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Étude et clarification des facteurs explicatifs de la genèse du droit non-étatique

32. La genèse du droit non-étatique, au titre des motifs de son émergence, est en dominante expliquée par deux dimensions, une évaluation d’inadéquation des législations étatiques existantes ou l’observation de leur inexistence69.

Le jugement d’inadéquation est relatif à une perception de non prise en compte des évolutions de certains domaines d’activités, particulièrement soulignée dans le cadre du commerce international : « croissance »70, « expansion sans précédent »71, la variété des

expressions72 s’analyse dans une même problématique, celle du développement et de la

banalisation des échanges transfrontières depuis le milieu du XXe siècle. Quantitative,

l’évolution est aussi qualitative : « l’internationalisation des opérations commerciales […] a

changé d’échelle, et par conséquence de nature »73, le commerce international d’hier n’est

plus celui d’aujourd’hui, « l’apparition de nouvelles formes d’échange, caractérisées par des investissements considérables, et exigeant une organisation à long terme, n’a pu se satisfaire de normes faites à titre quasi exclusif pour des échanges instantanés fondés sur le contrat de vente classique […] l’évolution des technologies a obligé à la création de normes nouvelles qui n’avaient pas d’équivalents dans les législations nationales »74. Construits en

contemplation des relations internes, les droits nationaux sont évalués inadaptés par une certaine doctrine, et il en est conclu que les évolutions du commerce international

appellent la création de règles non-étatiques75. Ce courant doctrinal considère plus encore

69 Rappr., pour un constat similaire : D. BUREAU, Les sources informelles…, op. cit., nos 247 et s., p. 157 et s. 70 J.-B. RACINE et F. SIRIIAINEN, Droit du commerce international, Dalloz, Cours, 2e éd, 2011, n° 1, p. 1. 71 J.-M. JACQUET, Ph. DELEBECQUE, S. CORNELOUP, Droit du commerce international, Dalloz, Précis, 3e éd., 2015, n° 1, p. 1.

72 Pour une synthèse de l’évolution : C. KESSEDJIAN, Droit du commerce international, PUF, Thémis, 1re éd., 2013, nos 4 et s., p. 2 et s.

73 H. SYNVET, « L’internationalisation du droit des affaires », in Livre du bicentenaire du Code de commerce, Dalloz, 2007, p. 727 et s., spéc. n° 1, p. 727.

74 É. LOQUIN, « Les règles matérielles internationales », Rec. cours La Haye, vol. 322, 2006, pp. 9-242, spéc. n° 56, p. 41 (nous soulignons) ; Ph. KAHN, « La lex mercatoria : point de vue français après quarante ans de controverse », McGill Law Journal, 1992, vol. 37, p. 413 et s., spéc. p. 418 : « La vitesse accélérée des communications, les déplacements de cargaisons de plus en plus importantes (développement industriel, augmentation des populations) ont rendu nécessaire une normalisation des instruments juridiques courants. Les États étaient peu préparés à une adaptation de leur législation en ce sens : les codes civils sont récents et on a encore le culte de leurs dispositions […] surtout, selon une constante que l'on relèvera encore ultérieurement, les systèmes juridiques législatifs sont peu adaptés à régler des situations particulières en évolution rapide. I1 est donc compréhensible que les autorités professionnelles, interprétant les volontés (exprimées ou implicites, lucides ou confiantes) des membres des organisations qu'elles représentent, aient pallié cette inertie étatique en é1aborant leurs propres textes et en confortant le dispositif par des procédures autonomes de règlement des différends (arbitrage) ».

75 Ph. KAHN, « La lex mercatoria : point de vue français après quarante ans de controverse », McGill Law

Journal, 1992, vol. 37, p. 413 et s., spéc. p. 416 : « les raisons qui ont présidé à la mise en place [d’une loi

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que seuls les acteurs non-étatiques, opérant dans un domaine d’activités, sont aptes à produire les règles adaptées à leurs besoins, évalués spécifiques76. Fréquente, si ce n’est

systématique, la critique est aussi générale : il est prétendu que cette inadéquation rend compte à elle seule de la genèse du droit non-étatique, sans considération de la teneur et du degré de performance des législations nationales. Affirmée, regrettée, l’inadéquation des législations nationales est cependant rarement démontrée. Une évaluation de ce discours relativise, voire disqualifie, le plus grand nombre des critiques énoncées, clarifiant cette dimension et concluant à l’incapacité de cette inadéquation supposée à rendre compte de la genèse du droit non-étatique (Section 1).

Deuxième dimension convoquée, l’absence de législation étatique eu égard à un domaine d’activité considéré, et la nécessité conséquente de satisfaire à un besoin, rend

potentiellement compte de la genèse du droit non-étatique. M. Philippe KAHN le

résume ainsi : « lorsqu’un besoin se fait sentir et que les droits étatiques n’y répondent pas, les milieux professionnels – s’ils ont une cohésion suffisante et en raison même de la solidarité qui les unit – suppléent à l’abstention des États et s’organisent eux-mêmes. Il en résulte que le droit qu’ils élaborent est avant tout un droit fait pour régir un groupement plus ou moins vaste de professionnels »77 (Section 2).

Section 1 – L’inadéquation supposée des législations nationales aux activités déployées dans un contexte international : un facteur non explicatif de la genèse du droit non-étatique

33. Entendant rendre compte de la genèse d’un droit non-étatique, se développe un discours doctrinal l’expliquant par l’inadéquation des droits nationaux dans la

justifier l’existence d’une nouvelle lex mercatoria : des systèmes juridiques […] inadaptés aussi bien en ce qui concerne leur contenu que leur domaine d'application appellent des réponses de la part des destinataires des règles inadaptées ou inexistantes ». Rappr. F. OSMAN, Les principes généraux de la lex mercatoria :

contribution à l’étude d’un ordre juridique anational, LGDJ, Thèses – Bibliothèque de droit privé, 1992, p. 457.

76 Sur cette critique : C. KESSEDJIAN, « Codification du droit commercial international et droit international privé. De la gouvernance normative pour les relations économiques transnationales », Rec.

cours La Haye, vol. 300, 2002, pp. 79-308, spéc. p. 143 : « il n’est pas rare d’entendre dire que l’unification

internationale du droit commerciale doit être laissée à l’initiative des organisations privées qui seules seraient habilitées à créer des normes juridiques adéquates pour les opérateurs ».

77 Ph. KAHN, « Lex mercatoria et euro-obligations », in Mélanges Clive SCHMITTHOFF. Law and International

Trade, Atheniium Verlag, 1973, p. 215 et s., spéc. p. 224 (nous soulignons) ; « La lex mercatoria : point de

vue français après quarante ans de controverse », McGill Law Journal, 1992, vol. 37, p. 413 et s., spéc. p. 415 ; É. A. CAPRIOLI et R. SORIEUL, « Le commerce international électronique. Vers l’émergence de

règles juridiques transnationales », JDI 1997. 323, spéc. p. 327 : « les opérateurs ont « désormais besoin de règles, normes, incitations, ou interventions législatives à même de les libérer des contraintes juridiques lorsqu’elles existent, interdisant l’utilisation de messages en lieu et place des documents papier signés » ; A. COURET, « La dimension internationale de la production du droit, l’exemple du droit financier », in J.

CLAM et G. MARTIN (dir.), Les transformations de la régulation juridique, LGDJ, Droit et société, 1998, p. 197 et s., spéc. p. 202 : l’unification des règles, souvent coutumières, est due à un « abandon des souverainetés étatiques ».

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régulation de certains domaines d’activités, dès lors que les frontières d’un État sont franchies. Les premières traces de ce discours se repèrent en 1936 dans les écrits de Roberto AGO78, et sont reprises en 1969 par MM. Yvon LOUSSOUARN et Jean-Denis

BREDIN : « Le commerce, c’est une banalité, requiert rapidité et sécurité, par suite

certitude. Or la méthode des conflits de lois […] est loin à ces différents égards d’être pleinement satisfaisante […] Il y a plus grave. La méthode des conflits de lois prétend régler un problème international par l’application d’un droit interne […] Le vice fondamental d’une telle méthode est […] qu’elle néglige ce que les relations internationales peuvent avoir de spécifique en sorte qu’aucune loi interne ne leur est

exactement adaptée »79. L’analyse de ce propos suppose que soient distinguées les

critiques adressées aux règles matérielles adoptées (§1) et celles relatives aux méthodes employées (§2) par les ordres juridiques étatiques.

§1 – Un jugement d’inadéquation des législations nationales en raison des règles matérielles adoptées

34. Il a été indiqué que les déclarations d’inadéquation des législations nationales relèvent en dominante du postulat, voire de la pétition de principe. L’approche des auteurs reprenant actuellement à leur compte ce jugement est identique à celle de leurs prédécesseurs : cette inadéquation ne fait l’objet d’aucune démonstration. Le discours doctrinal se pérennise ainsi par effet de répétition.

35. Les deux motifs de ce jugement d’inadéquation s’énoncent en termes d’absence de satisfaction des intérêts et des besoins des domaines d’activités considérés.

Évaluer, stricto sensu accorder de la valeur aux critiques exprimées par ce courant doctrinal, suppose de lever l’imprécision terminologique liée à ces notions d’intérêt et de besoin, dont l’observation indique qu’elles sont soit confondues, soit traitées

séparément80. Selon les promoteurs de la séparation, les intérêts relèvent des finalités de

78 M. Roberto AGO considère que le législateur, appelé à créer des règles pour les « différents rapports de la vie réelle », se trouve face à une « double tâche » et distingue deux catégories : les « faits et les rapports de la vie interne », les « faits et rapports qui ont […] un caractère étranger, non pas relativement à l’ordre juridique national, mais relativement à la vie matérielle interne ». L’auteur poursuit : « le législateur pourrait théoriquement […] ne tenir aucun compte des particularités que présentent les faits et les rapports de cette deuxième catégorie ; c’est-à-dire qu’il pourrait soumettre même ces faits et ces rapports au règlement juridique qui vaut en général pour les faits et les rapports de la vie réelle interne. Toutefois, il est bien évident

qu’un tel système élèverait un obstacle très grave au développement normal du commerce et des relations internationales » (R.

AGO, « Règles générales des conflits de lois », Rec. cours La Haye, vol. 58, 1936, pp. 243-469, spéc. p. 280- 281, nous soulignons).

79 Y. LOUSSOUARN et J.-D. BREDIN, Droit du commerce international, Sirey, 1969, n° 4, spéc. p. 8-9.

80 Pour un rapprochement de ces notions : Ph. FOUCHARD, « La CNUDCI et la défense des intérêts du commerce international », LPA, 18 déc. 2003, n° 252, p. 36 et s., spéc. n° 20 et s. ; Ph. LEBOULANGER, « La notion d’intérêts du commerce international », Rev. arb. 2005. 487, spéc. p. 491.

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l’activité et s’expriment en termes de développement, équité, moralité, les besoins constituent des impératifs à satisfaire pour que l’activité se déroule convenablement, répondant alors à des critères, tels la sécurité, la flexibilité, l’efficacité81.

Au-delà de la satisfaction d’un critère d’ordre requis par l’étude, chaque notion est ici délibérément traitée successivement sans que le questionnement ne soit ignoré quant à la pertinence d’une distinction entre intérêts (A) et besoins (B)82.

A – La non prise en compte des intérêts de certains domaines d’activité par les législations nationales : une critique infondée

36. Objets de mentions fréquentes dans la littérature juridique83, les intérêts

présents dans les relations internationales privées sont pluriels, la doctrine les classe généralement en trois catégories : ceux de l’État, des personnes privées, et de la société internationale84.

81 É. LOQUIN, « Les règles matérielles internationales », Rec. cours La Haye, vol. 322, 2006, pp. 9-242, spéc. nos 58 et s., p. 42 et s.

82 Le besoin recouvre l'ensemble de tout ce qui apparaît « être nécessaire », étymologiquement estre bosoinz, que cette nécessité soit consciente ou non. L’intérêt constitue la substantivation des termes latin interest (« il importe ») et interesse (« importer, être important »). Le besoin est subi par le sujet, le désir – l’intérêt – est exprimé par le sujet. Comp. A. LALANDE, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, PUF, 13e éd., 1980, p. 531, Intérêt (sens A) : « ce qui importe réellement à un agent déterminé ».

83 H. BATIFFOL, Aspects philosophiques du droit international privé, Dalloz, Bibliothèque Dalloz, 2002 (réédition), n° 102, spéc. p. 229 ; « Les intérêts de droit international privé », in Mélanges Gerhard KEGEL, Metzner, 1977, p. 11 et s. ; B. AUDIT, « Le caractère fonctionnel de la règle de conflit (sur la crise des conflits de lois) », Rec. cours La Haye, vol. 186, 1984, pp. 219-397, spéc. 274 et s. ; G. KEGEL, « The crisis of conflict of laws », Rec. cours La Haye, vol. 112, 1964, pp. 91-268, p. 180 et s. et p. 186 et s. Comp. sur le développement de la « législation des intérêts » selon laquelle « les règles ne sont destinées qu’à provoquer le résultat socio-économique jugé souhaitable, non à conduire à la solution découlant de la théorie juridique » (B. OPPETIT, Philosophie du droit, Dalloz, Précis, 1re éd., 1999, n° 88, p. 106-107). Selon M. Yves LEQUETTE, « le danger est grand que l’attention portée à la satisfaction d’intérêts immédiats n’entraîne la

méconnaissance de valeurs auxquelles ces intérêts paraissent pourtant naturellement subordonnés » (« Le droit international privé de la famille à l’épreuve des conventions internationales », Rec. cours La Haye, vol. 246, 1994, pp. 9-233, spéc. n° 95, p. 100).

84 H. BATIFFOL, Aspects philosophiques…, ibid. ; B. AUDIT, « Le caractère… », ibid. Cette présentation est aujourd’hui interrogée par le développement de l’intérêt de la personne (L. GANNAGÉ, « Les méthodes du droit international privé à l’épreuve des conflits de culture », Rec. cours La Haye, vol. 357, 2011, pp. 223- 490, spéc. nos 171 et s., p. 370 et s.) conduisant à inscrire deux intérêts au centre des préoccupations : l’intérêt de la personne et de l’intérêt de la collectivité (F. MARCHADIER, Les objectifs généraux du droit

international privé à l’épreuve de la Convention européenne des droits de l’homme, Bruylant, 2007, n° 6, spéc. p. 16-

17 : « la Cour de Strasbourg […] veille à ménager un juste équilibre entre les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu et les exigences de l’intérêt général de la communauté »). Or, « l’intérêt des parties ne se confond manifestement pas avec la protection de l’individu. Toute l’équivoque du libéralisme individualiste est précisément d’avoir cru que la protection de chacun suffirait à organiser la vie en commun, alors qu’un faisceau de droits subjectifs ne saurait atteindre ce but, méconnaissant le problème premier qui est celui de la vie en commun » (H. BATIFFOL, « Les intérêts… », op. cit., spéc. p.

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Au sein des intérêts de la société internationale, encore nommés intérêts du

commerce international ou « intérêts économiques »85, sont évoqués le développement

des échanges économiques, l’équité, la bonne foi, la moralité des échanges86, mention par

ailleurs étant faite de l’intérêt des pays non industrialisés, voire du bien-être matériel des populations du monde entier87.

Une faible attention doctrinale est accordée à la notion d’intérêt dans le domaine des activités sportives. Ceci s’explique probablement par une moindre importance des enjeux, au regard de leurs impacts juridiques : les intérêts du commerce international ont une influence sur la qualification de l’arbitrage et la création de règles de droit international privé88, il semble que les intérêts du sport entrent en résonnance avec une

indépendance revendiquée des acteurs du mouvement sportif89.

37. Les législations nationales sont jugées inadéquates car elles ne servent pas ces

intérêts, ici compris comme finalités de l’activité. M. Éric LOQUIN, par exemple, affirme :

« ce sont ces finalités que doit servir le droit matériel du commerce international. Lui seul peut les servir dès lors que, par hypothèse, tel n’est pas l’objet des règles créées pour servir les relations internes à un ordre juridique […] Les règles matérielles internationales seraient ainsi les vecteurs des seuls intérêts de la société internationale des commerçants »90.

38. L’existence même de ces intérêts appelle cependant examen, leur inexistence potentielle relativisant en creux la portée du grief adressé aux législations nationales : quelle serait la valeur d’une critique dépourvue d’objet ? En raison du caractère « embryonnaire » de la société internationale91, la réduction des intérêts existant dans les

85 Ph. KAHN, « Droit international économique, droit du développement, lex mercatoria : concept unique ou pluralisme des ordres juridiques ? », in Mélanges Berthold GOLDMAN. Le droit des relations économiques internationales, Litec, 1982, p. 97 et s., spéc. p. 100.

86 É. LOQUIN, « Les règles matérielles internationales », Rec. cours La Haye, vol. 322, 2006, pp. 9-242, spéc. nos 76 et s., p. 48 et s. ; B. OPPETIT, « Droit du commerce international et valeurs non marchandes », in

Mélanges Pierre LALIVE.Études de droit international, Helbing & Lichtenhahn, 1993, p. 309 et s.

87 Ph. FOUCHARD, « La CNUDCI et la défense des intérêts du commerce international », LPA, 18 déc. 2003, n° 252, p. 36 et s., spéc. nos 6 et s.

88 Comp. O. CACHARD, Droit du commerce international, LGDJ, Manuel, 2e éd., 2011, n° 32, spéc. p. 29 : la mise en cause des intérêts du commerce international « renvoie à un intérêt collectif apprécié sous l’angle macro-économique. Elle n’est donc au service des parties au procès que d’une façon médiate en ce qu’elle donne plein effet à l’exercice de l’autonomie de la volonté ». Mentionne, en outre, « les intérêts de la société civile » (nos 33, p. 29 et s.).

89 Sur cette revendication : infra nos 71 et s.

90 É. LOQUIN, « Les règles… », op. cit., spéc. nos 81 et 82, p. 50.

91 P. MAYER, « Le phénomène de la coordination des ordres juridiques étatiques en droit privé. Cours général de droit international privé », Rec. cours La Haye, vol. 327, 2007, pp. 9-378, spéc. n° 160, p. 176. Caractère « embryonnaire » concédé par les partisans d’une présentation sous forme de triptyque (H. BATIFFOL, Aspects philosophiques…, op. cit., spéc. n° 102, p. 229). Comp. Y. LEQUETTE, « De la “proximité”

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relations internationales privées sous forme diptyque intérêts étatiques / intérêt privés, instille un premier doute. Il se renforce à la lecture d’une vaste démonstration destinée à identifier les fondements des règles de droit international privé. Dans cette démonstration, dont seuls quelques éléments conclusifs sont ici présentés, M. Benjamin RÉMY met en exergue deux catégories d’intérêts, l’intérêt étatique et l’intérêt privé92,

affirmant que les intérêts du commerce international se rattachent soit à des intérêts privés, ceux des commerçants, soit à des intérêts étatiques. Cette posture le conduit à poser la non existence d’intérêts autonomes du commerce international, faute de sujet identifiable93. Inexistant, l’intérêt du commerce international ne peut logiquement être pris

en compte lors de l’élaboration des règles de droit international privé. Les conclusions de l’auteur, circonscrites à ces règles, règles de rattachement ou règles matérielles, sont susceptibles de généralisation : les législations étatiques sont animées par la satisfaction d’intérêts étatiques et/ou d’intérêts privés94.

39. Autorisons-nous une relecture des intérêts précédemment convoqués : le développement des échanges, l’équité, la moralité, etc., sont-ils ceux du commerce international ? Ces intérêts ne sont-ils pas, dans les faits, des intérêts privés, ceux des commerçants, des individus composant la population, ou des intérêts étatiques, ceux de

au “fait accompli” », in Mélanges Pierre MAYER, Lextenso, 2015 p. 481 et s., spéc. n° 2, p. 482-483 : « la difficulté est ici, nous semble-t-il, plus de présentation que de fond. Il est possible, en effet, de retrouver les divers intérêts dont Henri Batiffol recherche la satisfaction en les envisageant sous la seule étiquette de l’intérêt des personnes privées impliquées dans les relations internationales et de l’intérêt de l’État ». 92 B. RÉMY, Exception d’ordre public et mécanisme des lois de police en droit international privé, Dalloz, Nouvelles bibliothèques de thèses, 2008, nos 100 et s., spéc. p. 51 et s.

93 Ibid., nos 95 et s., p. 48 et s.

94 Sans que l’analyse pose une différence stricto sensu, laquelle imposerait un choix exclusif entre l’intérêt privé ou l’intérêt étatique, M. RÉMY ne mentionne pas de lien potentiel entre ces intérêts. Or, la nature du lien potentiel entre intérêt privé et intérêt étatique ne relève sans doute pas de la différence, mais de la distinction, notion contenant la possibilité de conjugaison de ces intérêts. L’intérêt de l’État réside aussi dans la protection des individus et de leurs intérêts (A. BUCHER, « La dimension sociale du droit international privé. Cours général de droit international privé », Rec. cours La Haye, vol. 341, 2009, pp. 9- 526, spéc. no 55, p. 99-101). La satisfaction des intérêts individuels traduit, en dominante, « une certaine politique sociale ou économique, impliquant des intérêts sociétaux qui dépassent très largement ceux des seules parties à la relation juridique » (D. BUREAU et H. MUIR WATT, Droit international privé, t. I, Partie

générale, PUF, Thémis, 3e éd., 2014, no 345, p. 393). Indiquons encore : « si le respect des contrats est favorable aux prévisions des parties, la prévisibilité des conséquences d’un contrat n’est-elle pas aussi un intérêt général caractérisé ? Il semble bien que les particuliers tirent finalement profit d’un résultat poursuivi dans l’intérêt général » (H. BATIFFOL, Aspects philosophiques…, op. cit., no 101, p. 225, souligné par l’auteur). La différenciation séparatrice s’estompe : l’intérêt de l’État n’implique pas que l’intérêt de l’individu soit

ipso facto écarté, les deux peuvent être conjugués et communément recherchés : « c’est au sein des conflits

de lois que la dialectique est la plus caractéristique entre la protection d’intérêts étatiques et la recherche du bien-être des individus » (H. MUIR WATT, « Droit public et droit privé dans les rapports internationaux (vers la publicisation du conflit de lois ?) », Arch. phil. dr., t. 41, 1997, p. 207 et s., spéc. no 2, p. 208). Rappr. F. CAFAGGI, « Le rôle des acteurs privés dans les processus de régulation : participation, autorégulation et régulation privée », Revue française d’administration publique, 2004, no 109, p. 23 et s., spéc. p. 25 : « alors que la régulation poursuivrait principalement l’intérêt public, l’autorégulation protégerait exclusivement les intérêts des régulés. Cette interprétation “dirigiste” est dépassée tant en théorie qu’en pratique ».

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pays non industrialisés ? La notion d’intérêt en droit du commerce international a fonction de masque abritant des intérêts privés, elle est, selon M. Vincent HEUZÉ, de