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3.2 Dispositif expérimental

3.2.1 Les calorimètres en pratique

L’élément principal de nos calorimètres est un chip thermométrique miniature (de dimensions∼1×1×0.1 mm3), constitué d’un substrat isolant sur lequel est déposée une couche résistive, dont la résistance varie avec la température. Parmi les différents chips à notre disposition, nous utilisons des Cernox commercialisées par la société Lakeshore qui sont, parmi les chips que nous avons testés, comme nous allons le voir, ceux qui satisfont le mieux les exigences de notre dispositif de mesure à basse température et fort champ magnétique. Les Cernox sont constituées d’une couche mince d’oxynitride de zirconium déposée sur un substrat de saphir et des contacts d’or permettent de connecter électriquement la partie active de la Cernox au dispositif de mesure, voir Fig.3.5a). Il existe différents types de Cernox, dont les dépendances R(T)sont adaptées

à différentes gammes de température. Nous utilisons généralement les Cernox 1010 pour les mesures de 0.3 K à 5 K, les 1030 de 0.5 K à 20 K et les 1050 jusqu’à 100 K (au-delà de ces températures, leur sensibilité devient faible et en dessous les effets de thermalisation décrits en3.1.3apparaissent).

La partie active de la Cernox et les contacts d’or sont séparés en deux avec une scie à fil, ce qui permet d’avoir deux résistances distinctes sur un substrat de saphir, qui font office de chauffage et de thermomètre, voir Fig.3.5b). On utilise le côté avec la plus grande résistance à température ambiante RT ∼300Ω comme thermomètre et l’autre côté avec une résistance RH ∼ 200Ω comme chauffage, afin d’avoir le signal le plus important du côté du thermomètre, qui nous permet de déterminer la chaleur spécifique.

Le contact thermique, mécanique et électrique entre le calorimètre et le bain ther-mique/l’électronique d’acquisition est assuré par quatre fils métalliques, dont la compo-sition dépend de la gamme de température à laquelle le calorimètre est destiné (voir plus bas). Ils sont connectés aux contacts d’or des deux côtés de la Cernox, comme le montre la Fig.3.5c), grâce à une résine époxy conductrice contenant des particules d’argent (Epoxy Technology EPO-TEK H31) appliquée à l’aide d’un outil de micromanipulation. La résine est recuite à 150 degrés durant une heure afin d’obtenir le meilleur contact possible entre la Cernox et les fils.

La Cernox est ensuite suspendue, contacts vers le bas, au-dessus d’une rondelle de cuivre (1.2 cm de diamètre, environ 2 mm d’épaisseur) percée en son centre pour éviter les courts-circuits et les fils sont soudés avec de l’étain sur deux pistes de deux contacts, collés avec de la stycast de part et d’autre de la rondelle de cuivre, comme illustré en Fig.3.5d).

Les deux résistances de la Cernox sont connectées en quatre fils au niveau des contacts d’étain. La résistance de contact de l’époxy d’argent pouvant chauffer le calorimètre, sa résistance doit être prise en compte. Ainsi, huit connexions sont nécessaires pour connecter le calorimètre : une moitié pour le chauffage et l’autre pour le thermomètre.

L’échantillon à mesurer est fixé mécaniquement et thermiquement à la face supérieure de la Cernox (sur le saphir) grâce à quelques dizaines de microgrammes de graisse à vide Apiezon N, appliqués à l’aide d’un outil de micromanipulation. La rondelle de cuivre est vissée sur le cryostat, et va jouer le rôle de bain thermique.

1.2 cm Rondellede cuivre Contacts d’étain Cernox Fils de contact

a)

b)

c) d)

e)

F i g u r e 3.5Schémas de conception des calorimètres. a) Cernox seule avant séparation. b) Cernox après séparation du thermomètre et du chauffage avec la scie à fil. c) Cernox avec ses quatre fils connectés à l’époxy argent. d) Vue de côté et du dessus du calorimètre avec la Cernox en son centre, connectée à la rondelle de cuivre faisant office de bain thermique.

Les différents éléments des calorimètres

Nous allons maintenant faire le lien entre les éléments du dispositif représentés dans la Fig.3.6et les différents paramètres des modèles thermiques qui ont été présentés dans la section précédente :

1.2 cm

Anneau de cuivre

Contacts d’étain

Cernox

Fils de contact

a)

b)

c) d)

e)

F i g u r e 3.6Schéma des éléments constitutifs du calorimètre. L’échantillon (noir) monté sur la Cernox (gris clair) avec de la graisse à vide (vert). Les couches actives du chauffage (rouge) et du thermomètre (bleu) sont reliées par une conduc-tance thermique interne kiau reste de la Cernox. Le calorimètre est relié à la rondelle de cuivre par quatre fils métalliques de conductance thermique totale ke, grâce à de l’époxy argent et de l’étain (les deux en gris foncé) au niveau de la Cernox et de la rondelle de cuivre. L’ensemble des éléments qui constituent la capacité thermique d’addenda Caddest entouré en violet.

Le couplage thermique entre l’échantillon et calorimètre ks représente la conduc-tance thermique de la graisse à vide qui relie mécaniquement et thermiquement l’échan-tillon à la Cernox, schématisé en vert sur la Fig.3.6. Idéalement, l’échantillon est parfai-tement couplé au calorimètre : leurs températures sont identiques. Lorsque la quantité de graisse est trop faible par rapport à la capacité thermique de l’échantillon ou que sa surface ne permet pas un bon contact avec le substrat de saphir, l’échantillon n’est pas

idéalement thermalisé, ce qui induit un découplage thermique, dont l’effet a été détaillé dans la section3.1.2.

La conductance thermique interne entre le thermomètre/chauffage et le reste du ca-lorimètre ki représente la conductance thermique entre la couche résistive de la Cernox qui constitue le chauffage et le thermomètre et son substrat de saphir, représentés en rouge et bleu sur la Fig.3.6. C’est une propriété intrinsèque des différents modèles de Cernox : ce couplage est meilleur à basse température pour les Cernox adaptées aux mesures basses températures. L’effet du découplage du chauffage et du thermomètre entraîne une surestimation de la température de l’échantillon, cet effet est décrit en section3.1.3.

La conductance thermique externe entre le calorimètre et le bain thermique ke est réalisée grâce aux quatre fils métalliques représentés en noir sur la Fig.3.6. keest donc simplement la conductance thermique des fils, qui dépend du métal utilisé et des di-mensions géométriques des fils (dans le régime où la longueur thermique est bien plus grande que la longueur des fils, d’après l’équation (3.23)). Le choix de kedoit permettre de travailler à φ45

(pour maximiser le rapport signal sur bruit, voir section sui-vante), avec tan(φ) = 2ωCk

e . La capacité thermique C est généralement fixée par la taille des échantillons, que nous ne pouvons pas toujours contrôler tandis que la fréquence de travail est limitée du côté bas par les performances du lock-in et des amplificateurs (à cause du bruit en 1/ f et de dérives lentes) et du côté haut par les phénomènes de découplage cités ci-dessus, qui empirent avec la fréquence. Typiquement, les fréquences de travail idéales sont entre 0.5 et 20 Hz. À capacité thermique fixée, il est nécessaire d’avoir une valeur de kequi permette d’atteindre la phase souhaitée sur cette gamme de fréquences. Comme C et kevarient de manières différentes avec la température, le couplage thermique doit être adapté à la gamme de température du calorimètre. Pour les mesures en dessous de 10 K, nous utilisons des fils de platine-tungstène (92/8) de 25 µm de diamètre et d’environ 1 mm de longueur. Au-dessus de 10 K, ils sont remplacés par des fils de bronze-phosphore de 50 µm de diamètre.

La capacité thermique du calorimètre Cadd représente toutes les contributions à la capacité thermique qui ne proviennent pas de l’échantillon, c’est-à-dire celle de la Cernox, de la graisse, de l’époxy et des fils de couplage vers le bain. Cette contribution doit être mesurée a priori, puis soustraite de la capacité thermique totale C afin d’accéder à la contribution de l’échantillon Cs = C−Cadd. Idéalement, Cadddoit être la plus faible possible et avoir une dépendance simple en température et en champ magnétique afin de diminuer les erreurs lors de la soustraction. Il est important de mentionner que lors du changement d’échantillon, notamment au cours de campagnes de champs intenses où le temps est limité, il n’est pas toujours possible de mesurer les addenda a priori, ce qui engendre une incertitude sur la quantité de graisse, qui varie typiquement de quelques microgrammes. La graisse fait uniquement varier la contribution des phonons de Cadd et l’erreur induite lors de la soustraction de Caddentraîne une incertitude sur la valeur de Cph de l’échantillon. Lorsque l’erreur due aux variations typiques de la quantité de graisse dépasse la reproductibilité de nos mesures (5 %), par exemple lorsque l’on mesure de petits échantillons, il est préférable de mesurer leur capacité thermique après

avoir déterminé la quantité de graisse si l’on veut connaître précisément Cph(mais cela n’influence pas la détermination de Cel/T, puisque la graisse isolante n’a pas de chaleur spécifique électronique).

Notons que sur la Fig.3.6, les fils responsables de kesont connectés directement aux contacts électriques de la couche résistive de la Cernox. Nous pourrions a priori utiliser un modèle dans lequel kerelie le bain thermique au thermomètre et au chauffage, plutôt que le modèle présenté ici où kerelie le bain thermique au substrat. Une comparaison entre ces deux modèles est présentée dans la thèse de Bastien Michon [5] et montre que le modèle utilisé ici est celui qui décrit au mieux le comportement en fréquence de la température et des différents effets de découplage.

Amélioration des calorimètres

Nous venons de voir qu’idéalement, la contribution d’addenda du calorimètre Cadd doit être la plus petite et la plus simple possible ; la conductance thermique interne ki entre le thermomètre, le chauffage et le reste du calorimètre doit être maximale ; et la connexion au bain thermique doit être réalisée par des fils dans lesquels il n’y a pas d’effet de diffusivité sur nos fréquences de travail. Dans ce sens, les calorimètres à base de Cernox sont perfectibles, les travaux de doctorat de Bastien Michon [5] sur le calorimètre Cernox 1010 à basse température ont notamment mis en avant l’effet du découplage du chauffage et du thermomètre en dessous de 0.5 K et les effets de diffusivité dans les fils à partir de 10 Hz, qui correspond typiquement aux fréquences que nous utilisons, ce qui limite le choix de fréquence et donc de phase de mesure.

Afin de diminuer l’effet de la diffusivité dans les fils qui était observée au-delà de 10 Hz dans le calorimètre Cernox 1010 avec des fils de PtW de 50 µm de diamètre, je les ai remplacés par des fils du même matériau, de diamètre deux fois plus faible (25 µm) tout en réduisant leur longueur d’un facteur∼4 afin de conserver la même valeur de ke(la longueur des fils est connue à la dizaine de pour cent près, car il est difficile de contrôler la taille de la soudure d’étain qui connecte le fil à la rondelle de cuivre).

Pour une conductance thermique des fils donnée ke =κSL, diminuer le diamètre et la longueur des fils a plusieurs intérêts. D’une part, la diminution de la longueur L des fils d’un facteur∼4 augmente la gamme de fréquences pour laquelle le critère lth L est respecté, approximativement d’un facteur∼16. Concrètement, après avoir raccourci les fils, nous n’avons pas observé de dépendance en fréquence de Caddjusqu’à plus de 64 Hz. Les effets de la diffusivité thermique dans les fils sont donc devenus négligeables sur notre gamme de fréquences de travail, ce qui nous autorise à travailler à plus de 10 Hz à basse température afin de fixer la phase des oscillations de température comme nous le souhaitons.

D’autre part, avoir diminué la section et la longueur des fils a permis de réduire leur capacité thermique Cf=cSL d’un facteur∼16. Concrètement, cela a réduit considéra-blement la valeur de Cadd/T à 0.3 K, de 6 nJ/K2avec les fils longs à 1 nJ/K2avec les fils courts, comme le montre la Fig.3.7a). Comme la non-reproductibilité (écart de valeur d’une mesure à l’autre) de notre mesure est de l’ordre de 5 %, la diminution de Cadd nous permet de déterminer quantitativement la capacité thermique d’échantillons pour des valeurs de Cs=Ctot−Caddbeaucoup plus faibles.

0 10 20 30 40 50 60 70 80 0 2 4 6 8 10 C ad d / T (nJ/K 2 ) T2 (K2) RuO LS RuO ISSP Cernox 1010 50 um Cernox 1010 25 um 0.01 0.1 1 10 100 0.3 0.4 0.5 0.6 0.7 0.8 0.9 1 2ki RuO LS 2ke_ac RuO LS 2ki RuO-Yoshi 2ke_ac RuO-Yoshi 2ki 1010 2ke_ac 1010 k (m W/K ) T (K) ke k i RuO LS k i RuO ISSP ki Cernox 1010 a) b)

F i g u r e 3.7a) Dépendance en température de la capacité thermique des calorimètres Caddpour l’oxyde de ruthénium commercial (RuO LS), l’oxyde de ruthénium artisanal (RuO ISSP) et les Cernox 1010 à fils de 50 µm et 25 µm. b) Dépen-dance en température de la conductance thermique interne kides mêmes chips utilisés pour la réalisation des calorimètres. La conductance thermique externe ke(noir) des fils de platine-tungstène est montrée pour comparaison.

Améliorer la thermalisation entre le thermomètre/chauffage et le calorimètre (quan-tifiée par ki) est une tâche plus complexe, puisque cette grandeur est une propriété intrinsèque du chip utilisé pour la réalisation du calorimètre et il n’y a pas de moyen de savoir à l’avance si le couplage sera meilleur pour un chip ou un autre. Pour cela j’ai testé des calorimètres réalisés avec des chips d’oxyde de ruthénium (RuO) : un commercialisé par Lakeshore et l’autre fabriqué par notre collaborateur Yoshimitsu Kohama de l’ISSP Tokyo.

Comme l’illustre la Fig.3.7b), les deux calorimètres à base de RuO ont un couplage kisimilaire à celui de la Cernox 1010 à 1 K et meilleur à plus basse température : près d’un ordre de grandeur plus élevé à 0.3 K. Bien qu’étant a priori de très bons candidats du point de vue du couplage thermique sur la gamme 0.3−1 K, ces calorimètres ont une très forte capacité thermique à basse température, comme le montre la Fig.3.7a). La capacité thermique des calorimètres à base de RuO a un comportement non monotone en dessous de 1−2 K, probablement dû à des anomalies de Schottky. Pour la RuO de notre collaborateur de l’ISSP, la valeur de Caddà notre plus basse température est plus de dix fois plus élevée que celle du calorimètre Cernox 1010 à fils courts et celle de la RuO commerciale est près de cent fois plus grande. Généralement, la capacité thermique des échantillons à cette température est de l’ordre de Cs/T ∼ 1−10 nJ/K2. Compte tenu de la non-reproductibilité de notre dispositif, le comportement non monotone et les fortes valeurs de Caddrendraient difficile la détermination quantitative de la capacité thermique des échantillons, notamment de petites tailles. Nous avons conclu que l’effet négatif des forts addenda sur toute la gamme de température était plus important que le gain apporté par l’amélioration de ki, uniquement en dessous de 1 K, comme le montre la Fig.3.7b).

Pour ces raisons, nous avons continué à travailler avec les calorimètres à base de Cernox. Notre collaborateur de Tokyo continue de développer des chips à base de RuO

dans l’optique de conserver un bon couplage kiet de réduire la capacité thermique des addenda à des valeurs comparables à celles du calorimètre basé sur la Cernox 1010 que nous utilisons.