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2.2 Contributions à la chaleur spécifique

2.2.3 Effet de la supraconductivité

Comme nous venons de le voir, les électrons au niveau de Fermi contribuent à la chaleur spécifique et leur contribution est quantifiée par leur densité d’états électro-niques. Maintenant, nous allons voir comment leur chaleur spécifique est modifiée par la supraconductivité, lorsque les électrons s’apparient et qu’un gap ∆(k)s’ouvre au niveau

de Fermi. La théorie de la supraconductivité décrite en 1957 par Bardeen, Cooper et Schrieffer [2], montre que les nouvelles excitations dans l’état supraconducteur sont des quasi-particules qui suivent la relation de dispersion (définie par rapport au potentiel chimique) :

e(k) =

q

ξ(k)2+ |∆(k)|2, (2.18) où ξ(k)est la relation de dispersion en l’absence de gap (également définie par rapport

au potentiel chimique). Dans le cas traité par la théorie BCS, le gap ∆(k) = ∆ est isotrope (de type s). Ainsi, la relation de dispersion des quasi-particules admet un gap de largeur 2∆ au niveau de Fermi et les excitations (électrons au-dessus du gap et trous en dessous) suivent une statistique de FD f(ek, T) =1+eek/kBT−1

. Comme pour le liquide de Fermi, la dépendance en température de la distribution de FD va donner naissance à une chaleur spécifique, due aux excitations thermiques de l’état fondamental du supraconducteur.

Dépendance en température La chaleur spécifique dans l’état supraconducteur Cs(T)

est déterminée grâce à l’entropie statistique obtenue avec la distribution de FD, en prenant en compte la relation de dispersion des quasi-particules dans la phase supraconduc-trice (2.18), qui donne :

Cs(T) = 2 T

k∂ f(ek, T) ∂ek  e2k+ 1 2kBT d∆2  . (2.19)

Le premier terme entre parenthèses donne la contribution due au changement de popu-lation des états ekpar la variation de la statistique de FD. En un sens, il est l’équivalent de l’équation (2.13) avec la relation de dispersion des nouvelles quasi-particules (2.18). Ce terme est égale à la chaleur spécifique électronique de l’état normal lorsque la tempé-rature est supérieure à Tc. Quant au second terme, il représente la chaleur spécifique due à la variation du gap avec la température.

Pour un supraconducteur de type s, on trouve que la chaleur spécifique présente une discontinuité à Tc, caractéristique d’une transition du deuxième ordre. En couplage faible, l’amplitude du saut à Tcest directement reliée à la chaleur spécifique dans l’état normal ∆C=1.43×CN(Tc)et la chaleur spécifique à basse température vaut :

Ctype−s(T) =2g(EF)

s 2π∆5

0

T3 e0/kBT, (2.20) où ∆0est la valeur du gap à température nulle. On reconnaît une loi d’activation ther-mique caractéristique d’excitations gappées, due au gap dans le spectre des quasi-particules. Cette expression n’est pas valable pour un supraconducteur possédant un gap de symétrie d comme les cuprates, dont la dépendance en k est donnée par l’équa-tion (1.3). Contrairement au cas précédent où les excitations étaient gappées pour tous k, un gap supraconducteur de type d est nul pour tout|kx| = |ky|, c’est-à-dire pour des

vecteurs d’onde dans les directions nodales(±ππ)du réseau réciproque. Comme

toutes les excitations ne sont plus gappées, la chaleur spécifique a un comportement en température différent du cas isotrope, dont la détermination n’est pas triviale et peut être trouvée dans les références [104,105] :

Ctyped(T) =3.29kBγ

∆0 T2=αT2, (2.21)

où γ est le coefficient de Sommerfeld trouvé en (2.15). Comme attendu, la chaleur spécifique dans un supraconducteur de type d ne suit plus une loi d’activation thermique, car le gap s’annule graduellement aux nœuds où les quasi-particules peuvent être excitées continûment, ce qui donne lieu à une chaleur spécifique en T2. Cette expression change radicalement du comportement exponentiel trouvé en (2.20) pour un supraconducteur de type s. La comparaison entre la dépendance en température de la chaleur spécifique d’un supraconducteur de type s et de type d est illustrée en Fig.2.2a).

Effet du désordre En présence de désordre, les paires de Cooper peuvent être diffusées de manière élastique d’un couple de vecteurs d’onde de valeurs initiales(k,−k)vers des

valeurs finales(k0,−k0).

Pour un gap isotrope, l’amplitude et la phase du paramètre d’ordre supraconducteur de l’état initial et final sont identiques, la paire est ainsi conservée après le processus

de diffusion. La supraconductivité de type s est donc robuste par rapport à la présence de désordre. Il n’existe donc pas de quasi-particules excitées à T =0 puisqu’elles sont toutes gappées et par conséquent, la densité d’états électroniques est nulle (tout comme la chaleur spécifique électronique).

Dans le cas d’un supraconducteur anisotrope où le paramètre d’ordre supracon-ducteur change d’amplitude et de signe en fonction du vecteur d’onde, comme un supraconducteur de type d, la diffusion d’un électron d’une paire vers une région où le gap est nul ou de signe opposé fait perdre la cohérence de phase de la paire. La paire est donc brisée en deux quasi-particules séparées, c’est le phénomène de brisure de paires (pair-breaking) causé par des impuretés (non magnétiques). Ainsi, pour un supraconducteur de type d, la présence de quasi-particules générées par la diffusion avec les impuretés donne lieu à une densité d’états électroniques finie à T =0, responsable d’une chaleur spécifique électronique résiduelle γr.

La valeur γrpeut varier de 0 en l’absence d’impureté, jusqu’à une valeur maximale

γnqui correspond à la chaleur spécifique électronique du matériau dans l’état normal, dans le cas où toutes les paires sont brisées. Il paraît évident que plus les processus de diffusion sont nombreux, plus le nombre de paires brisées sera élevé et le terme résiduel proche de γn. Il a été déterminé [106] que le terme résiduel est en fait corrélé avec le rapport entre le gap du matériau et le taux de diffusion des quasi-particules ∆0/τ. La supraconductivité est totalement détruite par les impuretés (γr=γn) lorsque le taux de diffusion excède une valeur critique τc ∼0.4∆0[106].

type s type d

a) b)

F i g u r e 2.2Dépendance en température et champ magnétique de la chaleur spécifique électronique dans la phase supraconductrice d’un supraconducteur de type s en bleu et de type d en rouge. a) Dépendance en température en champ nul, montrant l’augmentation dans la phase supraconductrice, le saut à la température critique et la saturation dans l’état normal à γn, avec et sans terme résiduel γr. b) Dépendance en champ magnétique à température nulle, montrant l’augmentation de la chaleur spécifique dans l’état mixte en dessous de Hc2et la saturation dans l’état normal à γn, avec et sans terme résiduel γr.

Dépendance en champ magnétique La dépendance en champ magnétique de la cha-leur spécifique électronique dans un supraconducteur de type II provient de la contri-bution des cœurs de vortex. Pour rappel, l’application d’un champ magnétique dans un supraconducteur de type II entraîne la nucléation de vortex au sein de la phase

supraconductrice, dans ce que l’on appelle l’état mixte. La densité de vortex dans l’état mixte est ΦB0 et dépend exclusivement de l’amplitude du champ magnétique appliqué B et du quantum de flux Φ0porté par chaque vortex. Le cœur des vortex, de taille∼ξ2, possède une chaleur spécifique propre qui est celle de l’état normal γn. Ainsi, la chaleur spécifique dans l’état mixte (pour Hc1 H ) d’un supraconducteur de type II possédant un gap isotrope est exclusivement due à la contribution de l’état normal localisée dans les cœurs de vortex et vaut :

Ctype−s(H)/T=γn2 Φ0 =γ

H

Hc2. (2.22)

Pour un supraconducteur de type d, la chaleur spécifique ne provient pas seulement des excitations localisées dans les cœurs de vortex, mais principalement de celles des quasi-particules non gappées situées autour des régions nodales en dehors des vortex. La dépendance (non triviale) en champ magnétique à basse température (T/Tc  (H/Hc2)1/2 1) pour Hc1  HHc2a été calculée par Volovik [107] :

Ctyped(H)/T≈ γn

s H

Hc2. (2.23)

Pour les températures plus élevées(H/Hc2)1/2 T/Tc 1, l’évolution de la chaleur spécifique avec le champ retrouve un comportement linéaire similaire à celui observé dans les supraconducteurs de type s [104]. La chaleur spécifique d’un supraconducteur de type d à bas champ augmente plus rapidement que celle d’un supraconducteur de type s, en raison de la présence des quasi-particules non localisées. Dans les deux cas, au-delà de Hc2 la chaleur spécifique sature, la supraconductivité est détruite et l’état normal qui donne naissance à la supraconductivité est atteint. La comparaison de la dépendance en champ magnétique pour un supraconducteur de type s et de type d est illustrée en Fig.2.2b). Tout au long de mon doctorat, nous avons cherché à détruire l’état supraconducteur de nos échantillons en appliquant des champs magnétiques supérieurs à Hc2afin de déterminer la chaleur spécifique intrinsèque de l’état normal. La saturation de la chaleur spécifique électronique au-delà de Hc2constitue pour nous le critère de la destruction de la phase supraconductrice.