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Étude exploratoire sur le rôle que pourraient jouer les modes d'évaluation éthique dans la variabilité des décisions des différents comités d'éthique locaux et nationaux

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Academic year: 2021

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Étude exploratoire sur le rôle que pourraient jouer les modes

d’évaluation éthique dans la variabilité des décisions des

différents comités d’éthique locaux et nationaux

Thèse

Monelle Parent

Doctorat en philosophie de l’Université Laval

offert en extension à l’Université de Sherbrooke

Philosophiae doctor (Ph.D.)

Faculté des lettres et sciences humaines

Université de Sherbrooke

Sherbrooke, Canada

Faculté de philosophie

Université Laval

Québec, Canada

© Monelle Parent, 2015

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RÉSUMÉ

Le 20e siècle a été le témoin de multiples événements dont l’apparition du phénomène

technoscientifique, qui se caractérise notamment par le développement de nouvelles technologies (ce terme prenant ici un sens particulier propre à la conception technoscientifique) et de nouvelles pratiques en recherche. Le développement et l’intégration des nouvelles technologies dans la société et l’évolution des pratiques en recherche vont soulever de multiples enjeux éthiques, ce qui va amener les sociétés à mettre en place des mécanismes et des politiques visant à encadrer ces pratiques. C’est ainsi que l’on voit apparaître, au cours du 20e siècle, deux types de comités devant procéder

respectivement à l’évaluation éthique de la recherche (les comités d’éthique de la recherche) et à l’évaluation éthique des nouvelles technologies (les comités nationaux d’éthique).

Cependant, on constate une importante variabilité dans les décisions rendues par les comités mis en place pour évaluer l’acceptabilité éthique de la recherche (CÉR) et par les comités mis en place pour évaluer l’acceptabilité éthique des nouvelles technologies (Comités nationaux d’éthique). Le groupe de recherche Biosophia et le groupe de recherche InterNE3LS – dans lesquels notre doctorat s’inscrit – ont effectué des recherches visant à

éclairer la variabilité des décisions rendues par ces comités; toutefois, l’incidence des modes d’évaluation sur la variabilité des décisions n’avait pas été explorée dans une perspective philosophique. C’est pourquoi nous nous sommes donné comme objectif général de mener une étude exploratoire sur le rôle que pourraient jouer les modes d’évaluation éthique dans la variabilité des décisions des différents comités d’éthique locaux et nationaux.

Une analyse sociohistorique des conditions d’émergence des dispositifs d’évaluation éthique au 20e siècle permet de constater l’importance du rôle joué par les philosophes lors

de la mise en place de ces mécanismes d’évaluation éthique. On s’attendrait donc à retrouver cette présence de la philosophie dans les activités et dans les échanges des acteurs en éthique de la recherche et en évaluation des technologies; il devient ainsi pertinent de se demander dans quelle mesure la variabilité des approches philosophiques mobilisées lors des évaluations éthiques pourrait éclairer la variabilité des décisions rendues par les comités dont le mandat est de procéder à ces évaluations.

À cette fin, nous avons élaboré un cadre de référence en philosophie à partir de la documentation portant sur les comités d’éthique de la recherche et sur les comités nationaux d’éthique afin de vérifier dans quelle mesure les approches relevées dans la littérature étaient mobilisées par les comités lors de leurs évaluations éthiques. Pour le volet relatif aux comités locaux d’éthique, nous avons procédé à l’analyse de décisions rendues

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iv

par des CÉR dans le cadre de la recherche réalisée en 2003-2004 par le groupe Biosophia et nous avons analysé les propos des participantes et des participants à quatre Journées d’étude des comités d’étude de la recherche organisées par le Ministère de la santé et des services sociaux du Québec. En ce qui a trait aux comités nationaux d’éthique, nous avons procédé à l’analyse d’avis rendus par la Commission de l’éthique de la science et de la technologie (Québec) et à l’analyse d’avis rendus par le Comité consultatif national d’éthique (France).

Notre recherche a permis de mettre en lumière une importante variabilité au niveau des approches mobilisées par les comités nationaux d’éthique lors de leurs évaluations des nouvelles technologies mais également le peu de contenu en ce qui a trait à la justification éthique des décisions dans le cas des comités d’éthique de la recherche. Ainsi l’analyse des réponses apportées par les CÉR participants lors de la recherche de Biosophia quant aux motifs à la base de leurs décisions d’approuver ou de refuser un projet de recherche ne nous ont pas permis de procéder à une analyse permettant d’identifier les approches mobilisées, en raison de l’absence de justifications éthiques. D’autre part, l’analyse des propos tenus par les participants aux Journées d’étude des CÉR nous a permis de repérer la présence de contenu philosophique ayant une incidence sur la variabilité des décisions, ce qui soulève un questionnement sur le rôle effectif de la philosophie dans le travail des comités d’évaluation éthique, compte tenu de l’écart observé entre le discours des acteurs et les motifs à la base des décisions rendues par les comités d’évaluation éthique.

Mots-clés : comités d’éthique, éthique de la recherche, évaluation éthique, éthique appliquée, philosophie, variabilité des décisions.

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TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ ... iii

TABLE DES MATIÈRES ... v

REMERCIEMENTS ... ix

INTRODUCTION GÉNÉRALE ... 1

CHAPITRE 1 Analyse sociohistorique : Émergence des dispositifs d’évaluation éthique ... 37

1.1 Les comités d’éthique de la recherche ... 38

1.1.1 L’éthique de la recherche avant Nuremberg (1900-1946) ... 38

1.1.2 L’éthique de la recherche – de Nuremberg à Helsinki (1946-1963). ... 39

1.1.3 Déclaration d’Helsinki : apparition des IRB (1964-1977). ... 41

1.1.4 L’éthique de la recherche et le Rapport Belmont ... 44

1.1.5 L’éthique de la recherche au Canada (1978-2013)... 49

Conclusion de la section 1.1 ... 55

1.2 Les comités nationaux d’éthique ... 58

1.2.1 Les comités nationaux d’éthique à durée limitée ... 58

Aux États-Unis ... 58

Au Canada ... 60

Au Danemark ... 61

En Grande-Bretagne ... 62

1.2.2 Les comités nationaux d’éthique permanents... 64

En France ... 64

Au Québec ... 67

Conclusion de la section 1.2 ... 69

CHAPITRE 2 Cadre de référence : Approches philosophiques en éthique et en morale ... 74

2.1 Les approches classiques de la morale ... 75

2.1.1 L’éthique d’Aristote ... 75

2.1.1.1 Énoncé de l’obligation ... 76

2.1.1.2 Fondement de l’obligation morale ... 79

2.1.1.3 Application : le raisonnement pratique ... 82

2.1.1.4 L’éthique d’Aristote : principales caractéristiques et précision des variables pour l’élaboration de la grille d’analyse (indicateurs) ... 88

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vi

2.1.2.1 Énoncé de l’obligation ... 91

2.1.2.2 Fondement de l’obligation... 94

2.1.2.3 Application : le raisonnement pratique ... 103

2.1.2.4 La philosophie morale de Kant : principales caractéristiques et précision des variables pour l’élaboration de la grille d’analyse (indicateurs) ... 104

2.1.3 L’utilitarisme de John Stuart Mill ... 107

2.1.3.1 Énoncé de l’obligation ... 108

2.1.3.2 Fondement de l’obligation... 119

2.1.3.3 Application : le raisonnement pratique ... 124

2.1.3.4 L’utilitarisme de John Stuart Mill : principales caractéristiques et précision des variables pour l’élaboration de la grille d’analyse (indicateurs) ... 124

2.2 Les approches contemporaines de l’éthique ou de la morale ... 127

2.2.1 Les principes de l’éthique biomédicale de Beauchamp et Childress (principisme) ... 129

2.2.1.1 Énoncé de l’obligation ... 130

2.2.1.2 Fondement de l’obligation... 138

2.2.1.3 Application : le raisonnement pratique ... 140

2.2.1.4 Les principes de l’éthique biomédicale de Beauchamp et Childress: principales caractéristiques et précision des variables pour l’élaboration de la grille d’analyse (indicateurs) ... 143

2.2.2 La nouvelle casuistique de Jonsen et Toulmin ... 145

2.2.2.1 Énoncé de l’obligation ... 150

2.2.2.2 Fondement de l’obligation... 158

2.2.2.3 Application : le raisonnement pratique ... 161

2.2.2.4 La nouvelle casuistique de Jonsen et Toulmin : principales caractéristiques et précision des variables pour l’élaboration de la grille d’analyse (indicateurs) ... 165

2.2.3 La sagesse pratique de Ricœur ... 167

2.2.3.1 Énoncé de l’obligation ... 168

2.2.3.2 Fondement de l’obligation... 174

2.2.3.3 Application : le raisonnement pratique ... 176

2.2.3.4 La sagesse pratique de Ricœur : principales caractéristiques et précision des variables pour l’élaboration de la grille d’analyse (indicateurs) ... 179

2.2.4 La délibération éthique de Legault ... 182

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vii

2.2.4.2. Fondement de l’obligation ... 190

2.2.4.3 Application : le raisonnement pratique ... 195

2.2.4.4. La délibération éthique de Legault : principales caractéristiques et précision des variables pour l’élaboration de la grille d’analyse (indicateurs) ... 198

Conclusion du chapitre 2 ... 201

Tableau 1 Cadre de référence en éthique et en morale – synthèse (indicateurs) ... 206

CHAPITRE 3 Application du cadre de référence (cadre d’analyse) ... 207

3.1 Application du cadre d’analyse au corpus 1 : les CÉR ... 212

3.1.1 Décisions des CÉR : enquête du groupe de recherche Biosophia (Corpus 1a) ... 212

3.1.2 Analyse des interventions – Journées d’étude des CÉR (Actes, Corpus 1b) ... 221

3.2 Application du cadre d’analyse au corpus 2 : les comités nationaux d’éthique ... 243

3.2.1 Analyse des avis de la CEST ... 245

3.2.1.1 Avis sur les OGM ... 245

3.2.1.2 Avis sur les nanotechnologies ... 267

3.2.2 Analyse des avis du CCNE ... 282

3.2.2.1 Avis sur les essais sur les nouveaux traitements chez l’homme ... 282

3.2.2.2 Avis sur l’utilisation des embryons en recherche ou à des fins médicales ... 294

3.2.2.3 Avis sur la xénotransplantation ... 317

3.2.2.4 Avis sur les nanosciences et sur les nanotechnologies ... 331

Conclusion du chapitre 3 ... 346

CONCLUSION GÉNÉRALE ... 360

BIBLIOGRAPHIE ... 378

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REMERCIEMENTS

J’aimerais adresser mes très sincères remerciements …

Au groupe de recherche Biosophia et au groupe de recherche InterNE3Ls, pour l’apport

financier à mes travaux grâce à leurs subventions des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC, No. 43854).

À Monsieur Georges-A. Legault, mon directeur de recherche, et à Madame Johane Patenaude, directrice des groupes de recherche Biosophia et InterNE3LS, pour leur

immense générosité, leur soutien enthousiaste, leurs conseils judicieux et leurs nombreux témoignages de confiance.

À Monsieur Luc Bégin, de l’Université Laval, co-directeur de recherche, pour sa patience, sa générosité et ses conseils très éclairants; à Monsieur André Lacroix, de la Faculté de lettres et sciences humaines de l’Université de Sherbrooke et à Madame Béatrice Godard, de l’Université de Montréal, membres du jury de la thèse, pour leurs commentaires et leurs recommandations également très aidants.

À Madame Thérèse Audet, vice-doyenne à la recherche et Secrétaire de la Faculté des lettres et sciences humaines de l’Université de Sherbrooke, pour ses conseils, son ouverture et son soutien dans les démarches, tout particulièrement lors du dépôt initial de la thèse. Merci du fond du cœur, enfin, à mes enfants et à mon compagnon de vie, pour leur patience, leur générosité, leur confiance et leur soutien affectueux tout au long de cette démarche exigeante, et en particulier à Magali pour sa contribution généreuse et très consciencieuse à la révision linguistique et à la mise en page du document final.

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INTRODUCTION GÉNÉRALE

1 Contexte général

La présente recherche s’inscrit dans le prolongement de nos travaux de maîtrise, lesquels portaient sur les implications éthiques de la technoscience1. Notre mémoire avait pour

principal objectif d’établir la nécessité du concept de technoscience pour penser et construire une éthique pour notre temps. À cette fin, nous avons étudié l’apparition du concept et les débats qu’il suscitait, car ce terme, aujourd’hui accepté, faisait à ce moment l’objet de vifs débats – l’enjeu principal se situant autour de l’implication que l’adoption de ce concept avait quant à la neutralité de la science. Or, nous avons démontré qu’il s’agissait en fait d’un faux débat; deux conceptions différentes du concept s’affrontaient – en l’occurrence une conception épistémologique et une conception sociologique. Nous avons démontré que les implications éthiques de la technoscience peuvent être analysées dans la mesure où l’on appréhende la technoscience comme un concept sociologique, c’est-à-dire comme la science « en train de se faire » et non comme la « science toute faite », selon les termes de B. Latour2.

En effet, ce n’est pas de la connaissance scientifique en tant que discours qu’il est question ici, mais de l’activité scientifique dans la société. C’est à ce niveau et dans ce sens que les implications éthiques de la technoscience peuvent être examinées. Cependant, ceci nous demandait de caractériser le phénomène technoscientifique afin d’être en mesure de préciser ce qui le distinguait de l’activité scientifique des époques antérieures, en d’autres termes, ce qui en légitimait l’usage au 20e siècle, là où les termes « science »,

« technique », et « technologie » avaient jusque-là semblé suffisants pour désigner ces activités.

Nous avons donc proposé une caractérisation du concept sociologique de technoscience qui reposait sur trois grandes caractéristiques, soit l’accélération de la production technique au

1 Cf. PARENT, M. (1999). Les implications éthiques de la technoscience, Mémoire de maîtrise, Université de

Sherbrooke, 123 pages.

2 LATOUR, B., La science en action, Coll. « Textes à l’appui, série anthropologie des sciences et des

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20e siècle; l’omniprésence de la technique : le technocosme comme milieu de vie, et la

valorisation de la rationalité technique comme mode de pensée.

L’activité technoscientifique soulève, en lien avec ces trois aspects, de nombreux enjeux éthiques que nous avons présentés dans la seconde partie de notre mémoire. Ainsi, l’accélération de la production technique et l’omniprésence de la technique, qui se manifestent par l’apparition et l’usage de nouvelles technologies, sont à la source de multiples enjeux éthiques. Il nous faut préciser que le terme « nouvelles technologies » prend ici un sens particulier, propre à la conception technoscientifique. Ainsi, par le terme nouvelles technologies, nous désignons les technologies dont le développement exige cet étroit rapport entre science et technique que le terme technoscience implique, mais, plus encore, un renversement de la conception classique de l’activité scientifique où la valorisation portait sur la recherche de connaissance – la technique n’en étant que l’application dans la société, et, de ce fait, seule concernée au plan des enjeux éthiques. L’activité que couvre le concept de technoscience implique une interpénétration de ces deux pôles qui ne permet plus cette dichotomie, mais plus encore, elle implique une valorisation du pôle technique – c’est-à-dire de la pensée technique, sans précédent dans l’histoire de la science. Cette valorisation du pôle technique à son tour a des impacts et soulève des enjeux éthiques importants, dans la mesure où elle influence les activités, les représentations et les relations entre les êtres humains – tant au plan individuel et social qu’au plan professionnel – et les relations entre les humains et leur environnement, de même que les représentations humaines de la nature et de l’être humain lui-même.

En effet, la valorisation de la pensée technique soulève des enjeux éthiques dans la mesure où, dans le mode de la rationalité technique, seuls les moyens sont questionnés – la finalité, c’est-à-dire la recherche d’efficacité et de rentabilité, étant déjà donnée. La pensée technique est opératoire, ce qui signifie que son objectif est d’optimiser les résultats d’une action, c’est-à-dire d’obtenir le maximum de résultats pour un minimum de coûts ou d’efforts. Un premier enjeu éthique se dessine, et d’importance : le questionnement éthique, qui porte précisément sur les finalités (valeurs), est évacué là où domine ce type de rationalité.

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De plus, la rationalité technique transforme nos représentations en représentations « techniques », affectant les relations entre êtres humains, par la médiation technique introduite dans la vie quotidienne et dans la vie professionnelle. La relation médicale et la technicisation de certaines pratiques (par exemple, l’accouchement) illustre bien cette transformation et les impacts tant positifs que négatifs qu’elle peut avoir : vies sauvées, souffrances physiques atténuées dans certains cas, mais aussi déshumanisation des soins, dévalorisation des pratiques axées sur le caractère naturel/non-médical des événements (ex : sages-femmes, mère souhaitant accoucher naturellement), sans compter les coûts associés à l’appareillage technique, à la formation des spécialistes et à l’entretien des installations.

Les enjeux éthiques soulevés par les nouvelles technologies sont très nombreux. Par exemple, le recours au dépistage prénatal, qui, tout en permettant de vérifier si l’individu est porteur ou atteint d’une maladie grave, expose aussi au risque d’erreurs de diagnostic et au risque d’eugénisme, soulevant ainsi des enjeux au niveau de l’équité, de la sécurité, de l’intégration sociale des personnes handicapées, du respect de la vie, de la qualité de la vie et de la justice distributive en situation de rareté des ressources.

La recherche technoscientifique, indissociable du développement des nouvelles technologies (que l’on parle des processus ou des produits), soulève des enjeux éthiques, mais aussi des enjeux économiques, environnementaux, légaux et sociaux. En effet, si la recherche technoscientifique permet le développement d’innovations et de connaissances dans de nombreux domaines, et particulièrement le développement économique, elle présente des risques à de nombreux niveaux : pour la société, pour les personnes impliquées dans les activités de recherche, pour l’environnement et pour les générations futures. La recherche technoscientifique soulève également l’enjeu de la responsabilité sociale des chercheurs, en raison des conflits de rôles et des conflits d’intérêts que cette forme d’activité génère par la valorisation du pôle technique et par son inscription dans la sphère économique et politique.

En raison des problématiques éthiques suscitées par l’apparition des nouvelles technologies et des activités de recherche qui s’y rattachent, des politiques et des mécanismes de régulation seront mis en place afin de permettre l’évaluation des pratiques en lien avec ces

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réalités nouvelles. Ainsi, l’éthique de la recherche, peu développée dans la première moitié du 20e siècle, a évolué considérablement suite aux événements de la Seconde Guerre

mondiale et aux développements de la recherche technoscientifique; de même, l’apparition et la diffusion des nouvelles technologies ont suscité des questionnements quant à leur acceptabilité éthique et aux moyens d’évaluer celle-ci.

Ainsi, deux types de comités ont été mis en place pour guider la régulation des pratiques de recherche et le développement des nouvelles technologies, soit des comités locaux et des comités nationaux d’éthique, ayant pour mandat, respectivement, l’évaluation de l’acceptabilité des projets de recherche et des nouvelles technologies.

Les pratiques de recherche faisant appel à des êtres humains soulèvent en effet de nombreux enjeux éthiques dans la mesure où elles impliquent la participation d’êtres humains pour leur réalisation et, par conséquent, la prise en considération des impacts que cette participation pourrait avoir sur ces derniers, mais également la prise en considération des impacts pour certains groupes sociaux, pour la société dans son ensemble, voire pour l’humanité. Par exemple, tel projet qui viserait à mesurer, pour le bénéfice de l’avancement des connaissances, la différence d’intelligence entre diverses populations, serait-il acceptable? Quels en seraient les impacts pour la société, pour les groupes et/ou les individus impliqués en tant que participants, mais également pour les groupes associés à cette démarche? L’acceptabilité d’un projet de recherche implique également d’autres aspects – qualité scientifique, compétence des responsables du projet, mesures visant à protéger la confidentialité des données et à assurer le consentement libre et éclairé, coûts sociaux, etc. Ainsi, selon la nature et les conditions de réalisation des activités de recherche projetées, le comité local d’éthique de la recherche sera appelé à se prononcer sur l’acceptabilité des projets qui sont soumis à son examen.

Les comités nationaux d’éthique ont, pour leur part, été mis en place en réponse aux préoccupations soulevées par le développement des nouvelles technologies et par leur acceptabilité. En effet, le développement des technologies a non seulement connu un essor considérable au 20e siècle, mais le développement de certaines d’entre elles – que nous

désignons ici sous le terme de nouvelles technologies – s’inscrit dans un mouvement de transformation des pratiques (la technoscience) qui appelle une approche renouvelée de

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l’éthique permettant de tenir compte des multiples enjeux soulevés par le développement de ces technologies et par leur diffusion dans la société. Le rôle des comités nationaux d’éthique est de procéder à l’examen de ces enjeux et de formuler des recommandations aux gouvernements quant à l’acceptabilité de ces nouvelles technologies au niveau social. Ainsi, ces deux mécanismes répondent à une même préoccupation globale : il s’agit de s’assurer que les pratiques en matière de recherche et de développement technoscientifique fassent l’objet d’un examen quant à leur acceptabilité éthique pour la société. Cependant, deux problèmes se posent quant à la réalisation du mandat de ces deux mécanismes : le sens donné à la notion d’acceptabilité par les divers comités et la fonction sociale de ces comités.

Dans un premier temps, l’examen des projets de recherche et des nouvelles technologies afin d’en évaluer l’acceptabilité implique de faire appel à des critères, ce qui suppose une conception de l’acceptabilité, c’est-à-dire de déterminer le sens donné à la notion d’acceptabilité. La question qui se pose alors est la suivante : à quels critères d’acceptabilité les comités locaux et nationaux d’éthique font-ils appel lors de l’évaluation, et en fonction de quelle conception de l’acceptabilité?

Dans la littérature, on peut distinguer trois sens donnés à l’acceptabilité: l’acceptabilité légale, c’est-à-dire la conformité avec des règles pré-établies; l’acceptance de fait par les personnes, c’est-à-dire ce que les personnes sont prêtes à accepter en fonction de leur éthique personnelle, et l’acceptabilité éthique, qui repose sur une évaluation éthique des conséquences de la recherche ou du développement technologique ou des usages.3 En

l’absence de discours explicite sur le sens que les divers comités attribuent au mot acceptabilité – et sur les critères d’acceptabilité qu’ils utilisent dans le cadre de leurs évaluations – il est plausible de supposer que cette pluralité de sens puisse se traduire par une importante variabilité au niveau des décisions et des avis rendus par ces comités. Dans un deuxième temps, la fonction sociale idéale de ces comités serait de permettre la coordination des acteurs, et, à cette fin, ils devraient présenter une justification éthique de

3 Voir notamment dans BÉLAND J.-P. et LEGAULT, G.-A. (dir.) Asimov. De l’acceptabilité des robots. Les

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leurs décisions ou de leurs avis, afin que les citoyens, face à ceux-ci, soient en mesure d’en accepter les justifications et d’implanter les recommandations.

On attendrait donc de ces modes de régulation qu’ils soient efficaces, ce qui devrait se traduire par la mise en œuvre des décisions par les acteurs, à savoir : les chercheurs en ce qui a trait aux décisions rendues par les CÉR, ou les gouvernements pour les décisions des comités nationaux d’éthique en ce qui a trait aux nouvelles technologies. Or, pour remplir ce rôle idéal, les comités locaux et nationaux doivent avoir une homogénéité suffisante dans leurs décisions. Toutefois, on constate une importante variabilité dans les décisions rendues par ces comités.

2 Problématique de la variabilité des décisions des comités d’éthique de la recherche

L’évaluation de l’acceptabilité des projets de recherche a été confiée à des comités locaux, lesquels sont tenus de procéder à cette évaluation et de rendre des décisions en conséquence. Cependant, l’acceptabilité des décisions des CÉR s’avère problématique du fait a) de la variabilité des décisions des CÉR sur les mêmes cas; b) de l’écart entre l’évaluation des CÉR et l’évaluation que les chercheurs font de leurs projets.

2.1 Problématique spécifique de la variabilité des décisions des CÉR

Dans un premier temps, afin de vérifier dans quelle mesure le problème de la variabilité des décisions rendues par des comités d’éthique de la recherche pouvait être documenté, le groupe Biosophia a procédé, au cours des années 2003-2004, à une enquête auprès des comités d’éthique de la recherche canadiens4 au terme de laquelle il s’est avéré qu’en effet,

cette situation était non seulement confirmée, mais également préoccupante, dans la mesure où des écarts considérables entre les évaluations rendues avaient été constatés à la suite de cet exercice5. Ainsi, pour un même projet – les CÉR participants devaient procéder à

4J. PATENAUDE, Ph.D., Faculté de médecine et des sciences de la santé (FMSS), Université de Sherbrooke

- L'évaluation des risques et bénéfices dans la recherche biomédicale impliquant l'humain, au Canada : critères opérants des CÉR, et avenues d'action. Recherche subventionnée par les Instituts de recherche en

santé du Canada (IRSC). 387,398$ - 2001-2004.

5 PATENAUDE J., DE CHAMPLAIN J., BIOSOPHIA. Version CER/REBs. Canadian-Wide survey, ‘Assessment of Risk and Benefits of Biomedical Research Involving Humans in Canada : Reb’s Operating Criteria and Courses of Action’. / Rapport descriptif des résultats de l’enquête pancanadienne sur

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l’évaluation de trois protocoles de recherche fictifs – les réponses pouvaient se situer sur un spectre très large, allant de l’approbation sans condition au refus catégorique.6 Il

apparaissait donc nettement que la problématique de la variabilité des décisions rendues par les dispositifs d’évaluation éthique (en recherche, à tout le moins) devenait, étant donné les écarts observés, une préoccupation majeure compte tenu de ses implications pour la société et les parties concernées au plan des pratiques sociales.

Au cours des années suivantes, le groupe de recherche Biosophia a poursuivi ses travaux quant à l’acceptabilité sociale des pratiques en recherche avec les êtres humains. On a ainsi cherché à éclairer la variabilité des décisions éthiques en recherche à divers niveaux.

a) La compréhension du mandat et du rôle des CÉR

En ce qui a trait à la compréhension du mandat et du rôle des CÉR, les analyses qui ont suivi la recherche pancanadienne ont permis de mettre en lumière plusieurs éléments pouvant éclairer la variabilité des décisions. On peut déjà remarquer des variations dans les perceptions des CÉR quant à ce qui relève ou non de leur mandat. Ainsi, lors de l’analyse des résultats du volet portant sur le protocole en neuroimagerie fonctionnelle, certains CÉR ont analysé le protocole mais ont spécifié qu’il appartenait à une catégorie qui ne correspondait pas à leur mandat ou à leur domaine d’expertise. De plus, alors que pour certains CÉR, il appartenait à la personne invitée à participer au projet7 d’évaluer

l’acceptabilité du risque auquel l’étude pourrait l’exposer, pour d’autres, cette évaluation relevait de leurs propres mandat et responsabilités.8 Or, dans le premier cas, le CÉR

considère que l’acceptation du risque relève du jugement de la personne invitée à participer : il s’agit d’une acceptance de fait; alors que dans le second cas, le CÉR considère que cela relève de son jugement : il s’agit d’évaluer l’acceptabilité éthique du projet.

l’évaluation des risques et bénéfices de la recherche biomédicale impliquant l’humain, au Canada : critères opérants des CÉR’. Rapport de l’enquête de recherche supportée par les IRSC. 183 pages, juin 2004.

6 Voir notamment les résultats en lien avec l’évaluation du protocole en neuroimagerie, dans J. DE

CHAMPLAIN, J. PATENAUDE. Review of a mock research protocol in functional neuroimaging by Canadian research ethics board, Journal of Medical Ethics 2006; 32: 530-534. Doi 10.1136/jme.2005.012808

7 C’est-à-dire le ou la participant(e) à la recherche, également désigné (e) comme « sujet de recherche ». 8 J. DE CHAMPLAIN et J. PATENAUDE. Review of a mock research protocol in functional neuroimaging

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b) Les approches légale et éthique dans l’évaluation des projets de recherche

D’après les analyses réalisées par Legault et Patenaude, l’interprétation que les CÉR font de certains énoncés normatifs explique la variabilité de leurs décisions; il en est ainsi de la notion de normes éthiques minimales, tirée de l’Énoncé de politique des trois Conseils (1998) :

L’Énoncé de politique des trois Conseils stipule d’entrée de jeu que son contenu constitue les normes éthiques minimales à respecter. Cet énoncé semble clair. Pourtant, les CÉR interprètent différemment l’expression normes éthiques minimales, donnant du coup une couleur divergente à leur mandat. En effet, nos données indiquent l’existence de 2 interprétations radicalement opposées. D’un côté, des CÉR soutiennent que la portée éthique de leur mandat exige de dépasser l’application des normes éthiques minimales et ce, justement en ce qu’elles sont qualifiées de minimales dans le document. De l’autre côté, des CÉR ne se considèrent justement pas autorisés à exiger plus que ce « minimal ». Dépasser cette limite minimale serait, selon eux, un abus de pouvoir sur le chercheur, l’institution et les différents partenaires impliqués dans un projet de recherche9.

Ainsi, les différences entre évaluer les protocoles de recherche selon des normes minimales ou dépasser la limite minimale implique le recours à un critère d’acceptabilité éthique différent.

c) L’incidence du champ disciplinaire sur l’évaluation du risque en recherche

En ce qui concerne le troisième point, les travaux de Ginette Denicourt ont permis de démontrer l’incidence du champ disciplinaire sur l’évaluation du risque en recherche. Réalisée auprès de 70 chercheurs issus de diverses disciplines – l’anthropologie, l’économie, la psychologie et la médecine spécialisée – l’étude en question, de nature exploratoire, consistait en une enquête portant sur les représentations sociales de ces chercheurs quant au risque en recherche. L’hypothèse selon laquelle le champ disciplinaire pourrait avoir un impact sur l’évaluation du risque en recherche s’est avérée exacte, apportant ainsi un éclairage supplémentaire sur la problématique de la variabilité des décisions rendues quant à l’acceptabilité des projets de recherche :

9 LEGAULT, G.-A. et PATENAUDE, J. Chapitre 1. Au-delà des critiques adressées aux Comités d’éthique

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9

Appelés à se prononcer sur le caractère éthique du projet de la vignette, deux tiers des médecins et des psychologues jugent le projet totalement inacceptable ou fortement questionnable. Plus de trois quarts des anthropologues font de même. Les économistes se démarquent dans ce jugement global; moins de 35% jugent sévèrement le projet. Cependant, les enjeux soulevés par les chercheurs participants et l’importance qu’ils y accordent varient considérablement selon l’appartenance disciplinaire; il en est de même pour les perspectives utilisées.10

d) L’incidence de la gouvernance sur l’évaluation des projets

Enfin, en ce qui a trait à la gouvernance, les résultats ont montré que cet aspect avait un impact sur l’évaluation des projets de recherche, dans la mesure où les critères et la procédure d’évaluation relèvent de logiques différentes selon le mode de gouvernance à l’œuvre lors des travaux du comité. Ainsi, dans un article publié en 2009, Legault et Patenaude proposent d’examiner les principales zones conflictuelles dégagées lors de l’analyse des résultats de la recherche canadienne auprès des CÉR biomédicaux, « dans le but, cette fois, de démontrer en quoi chacune d’elles est une résultante d’un conflit plus profond, soit celui de la coexistence malheureuse des modes de gouverne sous-jacents : gouvernement et gouvernance11. ».

Les auteurs ont en effet montré, dans un article paru en 2007, qu’il était « possible de dégager à travers la longue expérience de l’éthique professionnelle, de laquelle s’inspire l’éthique de la recherche, trois modes de gouvernance : par la déontologie professionnelle, par le droit administratif et par l’éthique12 ». Selon les auteurs, ces trois modes de

gouvernance présentent des différences significatives qui pourraient expliquer en partie les divergences entre les points de vue en matière d’éthique de la recherche, et les critiques adressées aux Comités d’éthique de la recherche, particulièrement depuis l’implantation, en 1998, de l’Énoncé de politique des trois Conseils au Canada et du Plan d’action ministériel en éthique de la recherche et en intégrité scientifique au Québec. En effet, ces trois modes de gouvernance relèvent, comme montré par les auteurs, de logiques très différentes.

10DENICOURT, G. (2006) L’incidence de la culture disciplinaire sur l’évaluation des risques en éthique de

la recherche, Thèse de doctorat, Université de Sherbrooke, p. 110, par. 2.

11 LEGAULT G. A. et PATENAUDE, J. (2009) « Le déplacement de la normativité en éthique de la

recherche. Enjeux de gouvernance », Dir. Marc Maesschalck, et Laurence Blésin, Coll. Éthique et

gouvernance. Les enjeux actuels d’une philosophie des normes, Éd. Georg Olms Verlag,

Hildesheim/Zurich/New York, p. 186.

12 LEGAULT, G.-A. et PATENAUDE, J. Chapitre 1. Au-delà des critiques adressées aux Comités d’éthique

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10

Ces travaux ont ainsi permis d’apporter divers éclairages à la variabilité des décisions prises par les Comités d’éthique de la recherche canadiens. D’autres travaux dans Biosophia vont permettre d’établir l’écart entre les décisions rendues par les CÉR et l’évaluation que les chercheurs font de leurs projets.

2.2 Problématique spécifique de l'écart entre l'évaluation éthique des CÉR et la reconnaissance de la validité de leur évaluation par les chercheurs

Entre octobre 2007 et juin 2008, le groupe de recherche Biosophia a procédé à une vaste enquête auprès des chercheurs afin de dresser un portrait de leur perception de l’éthique de la recherche en contexte canadien13. Cette enquête a été réalisée auprès de chercheurs ou

chercheuses de deux catégories : des médecins-chercheurs et des chercheurs académiques, dont les principaux domaines de recherche se situaient en sciences humaines, en sciences sociales, en sciences de la santé ou en sciences naturelles et génie. Ces chercheurs et ces chercheuses avaient soumis leur protocole à un comité d’éthique de la recherche.14 Les

chercheurs et chercheuses étaient invités à compléter un questionnaire en trois parties. La première consistait en une série de questions visant à recueillir des renseignements sur les participants; la seconde se présentait « sous la forme d’énoncés consistant en une citation d’auteurs exprimant leur opinion sur l’un l’autre aspect de la recherche15 »; les chercheuses

et les chercheurs étaient invités à manifester leur degré d’accord (selon une échelle de Lickert) et à ajouter un commentaire pour chacun de ces énoncés; enfin une invitation à fournir un commentaire général faisait l’objet de la troisième partie.16 Des cinq cent

quatre-vingt-neuf (589) questionnaires envoyés, cent soixante-six ont été complétés et retournés à l’équipe de recherche. Cinq ont été rejetés. Le nombre de questionnaires traités est donc de cent soixante-et-un (161), ce qui représente un taux de participation de 27,33%.17

13 J. PATENAUDE, Ph.D., Faculté de médecine et des sciences de la santé (FMSS), Université de

Sherbrooke : L'évaluation éthique de la recherche biomédicale au Canada : Étude évaluative et prospective

pour une gouvernance au service de la démocratie délibérative. Recherche subventionnée par les Instituts de

recherche en santé du Canada (IRSC). 860 475$ pour 5 ans. 2004-2009.

14 LEGAULT G. A., PATENAUDE, J. et PARENT, M. « Les comités d’éthique de la recherche sur

l’humain : les chercheurs face aux enjeux d’internormativité et de gouvernance », in Revue de droit de

l’Université de Sherbrooke, no. 40, (2009-10), p. 385. 15 Ibid., p. 388.

16 Idem. 17 Ibid., p. 387.

(21)

11

L’objectif poursuivi était double : « […] d’une part, étayer plus clairement les satisfactions et les insatisfactions de chercheurs face aux comités d’éthique de la recherche et, d’autre part, vérifier l’hypothèse qu’il existe, en arrière-plan des insatisfactions, des enjeux plus profonds concernant la visée éthique des dispositifs actuels18 ».

Les résultats de cette recherche, publiés en 2009, confirment l’écart entre le travail des CÉR et la perception des chercheurs en ce qui a trait à l’éthique de la recherche et à l’évaluation éthique telle que comprise par les divers acteurs en recherche.

Ainsi en est-il de certains éléments examinés dans le cadre de la recherche réalisée auprès des CÉR canadiens, tels que la perception du rôle et du mandat des CÉR et l’incidence du mode de gouvernance sur la prise de décisions des CÉR relativement aux recherches faisant appel à des êtres humains. On peut regrouper les principales conclusions de cette étude autour des deux problématiques soulevées précédemment, soit les différents sens de l’acceptabilité et les différents rôles sociaux des CÉR.

a) Les différents sens de l’acceptabilité éthique

Ainsi, invités à exprimer leur degré d’accord avec l’énoncé suivant : « Les comités d’éthique de la recherche (…) font peu d’évaluation éthique et se soucient peu des impacts réels de leurs décisions puisque ce qui compte c’est la conformité administrative et juridique », 40% des répondants se sont dit plutôt en accord ou fortement en accord. Si 50% des répondants ont pour leur part exprimé leur désaccord face à cet énoncé, il demeure préoccupant de constater que près de la moitié des répondants l’ont appuyé, car ceci démontre de façon suffisante que, sur la question du mode d’évaluation – et donc, de l’acceptabilité, les points de vue des répondants sont très divergents.

Deux autres énoncés illustrent la problématique des différents sens donnés à l’acceptabilité par les chercheurs. Le premier reprend la distinction faite au Québec entre déontologie et éthique, introduisant entre autres la notion de valeurs, associée, au plan philosophique, à une approche axée sur l’éthique alors que la notion de devoirs est associée à une approche de type déontologique : « Pour discuter des valeurs, il faut au préalable les circonscrire et

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12

les nommer, ce qui ne se fait pas présentement, ni dans les procès-verbaux, ni les communications des comités d’éthique de la recherche avec les chercheurs. On fait de la déontologie19. ». À cette première question 24% des répondants n’ont pas pu répondre, la

distinction entre éthique et déontologie, en anglais, ne faisant pas de sens; pour les autres la majorité des répondants étaient favorables (49%) alors que 24% étaient moins favorables. Les commentaires nous éclairent davantage sur cette question dans la mesure où ils manifestent, chez certains répondants, un inconfort à traiter des valeurs en éthique de la recherche; ainsi certains s’y opposent en raison du fait que « les valeurs sont changeantes alors que les règles sont fixes20. ». Cet énoncé, outre la question des valeurs, soulevait la

question du dialogue, ce qui a particulièrement retenu l’attention des répondants. Cet aspect, repris dans un 2e énoncé qui souligne l’importance, pour le CÉR, de motiver sa

décision et « de permettre au chercheur de le rencontrer et d’en débattre », obtiendra l’assentiment d’une grande majorité de répondants, soit 59% très fortement en accord et 32% plutôt d’accord.21

b) Les différents rôles sociaux des CÉR

Si l’on considère les résultats en ce qui a trait au rôle et au mandat des CÉR, si la plupart des chercheurs sont en accord avec l’énoncé selon lequel « L’éthique de la recherche […] alimente l’approche éthique de la plupart des chercheurs en même temps que de faire naître et développer chez eux une culture éthique de la recherche […] », ils sont divisés quant au rôle que joue le CÉR en éthique de la recherche, comme en témoignent les commentaires de certains en lien avec l’énoncé soumis à leur évaluation : « Alors que certains sont fortement d’accord parce que le CÉR « éveille la conscience qui est la clé du changement » d’autres y voient davantage un rôle de conformité « REBs seems to promote attitude of following rules and procedure more than aspiring to high-minded ethical principles, which is unfortunate […]22 ».

L’énoncé E11, qui visait à mettre en évidence « une insuffisance de l’approche administrative et juridique en matière de dialogue et d’éducation, dimensions sur lesquelles

19 Ibid., p. 399. 20 Idem. 21 Idem. 22 Ibid., p. 390.

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13

insiste la gouvernance éthique », obtiendra également un appui très élevé – 51% des répondants sont fortement d’accord et 35% plutôt en accord – ce qui tend à confirmer, chez les chercheurs, le besoin d’une gouvernance éthique et le malaise face à un dispositif qui présente, à cet égard, des lacunes manifestes.23

Au malaise exprimé par les chercheurs relativement au rôle et au mandat des CÉR se greffent les insatisfactions soulevées au niveau de la gouvernance, comme le démontrent les réactions à l’énoncé E224. On peut ainsi constater que, si certains appuient fortement

l’extrait dans la mesure où il traduit leurs insatisfactions quant à une approche de type administratif, d’autres s’en distancient dans la mesure où ils considèrent que le CÉR, malgré ses limites, a un important rôle à jouer au plan de l’éthique de la recherche : « REBs can support ongoing research to maintain ethical standards, to avoid slippage overt time and suggest potential problems investigators may not have considered. Certainly REBs can’t do it all, and are a minimum treshold toward ethical research, but they have a place25 ».

Nous pouvons constater, à la lumière des résultats de cette enquête, que les acteurs ont des conceptions différentes du rôle social des comités d’éthique et des conceptions différentes de l’évaluation éthique. Ainsi les analyses ont révélé une tension entre deux tendances quant au rôle social des comités, lequel semble davantage axé, selon plusieurs, sur un mode de régulation juridique que sur un mode de régulation éthique. Des disparités se manifestent de même au niveau des conceptions de l’évaluation éthique, qui reposent tantôt sur l’évaluation des conséquences à la lumière des valeurs et tantôt sur une évaluation de conformité avec les normes. L’étude démontre également que les répondants font la différence, particulièrement au Québec, entre une gouvernance juridico-administrative et une gouvernance déontologique et éthique.

23 Ibid., p. 399-400.

24 « Instituant un divorce entre la recherche et l’éthique, et désappropriant ainsi les chercheurs des

responsabilités qui sont les leurs, l’impossible mandat des CÉR est d’assurer, en la "certifiant", la qualité éthique des recherches ou du moins le respect dans leur déroulement des normes édictées ». (Bourgeault, cité dans Legault, Patenaude et Parent, 2009, op. cit., p. 391).

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14

Ces travaux ont ainsi permis d’apporter divers éclairages à la variabilité des décisions prises par les Comités d’éthique de la recherche canadiens et d’établir l’écart entre les décisions rendues par les CÉR et l’évaluation que les chercheurs font de leurs projets, tout en n’épuisant pas la question : en effet, l’évaluation éthique elle-même, comme source possible de variabilité des décisions, demeurait ouverte.

Une autre étude dans la recherche de Biosophia26 qui a abordé davantage la problématique

de l’évaluation éthique à partir de l’application de l’Énoncé de politique des trois Conseils et qui essaie de dégager des variations possibles entre déontologie, morale, droit et éthique, a amené un éclairage sur la question de l’évaluation éthique comme pouvant éclairer la variabilité des décisions, mais n’a pas exploré ce facteur au plan philosophique, plus précisément au plan du rôle que les conceptions philosophiques pourraient jouer dans la variabilité des décisions éthiques.

3 Problématique de la variabilité des avis sur l’acceptabilité du développement des technologies pour une société donnée

Cette question a également fait l’objet d’importantes initiatives en recherche, dont le projet réalisé par le groupe InterNE3LS en 2009-2014 qui « […] vise à construire, pour la gestion

publique, un cadre de référence interdisciplinaire de l’analyse d’impact des nanotechnologies en santé et de leur acceptabilité sociale impliquant les enjeux sanitaires, sociaux et éthiques27. ».

Dans le cadre de ses travaux, le groupe InterNE3LS a procédé à l’analyse de nombreux

documents normatifs et non-normatifs dont les avis de comités nationaux d’éthique sur les nanotechnologies en France28 et au Québec.29

26DUBREUIL, Pascal, Les CER biomédicaux canadiens et l’exercice de leur mandat d’évaluation éthique

lors de l’évaluation d’un protocole fictif de neuroimagerie. Mémoire de maîtrise, Université de Sherbrooke,

février 2010.

27 Cf. Développement d'un cadre de référence interdisciplinaire de l'analyse d'impact des nanotechnologies en

santé et de leur acceptabilité sociale. Chercheure principale : J. Patenaude. Co-chercheurs : P. Boissy, L. Bernier, G.-A. Legault, J.-P. Béland, J. Beauvais, C. Bouffard. Recherche subventionnée par les Instituts de Recherche en Santé du Canada (IRSC). 757 713$ pour 5 ans (04/2009-04/2014).

28 Notamment : COMITÉ CONSULTATIF NATIONAL D’ÉTHIQUE, (CCNE), Avis et rapport sur les questions éthiques posées par les nanosciences, les nanotechnologies et la santé, no. 96, 1er février 2007,

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15

L’analyse des avis des comités nationaux d’éthique a révélé une importante variabilité dans les décisions rendues quant à l’acceptabilité des nouvelles technologies. Cette variabilité se manifeste à deux niveaux : une variabilité entre les avis rendus par un même comité national (3.1 niveau intra); une variabilité entre les avis rendus par des comités nationaux sur un même cas (3.2 niveau inter).

3.1 Problématique spécifique de la variabilité entre les avis rendus par un même comité national (niveau intra)

L’analyse des avis rendus par les comités nationaux d’éthique nous a conduits à nous pencher sur la problématique de la variabilité des décisions par un même comité national. Ainsi nous avons observé, dans les avis rendus par la Commission de l’éthique de la science et de la technologie (CEST), une différence significative entre l’avis portant sur l’acceptabilité des OGM et l’avis portant sur l’acceptabilité des nanotechnologies : dans le premier cas, on a privilégié une approche de précaution alors que dans le second cas (nanotechnologies), c’est une approche axée sur le principe de précaution qui a été privilégiée.

Cette situation met en évidence le problème de l’acceptabilité des avis rendus par un dispositif dont les repères et la composition varie en fonction de l’innovation technologique évaluée.

3.2 Problématique spécifique de la variabilité des avis éthiques au plan international (niveau inter)

Au niveau international, nous observons, pour une même technologie ou pour des innovations faisant appel à des technologies semblables, des écarts significatifs quant aux avis rendus. Le problème qui se pose dans ce cas est celui de l’acceptabilité au niveau international; ceci soulève entre autres le problème du dialogue entre divers pays sur le développement et la diffusion de nouvelles technologies.

29 GOUVERNEMENT DU QUÉBEC, Commission de l’éthique de la science et de la technologie (CEST), Éthique et nanotechnologies, se donner les moyens d’agir, 2006, 125 pages.

(26)

16

Le même problème se pose pour les CÉR et les comités nationaux à savoir : leur rôle social et comment ils définissent l’acceptabilité. C’est pourquoi nous nous sommes donné comme objectif général de mener une étude exploratoire sur le rôle que pourraient jouer les modes d’évaluation éthique dans la variabilité des décisions des différents comités d’éthique locaux et nationaux.

Cet objectif de recherche s’inscrit directement dans les travaux des groupes de recherche Biosophia (2004-2009) et InterNE3LS (2009-2014) dont une partie des travaux portent sur

le rôle de la philosophie dans la compréhension du rôle joué par l’évaluation éthique dans les décisions des différents comités.

Notre question générale se formule ainsi :

Dans quelle mesure la diversité des modes d’évaluation éthique auxquels font appel les acteurs constitue-t-elle une source de variabilité des décisions des comités et de leur acceptabilité dans une société donnée.

4 Méthodologie

A) Présentation des chantiers

La recherche pancanadienne du groupe Biosophia auprès des comités d’éthique de la recherche biomédicaux et auprès des chercheurs et des chercheuses a permis de démontrer une importante variabilité dans les décisions rendues par les comités d’éthique de la recherche et de dégager les perceptions des acteurs impliqués dans l’évaluation de la recherche au Canada. D’autres recherches mises en place dans Biosophia ont ensuite permis d’apporter un éclairage à la variabilité des décisions rendues selon diverses perspectives : incidence du champ disciplinaire sur la perception du risque, compréhension du mandat des comités d’éthique de la recherche, conceptions de la gouvernance chez les acteurs en recherche et conceptions de l’évaluation éthique en fonction des critères de l’Énoncé de politique des trois Conseils (ÉPTC).

Notre recherche vise à expliciter le facteur selon lequel la variabilité des évaluations éthiques pourrait rendre compte de la variabilité des décisions. En effet, le facteur de la

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17

variabilité des évaluations éthiques a fait l’objet d’une première analyse dans la perspective de l’application des critères de l’ÉPTC mais ce facteur n’a pas été exploré en ce qui a trait au rôle que pourraient jouer les conceptions de la philosophie dans la variabilité des décisions rendues par les divers comités d’évaluation éthique. Notre questionnement s’est donc orienté dans cette voie qui demeurait ouverte et qui s’inscrivait dans notre champ de compétence, la philosophie; notre rôle dans le Groupe Biosophia nous désignait par ailleurs pour effectuer cette recherche.

La vaste recherche descriptive de Biosophia nous met devant des facteurs potentiels d’explication de la variabilité des décisions rendues par les CÉR canadiens; toutefois rien de suffisamment établi dans la littérature ne nous permet d’envisager qu’il soit possible d’en faire une analyse causale. En d’autres termes, il serait périlleux à ce stade des recherches sur cette question d’envisager de démontrer un lien de causalité certain entre la variabilité des décisions rendues par les CÉR et les conceptions philosophiques qui pourraient sous-tendre ces décisions.

L’entreprise est complexe et ce, pour de multiples raisons : dans un premier temps, comme l’ont démontré les recherches du Groupe Biosophia, nous disposons de peu d’éléments pour procéder à l’analyse des facteurs pouvant éclairer la variabilité des décisions en ce qui a trait à la perspective philosophique. Dans un deuxième temps, les facteurs que nous voulons expliciter sont peu documentés, le sujet traité, soit la relation potentielle entre les conceptions philosophiques et la variabilité des décisions rendues par les acteurs en recherche, n’ayant jamais fait l’objet de recherches auparavant. Enfin, cette voie demeurant inexplorée, les outils d’analyse sont à construire, ce qui représente une tâche complexe compte tenu de l’absence de documentation sur ce plan dans la littérature; en effet, il n’est pas possible ici, comme c’est le cas dans la recherche usuelle, de faire appel à des outils et à des méthodes d’analyse pré-existants, le sujet traité étant encore au stade exploratoire. En conséquence, compte tenu de l’état de la question et de sa complexité, il serait prématuré d’envisager une méthode usuelle pour la réalisation du projet de recherche. La

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18

méthode exploratoire, telle que décrite par Van der Maren30, nous a semblé correspondre

davantage aux objectifs et aux défis soulevés par une telle démarche :

La recherche exploratoire tente de mettre de l’ordre dans des éléments qui, à première vue, apparaissent aléatoires, dans des événements qui n’ont de sens que si on les organise. Faisant cela, des causalités locales peuvent être dégagées; mais elles ne permettent pas de prédire, de dégager des causalités générales sinon celles qui, triviales, ne sont pas autres chose que des traits fondamentaux, des définitions de l’objet à l’étude31 .

Si elle ne permet pas de dégager des causalités générales, la recherche exploratoire ne peut faire l’économie de la consistance attendue de toute recherche valable; et dans le cas de la méthode exploratoire, c’est par l’explicitation des facteurs et de leurs relations potentielles que cette consistance peut être établie :

[…] dans une perspective inductive ou exploratoire, c’est par l’explicitation du rôle possible de l’ensemble des facteurs, dont les variables parasites, que l’on établira la consistance du programme32.

Ainsi, expliciter des facteurs oblige à trois opérations spécifiques : 1) contextualiser les facteurs à expliciter dans des institutions 2) identifier les caractéristiques des facteurs que l’on relie; 3) situer les rapports entre eux.

Notre recherche visant à expliciter le facteur selon lequel la variabilité des évaluations éthiques pourrait rendre compte de la variabilité des décisions, notre démarche doit s’articuler en trois temps correspondant à ces trois opérations spécifiques et qui vont nous permettre de préciser les objectifs spécifiques de notre recherche.

Première opération : contextualiser les facteurs à expliciter dans des institutions

La recherche de Biosophia a permis de démontrer que différentes perceptions du rôle des comités d’éthique et différentes perceptions du mode de gouvernance constituent un facteur

30 VAN DER MAREN, J.-M. (1996). Méthodes de recherche pour l'éducation. (2e édition).

Montréal/Bruxelles : PUM et de Boeck.

31 Ibid., p. 118. 32 Ibid., p. 7.

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19

déterminant dans la variabilité des décisions et des avis rendus. En effet, l’enquête réalisée auprès des CÉR et des chercheurs canadiens a démontré que si, pour certains, il existe un espace éthique, pour d’autres l’activité des comités d’éthique est affaire purement juridique, révélant ainsi un écart significatif dans les perceptions des acteurs en ce qui a trait à l’activité des dispositifs d’évaluation des projets de recherche – apportant ainsi un éclairage sur la variabilité des décisions rendues.

Si ce constat d’écart nous place, en tant que société, devant le problème de la gouvernance éthique – laquelle suppose la coordination des acteurs – le débat entre acteurs quant à la place occupée par l’éthique dans la régulation de la recherche constitue en soi un indice de la préoccupation des chercheurs à cet égard. Par ailleurs l’enquête réalisée auprès des chercheurs par le groupe de recherche Biosophia a été élaborée à partir de matériel qui témoignait déjà de la présence de cet espace éthique : c’est à partir d’extraits tirés des Actes des Journées d’étude des Comités d’éthique de la recherche et de leurs partenaires organisées par le MSSS33 et d’échanges relevés sur le site du CNÉRH que le questionnaire

adressé aux chercheurs dans le cadre de l’enquête de Biosophia a été élaboré34. Nous avons

donc de bonnes raisons de croire, à la lumière des travaux réalisés par le groupe Biosophia, qu’il existe un espace éthique en éthique de la recherche et que, par conséquent, il existerait différents types d’évaluations, soit des évaluations déontologiques, des évaluations légales et des évaluations éthiques.

Par ailleurs, au point de vue sociohistorique – c’est-à-dire au plan des transformations sociales – on constate qu’il y a un changement : de la déontologie médicale qui constitue le premier en matière de régulation de la recherche au 20e siècle, on assiste à la mise en place

de commissions nationales, qui semblent s’orienter davantage vers des analyses légales, et à la mise en place de lois encadrant les pratiques de recherche, ce qui nous amène à questionner la place de l’éthique et, par conséquent, de l’évaluation éthique dans les dispositifs locaux et nationaux d’éthique. Cependant, au Québec et au Canada des formes particulières de régulation de la recherche sont mises en place qui exigent la présence d’une

33 Ministère de la santé et des services sociaux du Québec.

34 J. PATENAUDE, Ph.D., Faculté de médecine et des sciences de la santé (FMSS), Université de

Sherbrooke : L'évaluation éthique de la recherche biomédicale au Canada : Étude évaluative et prospective

pour une gouvernance au service de la démocratie délibérative. Recherche subventionnée par les Instituts de

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20

personne versée en éthique, ce qui donne une autre raison de croire à l’existence d’un espace éthique en régulation de la recherche35.

Afin de vérifier dans quelle mesure il est possible d’établir l’existence d’un tel espace éthique, nous avons formulé deux sous-questions dans ce volet de la recherche exploratoire. a) quels sont les modes de gouvernance à l’œuvre dans l’émergence des dispositifs

locaux et nationaux d’éthique?

b) y avait-il effectivement une place pour la déontologie, une place pour le droit, une place pour l’éthique?

Par ailleurs il faut se rappeler que ces institutions ont été créées dans une culture. La nouvelle discipline qu’est la bioéthique prend son envol avec le Hastings Center qui a été fondé en 1969 aux États-Unis sous le nom de Institute of Society, Ethics and the Life Sciences36; la perspective bioéthique est appliquée ce qui constitue un renouvellement de la

philosophie. En effet, la bioéthique, comme le rappelle le philosophe Gilbert Hottois – lui-même auteur de nombreuses publications sur le sujet – est « d’abord une création de théologiens » ou de philosophes théologiens, comme en témoigne cet extrait :

Ce sont en effet des théologiens ou des philosophes théologiens que l’on rencontre partout aux origines : Joseph Fletcher, J. F. Childress, Paul Ramsey (protestant méthodiste), Richard McCormick (jésuite), Hans Jonas, Dan Callahan (philosophe catholique), LeRoy Walters (théologien mennonite), Warren Reich (théologien catholique), etc.37

Enfin, c’est suite aux travaux de la National Commission for the Protection of Human Subjects of Biomedical and Behavioral Research mise en place par le Gouvernement américain dans les années soixante-dix que sera publié le Rapport Belmont, « origine du

35Au Québec, il s’agit du Plan d’action ministériel en éthique de la recherche et en intégrité scientifique,

directive ministérielle mise en place en 1998 suite à l’Affaire Poisson, tandis qu’au Canada, ce sont les organismes subventionnaires qui ont adopté une politique qui lie les organismes par contrat, soit l’Énoncé de

politique des trois Conseils, dont la première version est parue en 1998, et la seconde version, en 2010. Selon

ces documents la présence d’une personne versée en éthique est exigée dans les comités et que ce sont ces personnes qui développent, dans les journées d’étude, les discussions sur la philosophie et sur la place de l’éthique en éthique de la recherche.

36 MARTIN, J. Quarante ans de bioéthique, des éclairages du Hastings Center, Revue Médicale Suisse, 2009;

5 : 1952-1953.

37 HOTTOIS, Gilbert, « Bioéthique » (Bioethics), in Nouvelle Encyclopédie de bioéthique, Médecine, Environnement, Biotechnologie, Gilbert Hottois et Jean-Noël Missa (dir.), Éditions De Boeck Université,

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21

principlisme (autonomie, bienfaisance, justice distributive) qu’Englehardt, T. Beauchamp et J. F. Childress38 vont développer39. ». C’est également suite aux travaux de cette

commission qu’A. R. Jonsen et S. Toulmin présenteront, en 1989, leurs travaux sur l’approche casuistique40. Ces interventions de philosophes ou de philosophes théologiens

dans ce que certains appellent « le retour de l’éthique » – dans lequel s’inscrit l’apparition de la bioéthique – témoignent de la présence de la philosophie dans la réflexion sur les enjeux soulevés par le développement technoscientifique, particulièrement dans le domaine médical.

Ceci nous amène à formuler une troisième sous-question dans la perspective sociohistorique :

c) Est-ce que le courant de la bioéthique et les philosophes investis ont pu influencer la visée des comités d’éthique?

À la lumière des trois sous-questions que nous avons formulées dans ce premier volet de la recherche exploratoire, nous pouvons formuler le premier objectif spécifique : préciser

dans quelle mesure l’émergence des comités d’éthique de la recherche et des comités nationaux d’éthique permet l’ouverture à des évaluations éthiques ou morales différentes des évaluations légales ou déontologiques.

Deuxième opération : Identifier les caractéristiques des facteurs que l’on relie

Notre recherche visant à expliciter le facteur selon lequel la variabilité des évaluations éthiques pourrait rendre compte de la variabilité des décisions, cela implique de préciser les aspects suivants : a) l’évaluation éthique et b) la place de la philosophie dans l’évaluation éthique – afin de vérifier dans quelle mesure il est possible de rattacher ces facteurs à la variabilité des décisions.

La recherche de Biosophia a révélé une diversité de perceptions quant au rôle et au mode de gouvernance des dispositifs locaux et nationaux d’évaluation éthique, et, conséquemment,

38 Cf. BEAUCHAMP et CHILDRESS, Les principes de l’éthique biomédicale, Société d’édition Les Belles

Lettres, Collection Médecine et Sciences humaines, Paris, 2008 (1979 pour la première édition, v.o.a.), 645 pages.

39 HOTTOIS, 2001, op. cit., p. 129.

40 JONSEN, A. R., TOULMIN, S. The Abuse of Casuistry, A History of Moral Reasoning, University of

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