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CHAPITRE 2 : REVUE DES ÉCRITS THÉORIQUES

2.2 L A CAPACITÉ ORGANISATIONNELLE (VI-2) : DEUXIÈME SOURCE DU RENOUVEAU SYNDICAL

2.2.1 Leadership

Dans l’étude des coalitions hétérogènes, nous nous intéresserons particulièrement à la dimension du leadership qui traduit la capacité des leaders syndicaux à agir à titre 1) d’agents de liaison, 2) capables de cadrer, 3) d’intermédier 4) et d’articuler autrement l’action collective. Ces quatre concepts se définissent ainsi :

1) Les agents de liaison sont des dirigeants syndicaux qui ont la capacité de créer des liens et d’entrer en relation avec des organisations, syndicales ou non, dans le but d’amener ces organisations à coopérer entre elles (Nissen, 2004) ;

2) Le cadrage se rapporte à une aptitude stratégique qui représente la capacité d’un syndicat à constituer un agenda proactif en fonction de la position qu’il perçoit occuper dans son environnement (Lévesque et Murray, 2010) ;

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3) L’intermédiation renvoie à l’aptitude qui représente la capacité d’un syndicat à faire converger des intérêts divergents vers une identité commune afin de susciter la coopération entre différentes organisations (Lévesque et Murray, 2010) ;

4) L’articulation renvoie à l’aptitude qui représente la capacité d’un syndicat à articuler et coordonner ses actions dans le temps à des endroits variés, et ce, sur plusieurs niveaux (ex. : local, national, international) (Lévesque et Murray, 2010).

Ces aptitudes (Lévesque et Murray, 2003, 2010) permettraient aux dirigeants de concevoir des stratégies de renouveau syndical novatrices, comme les coalitions hétérogènes, de « vendre » leurs idées à leurs membres, d’impliquer leurs membres dans cette démarche et d’arriver à se réseauter, à plusieurs niveaux (local, national ou international), avec différents partenaires (Dufour et Hege, 2010; Ganz, 2000).

Les dirigeants syndicaux doivent arriver à élaborer des projets novateurs représentant les intérêts des membres. Il leur est alors nécessaire de faire preuve d’ingéniosité et de créativité dans le choix des stratégies de renouveau. Les dirigeants syndicaux ayant milité en dehors du milieu syndical seraient davantage en mesure de cadrer l’action syndicale autrement, d’apporter une vision plus large et de proposer de nouvelles alternatives en matière de renouveau syndical, comme le sont les coalitions (Dixon et Martin, 2012; Voss et Sherman, 2000). La présence de ce type de leaders encouragerait la création de coalitions avec d’autres groupes, le succès et la durabilité de ces coalitions (Frege et al., 2004) : effectivement ces derniers seraient en mesure d’agir à titre d’agents de liaison « brokers » ou de courtiers d’idées entre les groupes (Dixon et Martin, 2012). L’expérience acquise dans les organisations non syndicales permettrait, par exemple, aux agents de liaison de mieux comprendre la réalité des organisations non syndicales avec lesquelles ils entretiennent des liens, de miser sur un réseau de relations en dehors du milieu syndical et sur la crédibilité qu’ils ont à l’intérieur de ces organisations (Dean et Reynolds, 2009). Les agents de liaison permettraient ainsi de développer des liens et de former des coalitions impliquant des organisations avec qui normalement les organisations syndicales n’entretiennent aucune relation. C’est pourquoi le

rôle de ces agents est primordial dans la formation et la coordination de l’action collective sous forme de coalitions (Dufour-Poirier et Hennebert, 2015; Nissen, 2004).

Le répertoire de connaissances et d’expériences antérieures (Ganz, 2000) des dirigeants syndicaux permettrait également un accès à une grande variété de stratégies et d’informations pertinentes. Plus ces dirigeants possèdent des informations et des connaissances sur le milieu de travail dans lequel ils œuvrent, plus ces derniers devraient être en mesure d’agir efficacement sur les problèmes auxquels ils font face. L’information pertinente à laquelle les dirigeants syndicaux ont accès permettrait de reconnaître les opportunités d’actions s’offrant à eux (Dixon et Martin, 2012), d’identifier les cibles vers lesquelles les actions peuvent être engagées et le moment opportun (timing) pour engager ces actions, de manière à augmenter les chances de succès de celles-ci (Ganz, 2000).

L’efficacité des coalitions pourrait varier, par exemple, selon les caractéristiques de l’entreprise ciblée par l’action collective (Dixon et Martin, 2012). Dans ce cas-ci, les opportunités d’actions ou de renouveau des organisations syndicales, telles que la formation de coalitions, seraient influencées dans une entreprise qui présente, par exemple, de l’instabilité organisationnelle ou des alliés à la cause syndicale au sein de la direction.

Le contexte politique (ex. : contestation sociale, période électorale, etc.) constitue un autre élément favorisant potentiellement la création d’alliances extrasyndicales (Dixon et Martin, 2012). La situation économique ou l’agitation sociale créée par certaines décisions politiques faciliteraient la création d’alliances entre des organisations syndicales et des organisations non syndicales (Tattersall, 2010) (ex. : mouvement de contestation étudiant québécois du printemps 2012). D’où la pertinence pour les dirigeants syndicaux de percevoir le moment opportun pour déployer des stratégies de renouveau syndical comme les coalitions. Ils reconnaîtraient alors en quoi et comment les coalitions s’avèrent une stratégie de renouveau efficace pour atteindre leurs objectifs spécifiques. De plus, ils arriveraient à convaincre leurs membres de la pertinence des coalitions comme stratégie de renouveau afin de les mobiliser pleinement dans la coalition, plutôt que de se tourner vers des actions syndicales traditionnelles devenues inefficaces.

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Plus encore, il semble primordial que les organisations syndicales aient la capacité d’apprendre des actions menées par le passé et des transformations contextuelles auxquelles elles sont confrontées pour établir de nouvelles stratégies d’action. De cette façon, il leur serait possible d’apporter des améliorations et de réfléchir à de nouvelles opportunités d’agir autrement. Concrètement, si elles parviennent à identifier les erreurs commises par le passé et à utiliser les informations pertinentes dont elles disposent pour explorer les opportunités d’action possibles en matière de renouveau syndical, elles pourraient concevoir des stratégies efficaces sans toutefois répéter les mêmes erreurs. Ainsi, le renouvellement de l’action et des pratiques syndicales sera possible, car les organisations syndicales seront en mesure de se remettre en question et d’agir sur elles-mêmes dans le cadre notamment des coalitions. Toutefois, pour arriver à mettre leur agenda de l’avant, il demeure important que les dirigeants soient en mesure de convaincre leurs membres du bien-fondé de leur entreprise et d’obtenir leur appui (Dufour et Hege, 2010), d’où l’importance d’arriver à faire surgir une identité commune dans le groupe, et ce, particulièrement dans le contexte actuel d’hétérogénéité croissante de la démographie sur les lieux de travail (Hyman, 2002). Plus encore, l’aptitude de cadrage des dirigeants permet aux organisations syndicales de se définir (le Nous versus Eux)32 dans l’environnement dans lequel elles se trouvent. De cette façon, les dirigeants seraient capables d’établir des stratégies et un agenda, en fonction de leur compréhension de leur environnement immédiat et des opportunités de renouveau syndical s’y trouvant, mais aussi d’élargir leur identité syndicale et de se reconnaître en des alliés extérieurs à leur organisation.