fait-on face aux asymétries ? Comment s’organisent la traduction et la médiation dans les
interactions entres les acteurs de mondes divers ? Quels processus pour arriver à une généricité
des résultats ? Quelle place et rôles prennent les collectifs comme les Organisations Paysannes,
dans leur diversité, dans la recherche avec les acteurs ? Et dans quelle mesure et comment le
métier de chercheur est-il renouvelé dans la recherche avec les acteurs ? Quatre autres thèmes ont
été identifiés, mais non retenus pour la capitalisation des résultats, l’autonomisation, le rôle des
individus, les dispositifs et la gestion de l’imprévu/imprévisible et l’évaluation de la « recherche
autrement ».
La capitalisation du lot K n’a pu être menée à son terme car le premier coordinateur de ce volet
C.I.R.O.P. s’est investi dans d’autres projets. Par la suite, il a démissionné, et le volet capitalisation
des expériences a été confié à un autre chercheur engagé dès le départ dans la construction de
C.I.R.O.P. Par ailleurs, les principales conclusions sur la R.A.P. n’ont pas été tirées du lot K mais
de l’expérience de l’équipe des chercheurs sur les terrains du Cameroun et du Burkina Faso.
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c.
La deuxième partie du travail effectué au sein de l’A.T.P. C.I.R.O.P. est une revue
bibliographique
37des références relatives à la R.A. Cette tâche est accomplie en 2006 par une
étudiante en sociologie du C.I.R.A.D. Cette dernière s’est par la suite rendue 18 mois sur le projet
au Cameroun. Sa période de terrain donne lieu à un rapport
38qui offre une photographie
intéressante du déroulement du projet entre 2006 et 2008.
Ce qu’il faut retracer dans cette partie c’est le passage, pour cette étudiante, entre la théorie de la
R.A.P. et la réalité de ses observations sur le terrain. En effet, la revue bibliographique a été
effectuée avant qu’elle ne se rende sur le terrain. Par la suite, son rapport de mission a été rédigé à
l’issue de ses 18 mois passés au Cameroun. De plus, cette étudiante fait partie des étudiants de
longue durée, c'est-à-dire de ceux qui sont restés le plus longtemps au sein du projet. Ses
compétences en sociologie lui confèrent alors dans le projet une place particulière, qui exigeait
tout à la fois qu’elle évalue au sein de l’action le déroulement du projet, qu’elle agisse auprès des
acteurs et qu’elle mène un travail de réflexion assez rapide pour qu’il puisse être à la fois restitué à
temps aux acteurs et pour être utile à l’action.
La première partie de ce travail expose le contexte dans lequel naît la démarche de R.A.
Les fondements de la R.A. sont construits de l’imbrication de la science et de la société. Au
niveau des sciences sociales, l’analyse de la société ne se fait plus sur des découpages de la réalité
mais sur l’ensemble de la société. En même temps, le passage d’une méthode
hypothético-déductive à une méthode inductive permet à la science de s’attacher de plus en plus à tirer des
conclusions en partant des observations de terrain, plutôt qu’à développer des hypothèses hors
contextes qui seront alors vérifiées sur le terrain. La science se démocratise et travaille de moins
en moins de façon isolée, ce qui lui permet d’accepter qu’elle n’a plus le monopole de la
connaissance à travers l’intérêt croissant des chercheurs pour les savoirs-locaux. Cette
démocratisation de la science pousse alors les chercheurs à suivre des valeurs et des principes
éthiques qui les responsabilisent politiquement et socialement. Ce pas en avant de la recherche
vers une certaine ouverture est aussi le fruit de la volonté de la société civile de rentrer dans le
débat scientifique en demandant des comptes et en l’interpellant. Dans le domaine de
37 B.B., 2006, La recherche-action : une synthèse bibliographique, A.T.P. C.I.R.O.P., C.I.R.A.D.-T.E.R.A., 93 p.
38 B.B., 2008, La mise en place d’un projet de recherche-action. Engagement dans l’action collective, formulation et résolution de problèmes, Rapport V.I.E., C.I.R.A.D.-C.I.R.O.P., 132 p.
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l’agronomie, elle se cantonnerait de moins en moins à des objectifs productifs. La méthode de
vulgarisation classique en termes de transferts de technologie est alors remise en cause dans les
années 1990. Les pratiques classiques du développement sont également remises en cause et
considérées comme des pratiques ethnocentristes et impérialistes. La deuxième partie de ce travail
expose alors les pratiques de la R.A. de ses principes à ses dispositifs. L’une des préoccupations
principales compilées par l’auteur de ce travail bibliographique est l’autonomie des acteurs locaux
à travers un souci pédagogique, qui consiste à « apprendre aux acteurs à apprendre », leur
apprendre à être autonomes et leur apprendre à être indépendants. Vient alors la description du
rôle du chercheur en R.A. qui est alors considéré comme un nouveau métier à part entière, mais
qui reste encore à inventer. Il doit tout à la fois impulser un changement local, être le garant du
déroulement démocratique de la R.A. et collaborer avec d’autres disciplines. Le chercheur R.A.P.
doit également être à l’écoute des savoirs-locaux. Par la suite, seront exposés dans cette revue
bibliographique les conditions de mise en route et de déroulement d’une R.A. en relevant que les
jeux de pouvoirs et les fortes asymétries entre les acteurs ne sont pas des conditions favorables
pour sa mise en œuvre. Les dispositifs de la R.A. seront également décrits, comme, entre autres,
les objets intermédiaires exposés comme révélant des enjeux des groupes sociaux autour d’objets
tels que par exemple : le carnet de bord ou la convention écrite. Cette revue bibliographique se
clôture par une réflexion autour de l’évaluation de la R.A.P. Les concepteurs de la R.A. partent
alors du principe que le processus permet une auto-évaluation au cours de l’action, que celle-ci est
plus efficace et adaptée à la situation locale, plutôt qu’une évaluation ex post qui ne pourrait alors
pas entrainer de modification de l’action. Certains dispositifs de la R.A., sont alors présentés
comme les moteurs de cette auto-évaluation, mais également pour impulser une réflexivité du
chercheur au cours de l’action. La seule contrainte au développement et au bon fonctionnement
de la démarche de R.A. est alors présentée dans ce travail comme provenant de la
non-acceptation par les institutions et de sa méconnaissance par ceux qui n’utilisent pas cette
démarche.
Après 18 mois de terrain au sein du projet R.A.P. au Cameroun, elle rédige un rapport qui
comporte plusieurs réflexions importantes. Elle relève alors que la place de l’étudiant dans le
projet est primordiale, mais pose également quelques difficultés au niveau de son statut et des
relations hiérarchiques qu’il peut avoir avec les producteurs et les chercheurs senior
39. L’étudiant
doit également être autonome, que ce soit dans la conception de son objet de recherche, que dans
39 Terme employé localement pour distinguer les trois chercheurs principaux de l’équipe de recherche et les autres membres (étudiants, consultants etc.) de l’équipe.
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son insertion sur le terrain et toute la logistique que cela implique. Elle retient également que, si
les étudiants effectuent un travail qui remplace celui des chercheurs, ils n’ont pourtant pas le
même traitement : manque de moyens et difficultés pour s’exprimer au sein du collectif.
Pour toute l’équipe des chercheurs, le poids de la hiérarchie dans la situation locale est également
un facteur contraignant pour le déroulement de la R.A.P. Mais le problème ne réside pas
seulement au niveau des interactions entre l’équipe de recherche et les pisciculteurs, mais
également entre l’équipe des chercheurs eux même. Ainsi, elle énonce que les chercheurs pris
dans des enjeux divers, ont du mal à mettre en place une démarche commune. Les principes de la
R.A.P. sont ceux de l’interdisciplinarité, et pourtant, elle constate que les sciences sociales sont
absentes au niveau du projet, que ce soit lors de la phase de diagnostic qu’au cours de son
déroulement. L’auteur de ce rapport explique ce fait par des difficultés pour l’équipe des
chercheurs à enrôler dans le projet des chercheurs en sciences sociales. La transdisciplinarité lui
paraît alors absente entre les différentes disciplines mobilisées dans le projet, tant les différents
protocoles expérimentaux s’imbriquent tour à tour sans offrir une vision globale de l’action qui
est en train de se faire et de l’objectif visé.
Son analyse des relations entre le collectif des chercheurs et les producteurs met en avant « un
grave problème de partenariat » au regard des multiples stratégies du délégué du G.I.C. de Fokoué
visant à servir uniquement ses propres intérêts, sans prendre en compte ceux du groupe. D’après
ce rapport, le délégué ne fait pas que détourner les avantages du projet à ses propres avantages, il
freine également les avancées du projet à travers des stratégies individuelles de toutes formes.
Cette attitude du délégué provient peut-être du manque de confiance entre les acteurs du projet,
mais n’est pas étonnante à la lecture de l’anecdote qu’elle expose concernant l’échec de la mise en
place d’un objet intermédiaire : les comptes-rendus de réunions. Les chercheurs ont proposé aux
producteurs de récupérer les comptes-rendus des réunions rédigés par les producteurs dans
l’objectif de mieux comprendre le groupe et leurs perceptions. Les producteurs ont accepté au
départ, ils se sont investis de cet objet en passant de notes manuscrites à des notes
dactylographiées et illustrées qui nécessitent alors qu’ils se rendent à Dschang pour les taper au
cybercafé. Cette pratique engage alors des frais supplémentaires que les chercheurs considèrent
comme superflus. Le groupe refuse de repasser aux notes manuscrites et depuis, ils ne rendent
plus leurs comptes-rendus aux chercheurs. Pour la sociologue, l’investissement des producteurs
dans cet objet leur permettait d’y trouver leur compte, de trouver l’utilité à cet objet pour leur
groupe, les notes devenues alors comme des papiers officiels du G.I.C. Il n’est pas précisé, si les
notes des comptes-rendus des réunions des chercheurs sont également remises aux producteurs.
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Il est décrit que le fonctionnement de la société locale et leur passé historique avec les projets de
Dans le document
Engagement de la recherche agronomique dans l'action. Le cas d'une Recherche-Action en Partenariat au Cameroun
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