport aux recherches examinées. Le rôle de l'I.R.B. est d'examiner, pour chaque recherche, la protection des droits et du bien-être de l'individu ou des individus impliqués, la pertinence des méthodes utilisées pour obtenir le consentement informé, et les risques et les bénéfices médicaux potentiels de l'investigation57.

Comme Isambert, Hubert Doucet situe l’apparition des IRB peu après la publication de l’article de H. K. Beecher; mais pour Doucet, la création des IRB représente un changement majeur pour l’évaluation éthique dans la mesure où des « profanes » vont faire intrusion dans le processus médical :

55LEGAULT G. A. et PATENAUDE, J. (2009) « Le déplacement de la normativité en éthique de la

recherche. Enjeux de gouvernance », Dir. Marc Maesschalck, et Laurence Blésin, Coll. Éthique et

gouvernance. Les enjeux actuels d’une philosophie des normes, Éd. Georg Olms Verlag,

Hildesheim/Zurich/New York, p. 177, par. 3.

56ASSOCIATION MEDICALE MONDIALE (AMM), Déclaration d’Helsinki, Principes éthiques

applicables à la recherche médicale impliquant des êtres humains, Adoptée par la 18e Assemblée générale de l’AMM, Helsinki, Finlande, Juin 1964, article 2.

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Les responsables de la NIH n’avaient plus le choix; ils mirent sur pied l’Institutional Review Board (IRB), un comité composé de chercheurs et de profanes, appelés à évaluer les projets de recherche des scientifiques d’une institution. Ancêtre du comité local d’éthique de la recherche, l’institution s’est imposée dans tous les milieux de recherche aussi bien en Amérique qu’en Europe58.

Ces transformations se manifestent également au niveau de l’étendue de la recherche soumise à l’examen; au États-Unis, toute recherche subventionnée est visée par les mesures de régulation des pratiques :

Une première distinction s'impose, celle entre les comités d'éthique de la recherche et les comités d'éthique clinique. Aux États-Unis, on parlera de IRB (Institutional Review Board) et de HEC (Hospital Ethics Committees). De grandes différences existent entre les deux types de comités : l'IRB a force légale : tout projet de recherche faisant appel à de sujets humains soumis à une agence publique américaine doit être présenté à un comité de pairs chargés d'évaluer le projet. Le HEC ou comité d'éthique clinique n'est pas né d'une exigence gouvernementale; aucune contrainte légale ne l'encadre. Le comité d'éthique de la recherche est principalement composé de chercheurs, bien que les règlements fédéraux précisent maintenant la composition multidisciplinaire de ces comités59.

L’évaluation se fait encore ici à partir de principes de l’éthique médicale. Cependant, outre le fait qu’il est fait mention, dans cette déclaration, de l’exigence de mettre en place des comités d’examen, on observe une importante évolution au niveau des précisions apportées par ce document quant aux enjeux soulevés par l’expérimentation sur les êtres humains. La prépondérance du bien du sujet sur celui de la science et de la société est au cœur de cette déclaration, comme le précise l’article 5 : « Avant d’entreprendre une expérience, il faut évaluer soigneusement les risques et les avantages prévisibles pour le sujet ou pour d’autres. Les intérêts du sujet doivent toujours passer avant ceux de la science ou de la société60 ».

Outre cet élément central, des précisions sont apportées sur la question du consentement des sujets pressentis, notamment sur l’importance de la protection des populations particulièrement vulnérables, c’est-à-dire des populations susceptibles de subir une pression

58 ROTHMAN, dans WEISZ, cité dans DOUCET, Hubert (1996). Au pays de la bioéthique, L'éthique biomédicale aux États-Unis, Le champ éthique, no. 29, Labor et Fides, Genève, p. 22.

59 DOUCET, 1990, op.cit., p. 160

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indue lors du recrutement (populations captives) ou des populations susceptibles de ne pas être en mesure de donner un consentement éclairé, en l’occurrence les personnes mineures (incapacité juridique) ou inaptes compte tenu de leur condition physique ou mentale.61 La

Déclaration fait également état de l’importance de l’information à donner aux participants, en particulier en ce qui concerne les risques et les bénéfices liés à leur participation à l’étude et leur liberté de refuser de participer à cette dernière – ou de s’en retirer, c’est-à- dire de revenir sur son consentement à tout moment.

La Déclaration souligne également l’importance de la protection de la vie privée et de l’intégrité du sujet. La rigueur en ce qui a trait à la méthode scientifique et la responsabilité qui incombe au chercheur à l’égard du sujet de l’expérimentation font également l’objet de plusieurs articles, venant ainsi souligner les devoirs du chercheur envers le sujet et envers la société, et rappelant fort à propos que le consentement donné par le participant ne restreint en aucune façon les responsabilités du chercheur à son endroit.62