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Seul le délégué N. de Santchou avait retenu de la convention le schéma partenarial, celui qui mettait son groupe directement en relation avec le collectif des chercheurs et celui de

C.O.P.I.F.O.P.E.M. Il s’est attaché au mot « partenariat », dont la définition qu’il prêtait à ce mot

était que « chaque groupe s’engageait à mener des actions de façon proportionnelle »

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. Selon lui, son avis à la

fin du projet était que le partenariat annoncé dans la convention générale n’était pas égalitaire,

malgré son engagement important dans le projet, il se sentait d’un côté abandonné par son

groupe, et de l’autre, impuissant dans les négociations avec les chercheurs.

Finalement, la convention générale était très largement visible par la majorité des acteurs à travers

l’article sur la non-subvention. Malgré la signature mutuelle de la convention générale, celle-ci est

constamment remise en cause par la majorité des producteurs. Cette mésentente concernant la

subvention révèle que l’une des fonctions premières de cette convention n’est pas remplie. En

effet, d’après les chercheurs, la signature de cette convention avait – entre autres objectifs – pour

but de sceller une entente commune. Les constantes revendications de la part des producteurs

démontrent le contraire. Cette mésentente concernant la convention révèle également un malaise

plus profond, c'est-à-dire un décalage entre l’expérimentation de la recherche et la vie réelle des

producteurs. Cette idée sera développée plus loin.

b.

Deux réunions par mois étaient prévues entre les chercheurs et les membres des deux G.I.C. Ces

réunions permettent de garder un contact régulier entre tous les acteurs, chose que le chercheur

H. considère comme essentielle pour établir des liens de confiance entre les chercheurs et les

producteurs. En effet, tous les producteurs s’accordent à dire que ces réunions les motivent et les

encouragent à continuer l’activité. Elles sont également le lieu de tous les sujets de discussion,

qu’ils soient organisationnels ou techniques. Les producteurs exposent leurs problèmes, traduits

118 Entretiens informels menés auprès des producteurs de Santchou et Fokoué/Penka-Michel durant les deux périodes de mission.

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en questions de recherche par l’équipe des chercheurs. C’est ici que l’on aborde les thèmes des

expérimentations à suivre et que l’on présente les nouveaux étudiants arrivés dans le projet, ainsi

que leur travail à venir, et les engagements mutuels à prendre.

Dans le G.I.C. C.O.P.I.F.O.P.E.M., ces réunions se sont déroulées comme convenu durant la

première année du projet. Ensuite, le dispositif a été allégé d’un commun accord entre les

chercheurs et les producteurs à cause du manque de disponibilité de chacun. Les producteurs ont

du mal à consacrer de leur temps aux réunions, puisque pour eux, ce temps n’est pas rentable et

devrait être mis à profit dans leurs activités quotidiennes :

« Si on ne vient pas en réunion c’est parce que c’est une journée où l’on ne travaille pas et ou l’on ne gagne

pas d’argent et puis lorsque les autres apprennent qu’on a été avec le blanc toute la journée et qu’on n’a pas

rapporté de l’argent, c’est mal vu. »

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(Producteur F.)

De plus, les réunions sont jugées trop longues et trop monotones par la majorité des étudiants et

des producteurs. Le caractère trop théorique de ces réunions leur donne souvent l’impression

qu’elles sont inutiles.

La réunion fixée au quinze de chaque mois est donc devenue une réunion uniquement destinée

aux membres du bureau du G.I.C. des producteurs, la réunion du trente restant fixée comme

antérieurement. Les réunions avec le G.I.C. C.O.P.I.F.O.P.E.M. se déroulaient au siège du G.I.C.,

autrement dit chez le délégué T. Les nombreux éclats de voix et controverses dont les étudiants

et les producteurs étaient les premiers spectateurs laissent à penser, dans un premier temps, qu’ici

tout se dit, sans langue de bois, et que chacun peut prendre la parole et le pouvoir. C’est en tout

cas ce que préconise la R.A.P. en créant ces espaces de discussions. Pourtant, ces réunions étaient

davantage une vitrine de la bonne entente entre tous les acteurs. Le délégué T. s’est souvent

opposé au chercheur H. lors de réunions, disant qu’il allait rompre le contrat avec les chercheurs

et le G.I.C., pourtant, dès le lendemain le délégué revenait sur sa décision, par une lettre destinée

au chercheur et signée par les membres du G.I.C. :

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« Le jour où le délégué T. a chassé le chercheur H., j’étais là assis, j’ai dit : " mais quand on parle encore

des gens rebelles de ce siècle, le délégué T. en fait partie ! " Tu connais l’histoire du colonialisme, ce n’est pas

toujours facile de voir un noir qui dit " non " à un blanc, et que vous voyez le délégué T. qui se lève et qui

dit " partez ! " à une réunion importante, où il a ses sujets ! »

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(Étudiant R.)

Le délégué T. ne doit pas perdre la face devant ses sujets

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et assoit son autorité au sein de ces

réunions. Pourtant, le chercheur H. sait que le délégué T. est dépendant du projet. Ces difficultés

de prises de parole en réunion ne sont pas seulement dues aux vestiges du colonialisme comme le

dit l’étudiant R., mais aussi aux statuts que l’on confère aux différentes catégories sociales au

Cameroun. Les producteurs prennent difficilement la parole pour contredire le délégué T., ou s’ils

le font, le délégué T. leur fera regretter leur geste de façon informelle, en dehors de la réunion.

Avant de commencer la réunion, le délégué T. prépare ses membres individuellement pour se

mettre d’accord sur les sujets à débattre et sur les décisions futures à prendre lors de la réunion.

Parallèlement, les membres du G.I.C. se rendent souvent en réunion de façon passive :

« Les pisciculteurs, ce n’est même pas qu’ils n’ont pas leur mot à dire, mais globalement ils écoutent le blanc

parler. »

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(Étudiante X.)

Les étudiants, quant à eux prennent difficilement la parole devant les professeurs par respect

pour la hiérarchie. Une étudiante du projet s’est étonnée de constater que les autres étudiants

avaient des difficultés à s’affirmer face à la hiérarchie :

« Les Camerounais ils le prenaient mal parce qu’ils me disaient : " non tu ne peux pas faire ça, tu n’es pas

en France, au Cameroun on respecte les chefs ! " »

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(Étudiante X.)

Finalement, nombreux sont les chercheurs et étudiants à avoir des discussions informelles avec

les producteurs de façon individuelle, en cuisine, après la réunion. Pour l’avoir constaté

moi-même sur le terrain, très souvent, les accords établis lors des réunions sont contredits, parfois

même dans l’heure qui suit, de façon informelle. La vitrine pourrait donc être intéressante, un

dialogue se fait entre les acteurs, des décisions sont prises, des accords sont signés et, une fois

sortis de ce cadre, les acteurs se prononcent et expriment leur désaccord :

121 Entretien formel enregistré à Bafoussam (Cameroun) en septembre 2010. 122 Même source.

123 Entretien formel enregistré à Paris entre juin et novembre 2009. 124 Même source.

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« Pour faire le diagnostic j’ai fait des réunions avec eux, mais il y a des choses qu’on ne dit pas en plénière

mais qu’on dit dans les coulisses et qui permettent de comprendre les problèmes du groupe. »

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(Consultant S.)

Dans le G.I.C. P.E.P.I.S.A., les réunions étaient moins régulières à cause de l’absence de

nombreux producteurs lors de ces dispositifs de discussion. Au départ, les producteurs étaient

très nombreux, mais pour de mauvaises raisons d’après le chercheur H. et le délégué N. :

« Quand le chercheur H. faisait un repas, tout le monde venait parce qu’on voit la peau blanche et à un

moment donné on a dit " non ça crée beaucoup trop de dépenses " ce n’était pas ça l’objectif, il a arrêté et les

gens ont commencé à arrêter. »

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(Délégué N.)

Le chercheur H. a tout de même réussi à rassembler un petit groupe de producteurs, intéressés

par la thématique de recherche portant sur la gestion des alevins de Santchou. Mais les chercheurs

se sont peu à peu découragés de ce manque d’affluence, les réunions se sont donc déroulées

prioritairement dans l’esprit de faire passer une information précise, plutôt que dans celui de

garder un contact régulier avec les producteurs.

Malgré le caractère individualiste que l’on donne à la population de Santchou, beaucoup de

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