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Partie 3 Analyse des résultats

1. Les attitudes envers la diversité linguistique et culturelle

Dans cette section, nous analyserons l’attitude des enfants par rapport aux activités d’éveil aux langues. Seront également examinés les effets du dispositif sur leurs capacités à considérer la diversité linguistique et culturelle environnante et sur leur motivation à apprendre une nouvelle langue.

1.1. Impressions des enfants sur l’éveil aux langues

Le premier item du retour a permis de recueillir l’avis des enfants sur le contenu du dispositif qui leur a été proposé. Quinze enfants sur dix-sept ont apprécié les activités d’éveil aux langues et celles portant sur la biographie langagière. Deux garçons ont répondu par la négative. Nous avons été étonnée de leur attitude fermée et de leurs réponses aux items, souvent erronées, alors qu’ils participaient volontiers au projet. Nous en avons fait part à L.T. qui nous a indiqué que leur retour s’était effectué pendant la récréation, ce qui peut expliquer leur comportement. Les enfants ont déclaré avoir porté de l’intérêt à toutes les activités ; certains ont signalé une préférence pour la mascotte Mary, présentes lors de la mise en œuvre de plusieurs activités, ainsi que pour les fleurs. A la fin de la séance d’introduction, Abigael explique pourquoi elle a aimé les fleurs :

L.T. : Abigael / qu’est-ce que t’as pensé de l’activité est-ce que c’était bien ou qu’est-ce…qu’est-ce qui t’a plu

Abigael : Heu heu…les fleurs L.T. : les fleurs t’as bien aimé

M.S. : elles sont belles vos fleurs hein L.T. : pourquoi / pourquoi t’as bien aimé ça

Les bons résultats de l’item 1 du retour viennent confirmer les démonstrations d’engouement relevées lors des activités chantées et des récits d’albums. Les enfants connaissaient déjà l’air de la comptine Jean Petit qui danse. La structure étant assez répétitive, ils ont très vite été en mesure de chanter les versions en espagnol et en anglais qu’ils étaient en train de découvrir, et ainsi d’exprimer leur enthousiasme pour l’activité. Karim et Seoud, arabophones, nous ont demandé à quelques occasions de leur chanter la version arabe de Frère Jacques, en soulignant que la langue était belle et qu’elle faisait partie de leur répertoire verbal. Nous avons raconté une histoire de Barbapapa61 en italien, puis Mary en a raconté une62 en anglais. A la fin de la première, Alessia a fait preuve du même enthousiasme que les deux garçons pour leur langue, en annonçant fièrement : « Ho

capito tutto63 ». La présence et la reconnaissance des langues familiales au jardin d’enfants semblent ainsi contribuer à l’intérêt des enfants pour le dispositif. L’histoire en anglais présente la routine d’un petit garçon et a permis à certains de prendre conscience que certains éléments de la leur étaient semblables, et donc de s’identifier. Lorsque nous avons demandé aux enfants en quelle langue ils avaient préféré écouter une histoire, nous avons obtenu les réponses suivantes : « En italien parce que c’est la langue d’Alessia » (Emma- Jane), « Celle en italien parce que la langue est jolie » (Natasha), « En italien parce que je

veux apprendre cette langue » (Emilie), « En italien parce que c’est plus joli que l’anglais

» (Seoud), « En anglais parce que c’est Mary qui l’a racontée » (Mauro). Nous observons qu’en général, les réponses sont guidées par la sonorité de la langue, à laquelle les enfants sont sensibles.

1.2. Traces d’ouverture à l’Autre et de motivation

Parmi les réponses citées ci-dessus, celle d’Emma-Jane affiche une prise de conscience de la diversité linguistique de la classe et celle d’Emilie, une motivation à apprendre une langue. L’item 17 du questionnaire et l’item 8 du retour servaient justement à mesurer la disposition des enfants à s’engager dans l’apprentissage d’une nouvelle langue. Six enfants ont répondu « je ne sais pas » à la question 17, c’est-à-dire avant notre intervention. Toutes les tranches d’âge du groupe y sont représentées. Seul un enfant âgé de 3 ans répond la même chose à l’item 8 du retour, ce qui démontre que les activités d’éveil aux langues ont motivé les indécis. Lorsque l’on s’intéresse aux raisons qui

61 Les références de l’album se trouvent dans la bibliographie. 62 Idem.

animent ces enfants à apprendre une nouvelle langue, on constate que quatre enfants mentionnaient leur environnement avant la mise en place du projet, et que dix autres n’ont pas su répondre. Dans l’item 9 du retour, quatre enfants – dont les deux garçons privés de récréation – demeurent hésitants, sept mentionnent leur environnement et quatre évoquent la sonorité de la langue : « C’est joli » (Emma-Jane). Ces résultats confirment une prise de conscience et une attitude positive vis-à-vis de la diversité linguistique environnante.

L’ouverture à la diversité présente dans la classe peut également être mesurée par l’item 3 du retour. Tous les enfants disent avoir découvert des langues pendant l’intervention, ce qui confirme leur attention pendant les activités et leur intérêt. L’analyse transversale des items 28 du questionnaire et 4 du retour nous renseigne davantage. En effet, avant notre intervention, à la question « Peux-tu nommer des langues que tu ne connais pas et qui sont parlées par tes camarades ? », six enfants n’ont pas su répondre et la langue la plus citée a été l’italien. A la fin du projet, un seul enfant n’a pas répondu et une plus grande variété de langues figurait dans toutes les réponses, notamment l’arabe et le grec, mis à l’honneur pendant le concert de Frère Jacques. Abigael avait été la seule à mentionner l’arabe dans le questionnaire et dans l’extrait qui suit, elle précise les raisons pour lesquelles elle ne tient pas à l’apprendre :

M.S. : Dans ta classe est-ce qu’il y a des enfants qui parlent des langues que toi tu connais pas Abigael : oui

M.S. : oui qui euh… quelle langue Abigael : mmm…*arabisch*

M.S. : arabe / d’accord / tu as envie de découvrir cette langue tu as envie de la connaitre un peu

(Abigael hoche la tête) non pourquoi

Abigael: parce que ils ont pas de sous M.S. : parce qu’ ils ont pas de sous

Abigael : oui / et après ils sont tout sales et même ils sont tout sales M.S. : ils sont tout sales

Abigael : oui ils sont mar… ils sont marron / oh j’aime pas être marron

Au cours de cet échange, la petite fille s’appuie sur des stéréotypes, qu’elle a probablement entendus en dehors du jardin d’enfants, pour justifier son refus d’apprendre l’arabe. Elle fait le lien entre la langue et ses locuteurs, et l’on retrouve ici le processus de hiérarchisation des langues, mentionné dans le premier chapitre de ce mémoire : Abigael

confère indubitablement à l’arabe le statut de langue minorée. Par conséquent, après cet entretien, nous avons décidé que, pour le concert de Frère Jacques, Abigael allait apprendre la version arabe de la comptine. Même si dans le retour, elle dit vouloir apprendre l’anglais, langue parlée par la maman au travail, l’activité musicale aura porté ses fruits puisqu’Abigael a qualifié l’arabe de « rigolo », ce qui révèle une modification dans ses représentations de la langue. Elle y a été sensibilisée et son jugement s’en trouve amoindri (Matthey, 2013).

Tous ces résultats nous permettent de valider la pertinence de l’éveil aux langues au jardin d’enfants pour favoriser la construction identitaire, l’engagement dans l’apprentissage d’une nouvelle langue ainsi qu’une ouverture à l’Autre. Procédons maintenant à l’analyse des savoir-faire du groupe rouge.

2. Des enfants engagés dans la découverte des langues : analyse des