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Chapitre Deux   P

3. Une archéologie des mots

Il serait vraisemblable de dater ces emprunts (Tableau 2.9) de la première période de contact avec les Européens, alors que la majorité des locuteurs était encore monolingue – soit environ 1850-1940. À partir de la Seconde Guerre Mondiale (?), la connaissance du bislama s'étant généralisée dans la population, les locuteurs du mwotlap ont offert moins de

1 Ce n'est pas le cas avec les emprunts plus récents en p, lesquels peuvent enfreindre les règles strictes du mwotlap : ex. PLÊN → plên / *pêlên. Cf. n.1 p.124.

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-résistance à l'intrusion de mots étrangers en pV- : d'où la prolifération d'emprunts présentant cette consonne, en dépit de son absence du système phonologique. Au passage, on notera l'intérêt "archéologique" de ces datations, qui permettent de dater certains phénomènes culturels associés au contact avec les Européens :

(1) Emprunts datant de la première période [≈1850-1940], caractérisés par p → [mb] :

– introduction des ustensiles de cuisine européens (cuiller, tasse, assiette, casserole) – diffusion des jeux de cartes (pique, jouer aux cartes)

– découverte de quelques réalités familières aux Occidentaux, animales (chat), végétales (pomme de terre, citrouille) ou autres (talc)…

(2) Emprunts datant de la seconde période [≈1940-2000], caractérisés par p → [p] :

– découverte de nouvelles techniques (avion, magnétophone, électricité, ampoule) – introduction de nouveaux jeux (pétanque) et de sports modernes (jouer au volley, passer le ballon, penalty, soutenir une équipe)

– introduction des comportements politiques, après l'indépendance en 1980 (parti, politique, soutenir un camp)…

En particulier, on admirera comment le même étymon play a pu donner deux résultats différents, selon qu'il est entré dans la langue à la fin du XIXème siècle, avec les jeux de cartes (play cards BELEkat), ou bien dans la deuxième moitié du XXème s., avec les sports modernes (play volley → PLEvôlê). C'est ainsi que la phonologie des emprunts laisse parfois

affleurer l'histoire des contacts culturels.

(a.4) Les contraintes structurelles en conflit

Si l'on excepte les emprunts, le son [p], on l'a dit, n'apparaît presque jamais à l'initiale de syllabe. Pourtant, on le rencontre dans une toute petite poignée de mots qui ne sont pas des emprunts : ex. [pl] ‘de peur que’, [apap] ‘par erreur’, [nýwýipip] ‘sifflet’, [na¥aipip] ‘ballon gonflable’. En réalité, ces exceptions s'expliquent par des problèmes d'analogie.

La première forme citée est variante exceptionnelle, ou plus précisément fautive, du morphème modal vele ~ tiple ~ … que nous appelons Évitatif. La prolifération de variantes libres pour cette marque donne parfois lieu à des innovations chez les jeunes locuteurs, lesquels sont aussitôt repris par leurs aînés : en effet, une forme comme [pl] contrevient à la phonologie du mwotlap, qui interdit à un [p] d'apparaître à l'initiale de syllabe1.

Les trois autres formes citées résultent d'un processus de réduplication : /av/ [ap] ‘par erreur’ → [apap] ; /iv/ [ip] ‘souffler’ → [ipip]

Il s'agit là des deux seules racines réduplicables ayant une structure /V+v/. Lorsqu'il doit en construire le redoublement, le locuteur se trouve théoriquement devant deux possibilités :

– soit la réduplication a lieu au niveau phonologique : la racine /av/ se réduplique donc en /avav/ ; ce n'est qu'après qu'interviennent les règles de réalisation phonétique : /avav/ = [avap] ;

1 Nous donnerons davantage de détails lorsque nous présenterons le morphème d'Évitatif dans notre chapitre sur l'aspect et le mode : cf. §(a) p.923.

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-– soit la réduplication a lieu "directement" au niveau phonétique : dans ce cas, la forme /av/ [ap] se redouble en [apap], au risque d'enfreindre les principes phonologiques, interdisant le son [p] en début de syllabe.

Or, fait remarquable, les deux solutions sont possibles en mwotlap : il nous est arrivé plus d'une fois d'entendre les locuteurs hésiter entre les deux stratégies, et proposer tantôt [avap] (forme "correcte phonologiquement"), tantôt [apap] (forme "correcte phonétiquement"). C'est la preuve que le locuteur se trouve pris entre plusieurs pressions fonctionnelles, plusieurs contraintes de structures, qui peuvent entrer en conflit les unes avec les autres : ƒ d'un côté, des contraintes phonologiques distribuant strictement les allophones [v] et

[p] dans le mot, afin de permettre un traitement efficace de l'information (au niveau de l'analyse en phonèmes) → d'où [a|vap]

ƒ de l'autre, des contraintes morphologiques incitant une forme rédupliquée à ressembler, autant que possible, au redoublement de la forme simple1 – et ce, dans le but évident de rendre également plus efficace le traitement de l'information (au niveau de l'analyse en

morphèmes) → d'où [apap]

Loin d'être des arguments en faveur d'un phonème /p/ distinct de /v/, ces exemples très particuliers constituent au contraire une preuve supplémentaire qu'en mwotlap (sauf emprunts récents), derrière tout [p] se cache un /v/ sous-jacent. C'est la seule façon, en effet, d'expliquer les variations phonétiques que l'on observe dans la langue. Par ailleurs, l'existence d'emprunts en [pV] n'est pas un argument suffisant, comme nous l'avons expliqué dans le cas du [r]. Aussi considérerons-nous que le phonème /p/ n'existe pas en mwotlap.

(b) Les prénasales

(b.1) Quand l'implosion désoralise

Les deux consonnes prénasalisées du mwotlap, à savoir /mb/ et /nd/, présentent le même type de problème que l'alternance [v] ~ [p], mais sous une forme légèrement différente. En effet, alors que l'on pouvait établir un schéma de stricte distribution complémentaire entre [v] et [p], ce n'est pas le cas avec [mb] ou [nd]. La seule constatation que l'on peut faire, est que ces deux derniers sons ne s'entendent qu'en position explosive (= avant voyelle)2 :

ex. [m

bm] ‘porter sur le dos’ ; [nm

bm] ‘papillon’ ; [m bjm bj] ‘plaisanter’ ; [mm bý] ‘aïeul / petit-fils’ ; [nýjm bajm

baj] ‘île d'Ureparapara’… ex. [ndÝjÝ] ‘attendre’ ; [ndÝm ndÝm] ‘penser’ ; [nwtnd¹nd¹] ‘grelot’ ;

[nýjýpndÝ¥] ‘pandanus’…

Qu'adviennent-ils en position implosive, i.e. en fin de syllabe ? Pour des raisons compré-hensibles, le processus d'implosion rend inaudible la phase orale de ces phonèmes, et toute la consonne se trouve gagnée par la nasalité ; en conséquence, les deux occlusives prénasali-sées se présentent sous la forme de la consonne nasale correspondance, respectivement [m] et [n]. C'est ce qui apparaît dans les alternances morphologiques liées à la préfixation ou au redoublement. Ainsi, pour le phonème /mb/ :

1 Les règles exactes régissant la morphologie de la réduplication seront données au § IV p.128.

2 Chez certains locuteurs, les deux phonèmes s'entendent parfois dénasalisés, en particulier à l'initiale de mot ou après consonne : [bm] ‘porter sur le dos’, [dÝjÝ] ‘attendre’… Cf. §(b.4) p.59 à propos des emprunts.

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72 -radical BYI¿ ‘aider’ → biyi¾ [m

bi|ji¹] ‘aident’ me-byi¾ [mm|ji¹] ‘(il) a aidé’ biyibyi¾ [m

bi|jim|ji¹] (forme rédupl.) radical BHE ‘abouter’ → behe [m

b|h] ‘mettent bout à bout’ me-bhe [mm|h] ‘(il) a mis bout à bout’ behebhe [m

b|hm|h] (forme rédupl.) radical BLÊIT ‘assiette’ → bêlêit [m

bÝ|lÝit] ‘d'assiette’ nê-blêit [nÝm|lÝit] ‘assiette’ radical BNÊ~ ‘main’ → bênê-k [m

bÝ|nÝk] ‘de ma main’

na-bnê-k [nam|nÝk] ‘ma main’

– et de même pour le phonème /nd/ :

radical DYÊ ‘attendre’ → dêyê [n

dÝ|jÝ] ‘attendent’ me-dyê [mn|jÝ] ‘(il) a attendu’ dêyêdyê [n

dÝ|jÝn|jÝ] (forme rédupl.) radical DLIG ‘vaseux’ → dilig [n

di|li¥] ‘vaseux’ ne-dlig [nn|li¥] ‘être vaseux’ radical DÊLO~ ‘cou’ → dêlo-n [n

dÝ|ln] ‘de son cou’

nê-dlon [nÝn|ln] ‘son cou’

(b.2) La révélation par les tests

S'il n'est pas possible de parler de distribution complémentaire ici, c'est que les nasales sont quant à elles possibles dans toutes les positions, initiale et finale de syllabe. Ainsi, on trouve des paires minimales opposant l'occlusive à la nasale homorganique :

na-mal [namal] ‘busard’ na-bal [nam

bal] ‘ciseaux’

na-nay [nanaj] ‘veuve’ na-day [nan

daj] ‘sang’

L'opposition nasale / semi-nasale est donc tout à fait pertinente en mwotlap ; mais elle se trouve neutralisée en fin de syllabe1. La meilleure illustration de cette neutralisation est avec les deux radicaux suivants :

radical MTE~ ‘yeux’ → mete [m|t] ‘de tes yeux’

na-mte [nam|t] ‘tes yeux’

radical BTE ‘fruit-à-pain’ → bete [mb|t] ‘de fruit-à-pain’ na-bte [nam|t] ‘le fruit-à-pain’

En conséquence, la meilleure façon de savoir si un [m] en fin de syllabe correspond à un phonème /m/ ou à un /mb/ sous-jacent, est de chercher à le "faire passer" en début de syllabe, au moyen d'une règle morphologique quelconque. Par exemple, sachant que le ‘nuage de pluie’ se dit (avec l'article ) [namlÝ¥], il suffit de trouver un contexte où l'article nA-disparaît pour que la première consonne du radical apparaisse en début de mot :

1 Ce phénomène est banal dans les langues. Ainsi, bien que l'allemand oppose la sourde [t] et la sonore [d] en début de mot, il neutralise cette opposition à la finale : Rad [t] ‘roue’ ~ Rat [t] ‘conseil’.

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-(2) [Tath mÝlÝ¥] / *[Tath mbÝlÝ¥] ‘Il n'y a aucun nuage.’

non.exist nuage

C'est la preuve que la forme sous-jacente à ce radical est MLÊG, avec un phonème /m/. Inversement, le nom du poisson ‘Écureuil rose’ (Sargocentron tieroides) est [namlak¹mwÝt], mais c'est un /mb/ qui s'y révèle sous-jacent si l'on applique le test :

(3) [Tath m

balak¹mwÝt] ‘Il n'y a pas d'Écureuil rose.’

non.exist écureuil.rose

En conséquence, la forme lexicale de base pour ce poisson sera BLAK½ÊT. Le même test permet de découvrir que le n de [nan|¥Ýk] ‘mon visage’ est bien un véritable n (→ radical

NGO~ ‘visage’). En revanche, le n de [mn¹¥] ‘(il) a sursauté’ cache un phonème /nd/, comme le prouve le redoublement [n

d¹n¹¥] (→ radical D¿EG ‘sursauter’). (b.3) Le secours de l'étymologie ?

Par définition, ce test morphologique n'est possible qu'avec les mots préfixables (noms, adjectifs, verbes), et à l'initiale absolue du radical : cf. nos exemples byi¾, bhe, bnê~, blak¼êt, dlig, d¾eg… Ailleurs qu'à l'initiale du radical, aucun test ne permet de savoir si un [m] recouvre un phonème /m/ ou un /mb/. Seules l'étymologie et la comparaison avec les langues voisines nous permettent de reconnaître tantôt l'un, tantôt l'autre :

– puisque le nom du papillon [nmbm] provient de POc * m

bembe, le [m] final du radical est

donc en fait un /m b/ ;

– de même, [jm] ‘grimper’ correspond à rep en mosina, et rap en mota (< POc *rambit) ;

– [natamtam] ‘l'amour’ correspond à tapetape en mota (cf. tapeva p.68), et recouvre donc une forme sous-jacente /na-tambtamb/ ;

– le nom des Enfers [amný] est panoi en mota, et provient d'une racine PNCV *mbanoi

‘volcan’ : on a donc en fait /ambný/ ;

– [v¹n] ‘pêcher sur le récif’ < POc *pa¹onda ;

– [nan¹mw] ‘relateur entre dizaines et unités’ [cf. p.348] est n

deme en langue vürës,

suggérant une forme sous-jacente /nanmw e/

– le pronom de ‘nous inclusif’ est [¥Ýn], mais il provient d'une prénasalisée PNCV *¥inda, etc.

À la limite, on pourrait décider d'adopter une orthographe étymologisante, en notant tous ces mots avec des phonèmes prénasalisés : ne-beb, yeb, na-tabtab, Abnô, vo¾od, nad¼e, gêd… C'est d'ailleurs l'orthographe que l'on trouve dans la description de Codrington (1885: 312), ex. natabtab, ged, nad¼e : s'agit-il là d'un souci étymologique de l'auteur ? Une hypothèse plus vraisemblable, et plus intéressante aussi, serait qu'en 1885, les consonnes /mb/ et /nd/ pouvaient encore être distinguées des nasales /m/ et /n/ en position finale – encore un exemple de changement phonétique au cours du XXème siècle.

Quoi qu'il en soit, le mwotlap n'opère plus cette distinction en synchronie, et il serait bien entendu absurde de la maintenir dans l'écriture, sous des prétextes étymologiques. Pour le locuteur moderne, rien ne permet de savoir que [na-tamtam] est la réalisation phonétique de /na-tambtamb/, car aucune règle morphologique (du type suffixation) ne permet de faire affleurer les phonèmes sous-jacents ; de ce fait, il faut considérer que la forme phonologique de ce mot, en synchronie, est désormais /na-tamtam/, sans aucune trace de son étymologie –

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-aussi n'aurons-nous aucun scrupule à le noter na-tamtam. Il en est de même pour ne-bem,

yem, Amnô, vo¾on, nan¼e, gên, etc.

(b.4) Transcription phonologique vs. phonétique

En revanche, la question se pose vraiment pour les cas mentionnés au §(b.1), par ex. [mmji¹] ‘a aidé’. Dans la mesure où la morphologie fait régulièrement apparaître les phonèmes sous-jacents –ex. [m

biji¹] ‘aident’–, il est tout à fait légitime de considérer que pour le locuteur, le radical est mémorisé avec une occlusive prénasale /mbji¹/ ; et c'est en vertu de règles phonologiques productives que sera calculée la réalisation phonétique exacte en énoncé. On opterait alors pour une orthographe non pas étymologique, mais phono-logique : c'est celle que nous avons utilisée dans nos exemples, ex. biyi¾ / me-byi¾ / biyibyi¾ ; na-bnê-k ; nê-dlo-n, etc. Celle-ci offrirait l'avantage de distinguer d'emblée les deux formes homonymes na-bte ‘fruit à pain’ et na-mte ‘tes yeux’.

Cependant, malgré son intérêt et sa simplicité, une telle transcription phonologique n'a pas emporté l'adhésion de tous les locuteurs du mwotlap, pour qui une lecture immédiate était préférable. Conformément à leurs préférences, nous suivrons donc désormais la solu-tion d'une transcripsolu-tion purement phonétique, reflétant les formes de surface plutôt que les formes phonologiques sous-jacentes1 : nous écrirons donc biyi¾ / me-myi¾ / biyimyi¾,

na-mnê-k etc. Cela n'est affaire que de convention, et n'entame en rien l'analyse

morpho-logique que nous avons proposée. Le lecteur devra simplement s'attendre à ce que des m se muent quelquefois en b ou des n en d, et ne pas s'étonner des liens entre ni-myomyoy ‘(il) essore’ et boyoy ‘essore !’, ou entre na-mlem ‘empreinte de pas’ et na-balbe-k ‘semelle’. 5. Morphonologie des consonnes

Pour conclure cette présentation des consonnes, nous noterons qu'à la différence de nombreuses langues, le mwotlap ne met en jeu quasiment aucune règle de samdhi entre ses phonèmes consonantiques. Ceci est d'autant plus remarquable, que les rencontres de consonnes sont de règle dans un système fondé sur un squelette syllabique C1VC2C3VC4.

Par exemple, en synchronie, on ne constate aucun phénomène d'assimilation entre consonnes. Les seuls cas d'assimilation ou altération dues à un contact de consonnes, ne concernent que quelques lexèmes isolés, et ne peuvent pas être formulés sous forme de règles :

van ‘aller’ + yak ‘hors de (ANG off)’ → vanyak ~ vayak /vajak/ ‘déguerpir’ mais van yow / *vayow ‘sortir…’

et ‘voir’ + goy ‘sur… (ANG over)’ → etgoy ~ egoy /e¥oj/ ‘faire attention’ mais vêtgiy / *vêgiy ‘ériger’

et ‘voir’ + sas ‘(trouver)’ → etsas ~ eksas /eksas/ ‘trouver’

mais et so / *ekso ‘constater que’ Par ailleurs, les rencontres 〈nasale + orale〉 n'impliquent jamais de déplacement de point d'articulation : bunbun ‘effacer’ articule distinctement [-nmb-], yo¾teg ‘entendre’ reste [-¹t-], etc.2 D'autre part, on ne relève aucune incompatibilité entre consonnes, chacune étant

1 Ceci est cohérent avec la décision que nous avons prise pour pour le problème du [v] ~ [p] : §(a.2) p.66. 2 Crowley (2002: 589) commet donc une légère erreur en disant "/b/ becomes /m/ before a nasal" : en réalité,

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-conduite à côtoyer les autres ; et autre fait notable, chaque consonne est attestée avec n'importe quelle voyelle à sa gauche ou à sa droite, sans aucune difficulté.

Les deux seules règles de samdhi concernant les consonnes sont les suivantes : ƒ Règle de samdhi entre la semi-consonne /w/ et la constrictive vélaire /¥/ :

/-w + ¥-/ → [-w-]. Nous avons présenté cette règle à la fin du §(c.2) p.60. ƒ Règle de dégémination : /-Ci+Ci-/ → [-Ci-]

Deux consonnes phonologiquement identiques se simplifient obligatoirement en une seule consonne, aussi bien à l'intérieur d'un mot qu'entre deux mots adjacents : /tit/² → /tittit/ → [titit] ~ *[tittit] ‘donner un coup de poing’

Tot te madap van → [ttmandavan] ‘Coupe-lui un peu d'ananas.’ 1

En conséquence, la phonologie du mwotlap exclut absolument la tenue d'une consonne (i.e. l'extension du délai entre l'implosion et l'explosion) : sauf procédé expressif d'ailleurs rare, on n'a jamais ni gémination ni "consonne longue", si tant est que la distinction soit pertinente dans d'autres langues.

En réalité, la complexité de la morphonologie du mwotlap réside beaucoup moins dans ses consonnes, que dans ses voyelles.

B. VOYELLES

Le système vocalique du mwotlap est un système symétrique comprenant sept voyelles. Codrington (1885 : 311) n'en avait vu que six.

Tableau 2.10 – Les sept voyelles du mwotlap

i u

Ý ý

e o

a

Il s'agit uniquement de monophtongues orales : le mwotlap ne contient ni diphtongues2, ni voyelles nasales, ni voyelles longues (sauf cas d'expressivité). On n'entend pas non plus de voyelle centrale : le mwotlap est une langue à articulation tendue.

1. Sept voyelles pertinentes

Les voyelles /a/, /i/, et /u/ se réalisent selon leur valeur dans l'API. Les deux voyelles semi-ouvertes /e/ et /o/ se réalisent généralement ouvertes, resp. [] et [], mais parfois plus fermées [e] et [o] ; en réalité, cette différence n'est pas pertinente dans la langue, et c'est pourquoi, par souci de simplicité, nous parlerons des phonèmes /e/ et /o/. Les deux voyelles qui posent le plus de difficultés, si l'on veut, sont /Ý/, que nous transcrirons ê, et /ý/ –

dans les exemples du type na-bnê-k [namnÝk] ‘ma main’, la désoralisation de /mb/ n'est pas due à la nasale suivante, mais à sa position en fin de syllabe – cf. nê-blêit [nÝm|lÝit] ‘assiette’. L'erreur de Crowley s'explique par le fait qu'il n'a pas noté la prénasalisation des occlusives sonores [cf. §(b.1) p.57].

1 Rappelons que le groupe 〈p+v〉 est une géminée du point de vue phonologique : cf. §(a.1) p.65. 2 Cf. la discussion en §(f) p.64.

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-transcrit ô. Du point de vue phonétique, ces deux voyelles doivent être décrites comme [-ATR]1 : ce sont les mêmes que l'on trouve dans l'anglais britannique fit [fÝt] et foot [fýt]. On peut citer une série de paires minimales :

tiytiy [tijtij] ‘s'égoutter’ tuytuy [tujtuj] ‘sauvage’ têytêy [tÝjtÝj] ‘manipuler’ tôytôy [týjtýj] ‘balayer’

teytey [tjtj] ‘cuisiner la nuit’ toytoy [tjtj] ‘sermonner’

taytay [tajtaj] ‘sculpter dans le bois’

Mais si la réalisation phonétique de ê et ô met en œuvre le trait ATR, reste à savoir si celui-ci est pertinent au niveau phonologique. Est-il justifié de poser une opposition binaire entre d'un côté deux voyelles [+ATR] i-u, et de l'autre deux voyelles [-ATR] ê-ô ? ou bien doit-on voir dans le tableau simplement quatre crans d'aperture distribués en deux séries (antérieures/postérieures) ? Cette dernière analyse a été proposée à la fois par Kasarhérou (1962) et Crowley (2002), lesquels proposent tous deux de présenter le système suivant pour le mwotlap : 〈i e  a  o u〉. Pourtant, malgré la simplicité d'un tel septuor, nous verrons (§A p.93) qu'il ne colle ni à la réalité phonétique de la langue, ni à son fonctionnement phonologique : aussi maintiendrons-nous la pertinence du trait [ATR] dans cette langue. 2. Règles de samdhi vocalique

Du point de vue phonétique, ces sept voyelles ne requièrent pas d'autre commentaire. Comme nous l'avons dit plus haut, toutes les voyelles sont compatibles avec toutes les consonnes, à droite comme à gauche. Les rencontres entre voyelles sont assez rares, quoique possibles ; elles forment toujours deux syllabes distinctes : ne-geay [ne|¥e|aj] ‘enclos’, aê [a|Ý] ‘il y a / en, y’. Deux voyelles successives de même timbre ne se prononcent pas comme une voyelle longue, mais comme deux voyelles distinctes : ex. ôô [ýý] ‘fructifier (+ rédup)’,

ni-in [niin] ‘(il) boit’. Il n'y a donc aucune règle de samdhi entre voyelles.

Nous signalerons simplement une règle phonologique frais émergée du parler des jeunes, et qui en est donc, pour ainsi dire, à ses premiers balbutiements. Il s'agit d'une règle2

d'assimilation de labialité au contact de la semi-consonne /w/, et d'elle seule : une voyelle antérieure, si elle est suivie ou précédée immédiatement de la semi-consonne /w/, est susceptible de se réaliser sous la forme de la voyelle postérieure de même cran d'ouverture.

Les voyelles concernées sont donc i (→ u), ê (→ ô) et e (→ o) :

– le ‘bâton de marche’ est normalement nê-qêt-têwtêw [-tÝwtÝw], mais on l'entend parfois réalisé nê-qêt-tôwtôw [-týwtýw] ;

– ‘draguer’ est wêmlag [wÝmla¥], mais se dit de plus en plus wômlag [wýmla¥] ; – de même, liwo ‘grand’ est parfois luwo ; et tiwag ‘ensemble’ peut se dire tuwag.

On note que cette règle s'applique en dernier, i.e. après les règles morphologiques du type insertion vocalique :

1 Le trait ATR signifie "Advanced Tongue Root", et caractérise des voyelles dites ‘tendues’ [+ATR] vs. voyelles ‘relâchées’ [-ATR]. Voir par exemple, pour les langues africaines, Creissels (1989), Kabore & Tchagbale (1998).

2 Cette "règle" n'en est sans doute pas une, puisqu'elle ne fournit que des variantes libres, les deux formes étant toujours possibles (y compris pour les mêmes locuteurs ?).

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-– ‘tirer’ : radical WSEG → weseg [ws¥] ⇒ variante woseg [ws¥] – ‘souffler’ : radical WYEH → weyeh [wjh] ⇒ variante woyeh [wjh] – ‘moudre’ : radical WYIY → wiyiy [wijij] ⇒ variante wuyiy [wujij]

Non seulement ces altérations sont encore sociolinguistiquement minoritaires –pour ne pas dire "vulgaires"– mais elles ne touchent pas tous les mots de la même façon. En particulier, les monosyllabes en sont apparemment exclus : wêl [wÝl] ‘acheter’ ne s'entend jamais *[wýl], lêw [lÝw] ‘verser’ ne s'entend jamais *[lýw], etc.1

Nous reviendrons plus loin, et en détails, sur les règles concernant les mouvements et copies de voyelles dans le mot. Mais il s'agit là moins de phonologie proprement dite, que de morpho-phonologie.

C. TRANSCRIPTION ET ALPHABET

Après cette présentation des vingt-trois phonèmes du mwotlap et des questions qu'ils soulèvent, nous résumerons ici les choix orthographiques qui serviront désormais à les représenter. D'une manière générale, nous tenterons d'éviter l'usage de digraphes (de type ng ou mw), en assignant une seule lettre par phonème. Ceci convient d'autant plus au mwotlap, que cette langue obéit à un strict squelette syllabique de forme CVC|CVC : pour une séquence de six phonèmes de type /nݹmwjo¹/ ‘église’, ce squelette régulier apparaît beaucoup mieux sous la forme |nê¼yo¾| qu'avec une transcription du type |nêmwyong|.

Les choix orthographiques que nous proposons doivent en fait peu à notre invention, et beaucoup plus à la transcription proposée par Codrington (1885) pour le mota et/ou le "Motlav" : c'est le cas pour tous les phonèmes qui ne posent pas de difficultés (m, l …), ainsi que pour /kpw/ → q, et /¥/ → g. La notation des deux nasales vélaires à l'aide d'un macron /¹mw/ → ¼ et /¹/ → ¾ correspond à l'usage déjà établi par les locuteurs eux-mêmes2.

Pour d'autres phonèmes, cependant, notre transcription diffère de celle du Révérend

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