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Chapitre Trois   L

3. Les autres relateurs : la détermination nominale

Dans tous ces exemples, c'est encore une fonction qualifiante qu'il faut assigner au nom seul. Pourtant, il s'en faut de beaucoup que le radical nu soit la seule manière de qualifier un autre nom. Si la relation de qualification est locative (le N1 qui vient de N2), on aura plutôt une structure { N1 tE-lE-N2 } :

(91) ne-men te-le-lam ‘Pétrel de Tahiti’ (Pseudobulweria rostrata)

ART-oiseau de-dans-haute.mer lit. Oiseau de (dans la) mer

*ne-men lam

ART-oiseau haute.mer voir cependant (156) Si la relation de qualification est "destinative" / prospective (le N1 pour N2), on aura plutôt { N1 bE-N2 }1 :

(119) nê-qêtênge b-ê¼ ‘les poutres pour (édifier) la maison’

ART-bois pour-maison

Enfin, il faut signaler que la forme la plus fréquente (?) de détermination entre deux noms non-humains –dont le premier est aliénable– utilise un relateur ne, comparable à notre ‘de’. Ce relateur ne est obligatoirement suivi du nom seul, ce qui justifie de l'inclure dans cette présentation2 :

(184) nu-nuy NE mitig ‘bourre de coco’

ART-bourre de cocotier *nu-nuy mitig

(185) ni-tilto NE tutu ‘œuf de poule’

ART-œuf de poule *ni-tilto tutu

(186) nê-gêmlaw NE ep ‘la lumière du feu’

ART-lumière de feu

(187) na-gban NE ok ‘voile de bateau’

ART-voile de bateau

1 Pour la détermination locative, voir le §3 p.176 ; pour la détermination prospective, voir §(a) p.181.

2 Par ailleurs, nous mentionnerons à nouveau ce relateur dans notre chapitre sur la possession : §(b) p.573. En effet, ne fournit le codage le plus fréquent de la possession lorsque le possédé est aliénable, et le possesseur est autre que humain référentiel. Nous y étudierons également la forme anaphorique de ne, à savoir nan.

LES CLASSES DE MOTS ET LART DE LA TRANSLATION

194

-na-sam NE siok ‘balancier de pirogue’

ART-balancier de pirogue

(188) na-mtehal NE wôl ‘le parcours (les phases) de la lune’

ART-chemin de lune

(189) na-tgay NE lavêt ‘la fatigue à force de faire la fête’

ART-fatigue de fête

(190) mayanag NE vônô ‘le chef du village’

chef de pays

(191) na-man NE tamat ‘le pouvoir magique (négatif) des défunts’

ART-magie de défunt na-man = le ‘mana’

Du point de vue sémantique, cette relation marquée par ne se distingue de la structure locative (en tE-lE-), précisément par son absence de référence à un lieu ou un temps : cf. la discussion en §3 p.176. D'autre part, alors que bE- implique plutôt une relation virtuelle / prospective, ne a tendance à marquer une relation effective / actualisée :

(119)' nê-qêtênge NE ê¼ ‘les poutres de la maison’ (déjà édifiée)

ART-bois de maison

(122) nô-qô¾ be-leg ‘le jour du mariage (qui aura lieu)’

ART-jour pour-mariage

(122)' nô-qô¾ NE leg ‘le jour du mariage (qui a eu lieu)’

ART-jour de mariage

En revanche, la valeur sémantique de cette relation en ne n'est pas facile à contraster avec la structure directe. Dans certains cas marginaux, les deux constructions sont équiva-lentes :

(192) na-blas (ne) qo ‘mâchoire de cochon’

ART-mâchoire de cochon

(193) ne-mes (ne) madap ‘la saison des ananas’

ART-abondance de ananas

Mais dans la quasi-totalité des cas, le locuteur n'a pas le choix : le relateur ne est soit obliga-toirement présent, soit obligaobliga-toirement absent. Apparemment, la différence sémantique correspond à la possibilité (avec ne) vs. l'impossibilité (sans ne) d'isoler mentalement deux référents distincts – qu'ils soient ou non référentiels :

(194) ni-hiy NE qeyet ‘un os de chauve-souris / l'os de la ch.-s.’

ART-os de chauve.souris [deux référents impliqués] ne-vey qeyet ‘la raie chauve-souris’ (= sorte de raie)

ART-raie chauve.souris [un seul référent impliqué] Le nom direct a un rôle purement qualitatif / intensionnel1 ; le nom précédé du relateur ne implique la mise en relation entre deux éléments isolés mentalement.

II - L'art de la translation

195 -(b) Le nom en fonction d'adjoint

La seconde position syntaxique où l'on rencontre le nom est celle d'adjoint du prédicat, i.e. qualifiant de la tête prédicative. Ceci implique nécessairement qu'il se trouve à l'intérieur des limites du syntagme prédicatif (SPrd) : en particulier, on se rappellera qu'un nom sans article ne peut pas former de syntagme objet.

(195) *Nok 〈so in〉 ga. *Je veux boire du kava.

1SG PRSP boire kava

Nous allons voir ce que recouvre cette notion d'adjoint, du moins en ce qui concerne les noms. Une fois encore, il peut être pertinent de distinguer deux cas de figure, selon que le nom adjoint qualifie un élément autonome (généralement un verbe) ; ou bien qu'il vient compléter un élément dépendant.

(b.1) N2 qualifie un élément autonome 1. Nom indiquant la manière

Placé immédiatement après un verbe intransitif, un nom en position d'adjoint indiquera la manière de l'action : "faire V à la manière de X".

(196) 〈ma-hag tuvus¼el〉 hôw. ‘Il est assis (comme un) grand-chef.’

3SG PFT-assis grand.chef (bas) (i.e. assis en tailleur) 〈me-gengen tuvus¼el〉. ‘Il mange (comme un) grand-chef.’

3SG PFT-manger² grand.chef (i.e. il mange avec ses doigts)

(197) 〈Nitog hohole ta¼an〉 ! ‘Arrête de parler (comme un) homme.’

PROH parler² homme

(198) Tigsas kê 〈et-wot vu te〉, kê 〈mo-wot et 〉.

Jésus 3SG NÉG1-naître esprit NÉG2 3SG PFT-naître personne

‘Jésus-Christ n'est pas né esprit, il est né homme.’

Ceci est notamment l'usage avec le verbe wow (+Adjoint) ‘agir en tant que X / comme X’. La valeur qualifiante du nom apparaît d'autant plus clairement, que le même rôle peut être joué par des adjectifs :

(199) Kêy 〈wowow lôqôvên〉. ‘Ils font les femmes / jouent les efféminés.’

3PL AO:(agir)² femme

Kêy 〈wowow lililwo〉. ‘Ils font comme les grands / imitent les adultes.’

3PL AO:(agir)² grand²

En réalité, cette tournure est très rare dans le discours. Pour traduire le français ‘comme’, le mwotlap possède un morphème beaucoup plus courant qele :

(200) Kê 〈ma-laklak〉 qele ige magmagtô. / ? Kê 〈ma-laklak magtô〉. 3SG PFT-danser comme H:PL vieilles 3SG PFT-danser vieille

‘Il danse comme les vieilles dames.’

second membre apporte au premier une spécification en y apposant le nom d'une autre classe". On n'est pas loin, dans ces structures N1-N2, de la composition nominale : cf. §1 p.251.

LES CLASSES DE MOTS ET LART DE LA TRANSLATION

196 -2. Nom indiquant le moyen

Encore plus rarement que le cas précédent, on entend parfois des adjoints nominaux, dont la fonction sémantique est d'indiquer le "moyen" d'une action. En pratique, cette structure n'est attestée que dans deux ou trois tournures apparemment figées, impliquant des parties du corps (avec accord entre le possesseur de cette partie du corps, et le sujet) :

(201) No 〈m-et mete-k〉 kê. ‘Je l'ai vue de mes (propres) yeux.’

1SG PFT-voir yeux-1SG 3SG

(202) Kêy 〈mo-yo¾teg dêl¾a-y〉 b-eh êgên.

3SG PFT-entendre oreilles-3PL pour-chanson maintenant

‘Enfin, ils entendent la chanson pour de vrai [lit. de leurs propres oreilles].’

(203) 〈hohole nogo-ndô〉 itôk. 1IN:DU AO:parler² visage-1IN:DU être.bon

‘Ce serait mieux que nous nous parlions face à face.’

Mais il faut bien voir que cet emploi "adverbial" de ces noms est absolument exceptionnel en mwotlap. En temps normal, l'instrument est marqué en dehors du syntagme verbal, au moyen de la préposition mi (+ Substantif) ‘avec’ :

(201)' No 〈m-et 〉 mi na-mte-k. ‘Je l'ai vue de mes (propres) yeux.’

1SG PFT-voir 3SG avec ART-yeux-1SG

(a.2) N2 complète un élément dépendant

Dans les énoncés que nous venons de voir, le nom adjoint intervenait à titre de simple modifieur facultatif, à la manière d'un adverbe. Nous allons voir d'autres cas, dans lesquels l'adjoint N2 (toujours un nom sans article) apparaît requis par le contexte, en particulier par la tête prédicative qu'il vient compléter.

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