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137. Les nombreuses études ayant pour objet le droit non-étatique fournissent des indices dont l’analyse autorise à supposer une communauté de caractéristiques des règles qui le composent, et ce au-delà de leur variété apparente. À la diversité des études répond par ailleurs une diversité d’ordre terminologique, pour désigner, identifier ou qualifier le droit non-étatique, l’acception d’un même vocable n’étant pas nécessairement identique d’un auteur à l’autre (Section 1). Les termes « anational », « transnational », « global », « privé », « non-étatique » sont fréquemment utilisés, parfois confondus, invitant à un effort de précision et de clarification quant aux caractéristiques du droit non-étatique : le terme « anational » pour désigner la source du droit non-étatique, le terme « transnational » pour son rayonnement (Section 2).

Section 1 – Une imprécision terminologique gravitant autour des caractéristiques du droit non-étatique

138. Évoquer une « imprécision terminologique » implique d’en préciser l’origine, provenant de la diversité des études académiques consacrées aux règles créées hors de l’action des États (§1), et d’en cerner la conséquence : une imprécision relative aux caractéristiques du droit non-étatique (§2).

§1 – L’origine de l’imprécision terminologique : la diversité des études académiques

139. La seconde moitié du XXe siècle et le début du XXIe sont marqués par les

premières études consacrées aux règles créées hors des États et/ou s’appliquant sans considération des frontières étatiques. De chaque côté de l’Atlantique, des auteurs, précurseurs en la matière, relèvent l’existence de nouvelles dynamiques et phénomènes juridiques œuvrant par-delà les frontières étatiques. En France, dans les années 40,

Georges SCELLE évoque, sous l’expression « droit des gens », le caractère révolutionnaire

de groupements spontanés dont le champ d’action extra-étatique ne se limite pas aux frontières nationales312. Repris quelques années plus tard outre-Atlantique, ces travaux

conduisent Philip C. JESSUP à rejeter le terme international, lui préférant une transnational law

312 G. SCELLE, Manuel élémentaire de droit international public, Domat-Montchrestien, 1943, p. 258 et s. Rappr. P. REUTER , « Principes de droit international public », Rec. cours La Haye, vol. 103, 1961, pp. 425-683, spéc. p. 432-433.

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qu’il étudie dans l’ouvrage éponyme313. Complété par de nombreux travaux empiriques,

cet effort de formalisation permet l’établissement d’un état des lieux relatifs aux études consacrées aux règles créées hors de l’action des États. Sont successivement exposées les premières études historiquement consacrées à celles-ci (A) et les premières tentatives de théorisation ultérieurement réalisées (B).

A – État des lieux des premières études académiques

140. Théâtre des premières manifestations d’un droit créé hors de l’État, le commerce est, depuis le Moyen Âge au moins314, le témoin du développement de lois

marchandes propres à ces activités. Édictées pour lutter contre la rigidité, voire pallier à l’insuffisance, du droit féodal, il semble que ces lois marchandes ne constituent pas, cependant, l’ancêtre de la lex mercatoria aujourd’hui étudiée315. Les premières études

académiques ayant pour objet cette lex mercatoria sont publiées dans les années 1930 : l’existence de droits corporatifs spécifiques à certains domaines d’activités est relevée316, la

contribution de ces ouvrages au débat sur le droit transnational demeurant cependant incertaine317. Des travaux ultérieurs, concernant le crédit documentaire318, la vente

internationale319 ou encore l’arbitrage320, génèrent, dans les années soixante, les premières

théorisations formelles de Berthold GOLDMAN321 et Clive SCHMITTHOFF322 permettant au

313 Ph. C. JESSUP, Transnational law, Yale University Press, 1956, p. 2 : « just as the word “international” is inadequate to describe the problem, so the term “international law” will not do ».

314 J. BART, « La lex mercatoria au Moyen Âge : mythe ou réalité ? », in Mélanges Philippe KAHN. Souveraineté

étatique et marchés internationaux à la fin du XXe siècle, Litec, 2000, p. 9 et s.

315Ibid., spéc. p. 9 : « il est impérieux, d’une façon générale, de prendre les plus grandes précautions avant de prétendre à l’existence, non seulement de liens de filiation, mais même d’origines communes, voire de simples ressemblances entre des phénomènes qui se développement dans des sociétés totalement différentes, sauf à analyser institutions et normes juridiques in vitro, sans tenir compte du contexte économique, social, politique ou culturel dans lequel elles se forment et évoluent ». Rappr. D. DE

RUYSSCHER, « La lex mercatoria contextualisée : tracer son parcours intellectuel », Rev. hist. droit, 2012/4, p. 499 et s., spéc. p. 515 : « ces sources [de la lex mercatoria] des treizième et quatorzième siècles n’avaient pas le sens que lui attribuèrent les auteurs ultérieurs ».

316 M. ISHIZAKI, Le droit corporatif international de la vente de soies : les contrats-types américains et la codification

lyonnaise dans leurs rapports avec les usages des autres places, M. Giard, 1928 ; G. SCHWOB, Le contrat de la London

Corn Trade Association : étude de droit comparé et de droit français, Rousseau, 1928.

317 Ph. KAHN,« La lex mercatoria : point de vue français après quarante ans de controverse », McGill Law

Journal, 1992, vol. 37, p. 413 et s, spéc. p. 416 : « l’ouvrage [d’Ishizaki] n’a pas eu le retentissement qu’il

méritait ». Comp. D. BUREAU, « Lex mercatoria », in D. ALLAND et S. RIALS (dir.), Dictionnaire de la culture

juridique, PUF, Quadrige, 2003, p. 933 et s., spéc. p. 934.

318 J. STOUFFLET, Le crédit documentaire : étude juridique d’un instrument financier du droit du commerce international, Paris, Librairies techniques, 1957.

319 Ph. KAHN, La vente commerciale internationale, Sirey, 1961. 320 Ph. FOUCHARD, L’arbitrage commercial international, Dalloz, 1965.

321 B. GOLDMAN, « Frontières du droit et lex mercatoria », Arch. phil. droit, t. 9, 1964, p. 177 et s.

322 C. M. SCHMITTHOFF, The Source of the Law of International Trade with Special Reference to East-West Trade, Stevens and Sons Ltd., 1964.

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débat sur la lex mercatoria de s’engager pleinement323. Études et recherches324 contribuent

encore à faire de la lex mercatoria l’objet le plus étudié – et le plus débattu ? – du droit non- étatique325.

141. La lex mercatoria non seulement n’épuise pas les manifestations du droit créé

hors de l’État, mais semble avoir eu pour effet d’élargir les champs d’investigation, d’autres domaines d’activité ayant été ultérieurement étudiés. Ainsi dans le monde du

sport, MM. Gérald SIMON et Franck LATTY démontrent respectivement l’existence d’une

« puissance sportive »326 et d’une lex sportiva327 dépassant les frontières étatiques. Citons encore les études liées à des déclinaisons, de la lex mercatoria en ce qui concerne la lex

maritima328, la lex petrolea329 et la lex financiaria330, de la lex sportiva via la lex olympica331 ou la

323 Pour une synthèse des conceptions de la lex mercatoria : D. BUREAU, op. cit. et les références citées, spéc. p. 937 ; Ph. KAHN, « La lex mercatoria : point de vue français après quarante ans de controverse », McGill

Law Journal, 1992, vol. 37, p. 413 et s. ; « La lex mercatoria et son destin », in L’actualité de la pensée de Berthold GOLDMAN. Droit commercial international et européen, Éditions Panthéon-Assas, 2004, p. 25 et s.

324 A. KASSIS, Théorie générale des usages du commerce (droit comparé, contrats et arbitrage internationaux, lex

mercatoria), LGDJ, 1984 ; F. OSMAN, Les principes généraux de la lex mercatoria : contribution à l’étude d’un ordre

juridique anational, LGDJ, Thèses – Bibliothèque de droit privé, 1992 ; S. HOTTE, La rupture du contrat

international. Contribution à l’étude du droit transnational des contrats, Defrénois, Doctorat et Notariat, 2007.

325 Sur les rapports droit non-étatique / lex mercatoria, tributaires de la conception retenue de cette dernière : infra nos 176 et s., et à propos du débat relatif à la lex mercatoria, parmi de nombreuses références : É. LOQUIN, « Les règles matérielles internationales », Rec. cours La Haye, vol. 322, 2006, pp. 9-242, spéc. nos 429 et s., p. 187 et s. et le titre explicite dédié à la « défense de l’ordre juridique mercatique » ; Ch. P. PAMBOUKIS, « La lex mercatoria reconsidérée », in Mélanges Paul LAGARDE. Le droit international privé : esprit et méthodes, Dalloz, 2005, p. 635 et s ; I. STRENGER, « La notion de lex mercatoria en droit du commerce international », Rec. cours La Haye, vol. 227, 1991, pp. 207-355, spéc. p. 311 et s. et l’intitulé du chapitre consacré à répondre aux critiques formulées (« La lex mercatoria n’est ni un système, ni un ordre juridique (critique d’Antoine KASSIS) »).

326 G. SIMON, Puissance sportive et ordre juridique étatique : contribution à l’étude des relations entre la puissance publique

et les institutions privées, LGDJ, Thèses – Bibliothèque de droit public, 1990.

327 F. LATTY, La lex sportiva : recherche sur le droit transnational, Martinus Nijhoff Publishers, Études de droit international, 2007.

328 En matière commerciale, certains secteurs bénéficient de réglementations particulières, et la doctrine n’hésite pas à parler de lex maritima (W. TETLEY, « The General Maritime Law - The Lex Maritima »,

Syracuse Journal of International Law and Commerce, 1994, n° 20, p. 105 et s ; Ph. DELEBECQUE, « L’arbitrage maritime : une lex maritima pour l’UpM », in F. OSMAN et L. CHEDLY (dir.), Vers une lex

mediterranea de l’arbitrage. Pour un cadre commun de référence, Bruylant, 2015, p. 63 et s.). Pour un recensement

des diverses manifestations : É. LOQUIN et L. RAVILLON, « La volonté des opérateurs vecteur d’un

droit mondialisé », in É. LOQUIN et C. KESSEDJIAN (dir.), La mondialisation du droit, Litec, Travaux du CREDIMI, 2000, p. 91 et s., spéc. p. 118 et 123.

329 D. CARREAU et P. JULLIARD, Droit international économique, Dalloz, Précis, 5e éd., 2013, n° 28, p. 10. 330 H. DE VAUPLANE, « Marchés financiers : régulation, réglementation ou autoréglementation ? », in Livre

du bicentenaire du Code de commerce, Dalloz, 2007, p. 373 et s., spéc. p. 393. Comp. le développement d’une lex economica (W. ABDELGAWALD, « Jalons de l’internationalisation du droit de la concurrence : vers l’éclosion

d’un ordre juridique mondial de la lex economica », RIDE, 2001/2, p. 161 et s.).

331 F. LATTY, « Les jeux Olympiques et le droit international rendez-vous manqué et rencontres du troisième type », Annuaire français de relations internationales, 2009, vol. X, p. 945 et s.

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lex fifa332 ou encore, dans le domaine des nouvelles technologies, les lex electronica333, lex

mercatoria numerica334, ou netlex335 en résultant.

B – Premières typologies et tentatives de théorisation

142. Ayant attiré l’attention sur un phénomène nouveau, observé et capitalisé

nombre de ses manifestations, la doctrine juridique aspire, depuis le début du XXIe siècle,

à franchir une nouvelle étape, celle de la théorisation et de la formalisation. Ainsi M.

LATTY,en conclusion d’un ouvrage approfondi sur la lex sportiva, appelle de ces vœux une

« authentique théorie du droit transnational »336. Sans nécessairement prétendre à ce

niveau de qualité attendu337, des inventaires, des classifications et des théorisations ont été

proposés, contribuant à accroître la variété des termes employés pour désigner le droit non-étatique.

143. Dans un numéro spécial consacré aux « normes privées internationales », la

Revue de la recherche juridique en exprime la diversité, qu’il s’agisse de concurrence, de

compatibilité, de télécommunications, de noms de domaines, d’environnement ou de sport338. Les contributeurs cependant se satisfont de mentionner cette diversité339,

questionnant l’existence d’une notion unique pour en rendre compte340. Le but explicite

de cette étude générale n’est pas d’ordonner les éléments regroupés dans cet ensemble « normes privées internationales », aucun critère utile de classification ou d’identification

ne s’en dégage conséquemment341.

332 F. LATTY, « La lex fifa », in M. MAISONNEUVE (dir.), Droit et coupe du monde, Economica, Études juridiques, 2011, p. 9 et s.

333 P. TRUDEL, « La lex electronica », in Ch.-A. MORAND (dir.), Le droit saisi par la mondialisation, Bruylant, 2001, p. 221 et s. ; V. GAUTRAIS, G. LEFEBVRE et K. BENYEKHLEF, « Droit du commerce électronique et normes applicables. L’émergence de la lex electronica », RIDE, 1997/5, p. 547 et s.

334 E. A. CAPRIOLI et R. SORIEUL, « Le commerce international électronique : vers l'émergence de règles juridiques transnationales », JDI 1997. 323.

335 M. MOHAMED SALAH, Les contradictions du droit mondialisé, PUF, « Droit, éthique et société », 2002, p. 66. 336 F. LATTY, La lex sportiva : recherche sur le droit transnational, Martinus Nijhoff Publishers, Études de droit international, 2007, p. 770.

337 À propos des difficultés relatives à la construction d’une théorie du droit transnational basée sur les « concepts, prétendument universels, de notre langage juridique […] intimement liés au droit de l’État- nation » : K. TUORI, « Vers une théorie du droit transnational », RIDE, 2013/1 (t. 27), p. 9 et s., spéc. p. 35. Rappr. supra no 17 et infra nos 841 et s.

338 RRJ (cahiers de méthodologie juridique : les normes privées internationales), 2011-5, n° 25, p. 2191 et s.

339 A. RAYNOUARD, « Normes privées dans l’environnement juridique international (état des lieux) », RRJ

(cahiers de méthodologie juridique : les normes privées internationales), 2011-5, n° 25, p. 2195 et s., spéc. p. 2196 et

2199 ; J.-Y. CHÉROT, « Théorie des normes, théorie du droit et normes privées internationales », RRJ

(cahiers de méthodologie juridique : les normes privées internationales), 2011-5, n° 25, p. 2217 et s., spéc. p. 2221.

340 A. RAYNOUARD, ibid., spéc. p. 2196.

341 Comp. E. MACKAAY, « Quelques réflexions sur les normes privées », RRJ (cahiers de méthodologie

p. – 91

144. Dans un numéro consacré aux « théories du droit transnational », la Revue

internationale de droit économique, se fondant sur l’influence respective du droit public et du

droit privé, propose de distinguer quatre types d’interactions, construisant une typologie

présentant quatre catégories d’analyse342. Les deux premières sont marquées d’une forte

empreinte publiciste, « pluralisme constitutionnel »343 et « droit administratif global »344,

l’accent se déplaçant progressivement vers une intégration de plus en plus grande du droit privé, jusqu’à le rendre dominant. La dénomination des deux dernières catégories d’analyse, « droit international privé au-delà de l’État-nation » et « réglementation privée », exprime le processus de privatisation des règles créées345.

145. L’ouvrage de M. Gilles LHUILIER, Le droit transnational, dresse également

quatre catégories d’analyse parmi les « règles du droit transnational », étudiant successivement le « droit transnational privé », le « droit transnational des affaires », le « droit pénal transnational » et le « droit public transnational »346.

146. Observateurs et théoriciens du droit fréquemment nommé « transnational » ont tous proposé définitions et critères caractéristiques de cette forme nouvelle de droit. L’apport de ces études est indiscutable, elles fournissent le matériau, le nécessaire préalable, aux premières théorisations. L’accord ne se réalise cependant pas

342 H.-W. MICKLITZ, « Pourquoi une édition spéciale relative aux théories du droit transnational ? », RIDE, 2013/1, t. 27, p. 5 et s., spéc. p. 5.

343 Première catégorie, le pluralisme constitutionnel constitue rôle dominant, voire exclusif, des acteurs publics et de l’État-nation. Ambiguë, l’expression sembler jouer sur la polysémie du terme constitution. Soit la pluralité réside dans les définitions attribuées : la Constitution d’un État n’est pas celle d’une société commerciale. Soit, plus probablement, le terme constitution ne souffre aucune ambiguïté, et la pluralité réside dans les divers systèmes utilisant une Constitution au sens de norme suprême. La Constitution ne serait plus le monopole de l’État et pourrait être adoptée par d’autres systèmes juridiques tels l’Europe, caractérisant ainsi une manifestation du droit transnational. Sur la question : M. AVBELJ et J. KOMÁREK, « Four Visions of Constitutional Pluralism », European Constitutional Law Review, 2008, vol. 4 (n° 3), p. 524 et s. ; M. AVBELJ et J. KOMAREK (dir.), Constitutional Pluralism and the European Union and Beyond, Hart Publishing, 2012.

344 Le droit administratif global, autre manifestation du droit transnational, rend compte des délégations consenties par l’État à des acteurs privés, et conduit la doctrine à analyser interactions et modes de coopération entre États et acteurs privés dans un contexte mondial. Sur la question : C. BORIES (dir.), Un

droit administratif global ? Actes du colloque des 16 et 17 juin 2011, Pedone, Cahiers internationaux, 2012 ; B.

KINGSBURY, R. B. STEWART, N. KRISCH, « The Emergence of Global Administrative Law », Law and

Contemporary Problems, 2005, vol. 68, p. 15 et s. ; « L'émergence du droit administratif global », RIDE,

2013/1, t. 27, p. 37 et s.

345 H.-W. MICKLITZ, « Pourquoi une édition… », op. cit., spéc. p. 5. Mêlant codification du droit privé et droit international privé au-delà de l’État-nation, la substance de la troisième catégorie est discutable. Les codifications privées auraient probablement leur place dans la quatrième catégorie car celles-ci relèvent d’une initiative privée, destinée à des acteurs privés. La construction d’un droit international privé commun est par contre réalisée sous l’impulsion des États, mais les destinataires seront tant des acteurs publics (tribunaux, administrations, notaires, etc.) que privés (professionnels, voire arbitres).

p. – 92

nécessairement entre les définitions proposées par les différents auteurs, en résulte une imprécision requérant clarification.

§2 – Le constat : l’imprécision terminologique quant aux caractéristiques du droit non-étatique

147. D’aucuns relevaient déjà l’existence d’un « flottement terminologique »347 à

propos de la lex mercatoria, processus actuellement amplifié par les manifestations de natures autres du droit non-étatique. Rendons compte de ce « flottement terminologique » à l’égard de trois termes particulièrement employés (A) afin d’en proposer une clarification (B), permettant une étude approfondie les caractéristiques principales du droit non-étatique.

A – L’emploi des termes anational, transnational et privé

148. Pour désigner une manifestation normative concrète ou désigner un ensemble de règles créées hors de l’action des États, la simple observation indique un droit

« anational », distinct ou confondu du droit « transnational »348, un droit

« métanational »349, un « droit vraiment international issu de sources privées »350, un « droit

uniforme transnational d’origine privée »351, des « normes a-nationales »352, des « règles

matérielles transnationales »353, et des « règles transnationales substantielles d’origine

privée »354. Des termes différents sont employés, désignant potentiellement une même

réalité.

347 B. GOLDMAN, « Nouvelles réflexions sur la lex mercatoria », Mélanges Pierre LALIVE. Études de droit

international, Helbing & Lichtenhahn, 1993, p. 241 et s., spéc. p. 244.

348 Ph. KAHN, « Droit international économique, droit du développement, lex mercatoria : concept unique ou pluralisme des ordres juridiques ? », in Mélanges Berthold GOLDMAN. Le droit des relations économiques internationales, Litec, 1982, p. 97 et s., spéc. p. 99 : « Pour les uns, les mots international, transnational,

mondial sont synonymes et l’emploi de l’un pour l’autre indifférent ; pour les autres, les sens sont différentes et il y aurait une progression dans l’effacement des frontières nationales au regard du développement du phénomène économique ».

349 I. STRENGER, « La notion de lex mercatoria en droit du commerce international », Rec. cours La Haye, vol. 227, 1991, pp. 207-355, spéc. p. 276.

350 R. VANDER ELST et Fr. RIGAUX, « Relations juridiques transnationales ou dialogue sur un autre droit »,

Journal des tribunaux (Bruxelles), n° 5200, 1982, p. 230 et s., spéc. p. 233.

351 Ph. KAHN, « L’autorégulation », in H. GHÉRARI, S. SZUREK (dir.), L’émergence de la société civile

internationale. Vers la privatisation du droit international ?, Pedone, 2003, p. 197 et s., spéc. p. 200.

352 C. KESSEDJIAN, « Les normes a-nationales et le futur règlement Rome 1 – Une occasion manquée (jusqu’à nouvel ordre ?) », RDC 2007/4, p. 1470 et s.

353 É. LOQUIN, « L’internationalisation des contrats sportifs », in G. SIMON (dir.), Les contrats des sportifs :

l’exemple du football professionnel, PUF, 2003, p. 33 et s., spéc. p. 46 et s.

354 B. AUDIT, « Le choix des Principes d’unidroit comme loi du contrat et le droit international privé », in

p. – 93

149. La signification des vocables utilisés n’est pas nécessairement, par ailleurs, objet de consensus, M. Pierre MAYER le relève : « initialement, l’expression “droit

transnational” (transnational law) a été employée par Ph. Jessup dans un tout autre sens : il s’agit pour cet auteur d’un melting pot où existent les droits étatiques et le droit international, public et privé, et à l’intérieur duquel le juge choisit librement la règle qui lui paraît la plus appropriée […] Cette conception étant inadmissible pour les auteurs de civil

law, ceux-ci ont repris l’expression mais lui ont donné un sens différent »355.

L’opposition existe au sein même de la doctrine de civil law : M. Filali OSMAN

considère que « la transnationalité d’une situation provient de ce qu’elle dépasse le cadre

d’un seul ordre juridique étatique et, partant, aucun d’entre eux n’est en mesure d’exercer sur elle une autorité effective. Il s’agit donc d’une situation objet d’une plurilocalisation »356, tant dit que pour M. Éric LOQUIN, le caractère transnational

implique que ses règles « s’adressent et s’appliquent quelle que soit la loi étatique régissant la relation contractuelle et sans même qu’il soit besoin de déterminer cette loi pour appliquer ces règles »357.

B – Proposition de clarification : la distinction des termes anational et transnational

150. Ce « flottement terminologique » s’analyse sur deux dimensions : une même

réalité qualifiée par différents termes, et la signification non consensuelle d’un même terme. Ceci questionne conséquemment la définition de chacune de ces caractéristiques, ainsi que la pertinence de l’utilisation des vocables « anational », « transnational », etc., pour désigner le rayonnement, la dynamique, ou la source du droit non-étatique.

151. Nous proposons d’opérer la distinction suivante : l’usage du terme « anational » renvoie à la source du droit non-étatique, le terme « transnational » vise le

rayonnement du droit non-étatique. Fort de cette distinction, il est procédé à un essai de

clarification du premier de ces deux termes. *

355 P. MAYER, « L’autonomie de l’arbitre international dans l’appréciation de sa propre compétence », Rec.

cours La Haye, vol. 217, 1989, pp. 319-454, spéc. n° 71, p. 395, note 84.

356 F. OSMAN, Les principes généraux de la lex mercatoria : contribution à l’étude d’un ordre juridique anational, LGDJ, Thèses – Bibliothèque de droit privé, 1992, p. 9, note 3.

357 É. LOQUIN, « Les règles matérielles internationales », Rec. cours La Haye, vol. 322, 2006, pp. 9-242, spéc. n° 395, p. 169. Comp. J.-B. RACINE et F. SIRIIAINEN, Droit du commerce international, Dalloz, Cours, 2e éd., 2011, n° 101, p. 67-68 : « la transnationalité signifie que le droit ne vient pas d’un seul État. Le droit, par sa source et son contenu, transcende les particularismes nationaux afin de s’adapter aux besoins et spécificités du commerce international ».

p. – 94

152. Conclusion Section 1 – Les diverses études consacrées au droit

transnational, à la lex mercatoria, à la lex sportiva et, plus généralement, aux règles créées hors