• Aucun résultat trouvé

Chapitre 3: La méthodologie: le cheminement de la rercherche

3.2. La récolte des données

3.2.3. La collecte des données : des méthodes variées pour jouer avec les

3.2.3.1. Le travail d’archive : entre exploration et contextualisation

Dans le cadre de notre étude, le travail d’archive nous aura été utile, d’une part, pour comprendre les logiques qui ont présidé l’aménagement du parc Frédéric-Back. D’autre part, il nous aura permis d’interroger la capacité des différentes acteurrices à s’inscrire dans le temps long de la fabrique spatiale.

Dans leur analyse critique du discours sur la ville intelligente, Ola Söderström, Till Paasche et Fransisco Klauser (2014, p. 37) soulignent l’importance de procéder à un examen des discours sur la ville :

Smart cities, like creative cities, sustainable cities or livable cities are part of contemporary language games around urban management and development. These games involve experts, marketing specialists, consultants, corporations, city officials, etc. and frame how cities are understood, conceptualized and planned.

Ils espèrent qu’un tel travail, inspiré par une démarche foucaldienne de l’analyse de discours (Fadyl, Nicholls, & McPherson, 2013), permette de révéler les objets, les concepts et les stratégies qui structurent les discours entourant la production de l’espace et qu’elle puisse mettre en lumière les implications socio-politiques d’un tel discours. Comme la ville intelligente, le parc environnemental – ou la ville durable – représente, dans les circonstances, une manière – parmi tant d’autres – de concevoir l’espace du parc. Or, comme le soulignent John R. Short et al. (1993, p. 208), « les villes, comme n’importe quel environnement, sont des textes dans lesquels sont inscrits des valeurs, des croyances ainsi que l’exercice et la contestation du pouvoir » (trad. libre)43. Ces valeurs, ces croyances et les relations de pouvoir qu’elles supposent sont donc indissociables des différentes manières de se représenter la ville. Pour ces raisons, le discours environnemental – tout comme celui sur la ville intelligente – n’est pas aussi apolitique qu’on aimerait nous le faire croire. Un tel exercice devrait, pour cette raison, nous aider à rendre compte des manières par lesquelles un tel discours tend à conférer

43 « cities, like all environments, are texts in which are inscribed values, beliefs, and the exercise and struggle for

74

une impression de fixité à l’espace, à normaliser certaines pratiques et à délégitimer certains conflits potentiels.

D’autre part, comme nous l’avons déjà mentionné, il apparait, pour Delbaere (2010) et Margier (2017), que la « vraie » publicité des espaces publics résiderait de plus en plus dans leur fabrique.

[S]i l’espace public demeure espace du vivre ensemble et de la confrontation, c’est moins aujourd’hui par la réalité des pratiques qui s’y côtoient, que par la diversité des discours et des acteurs impliqués dans sa production. D’espace vécu collectivement, l’espace public est devenu espace conçu démocratiquement (Delbaere, 2010, p. 94). Si tel est le cas, force est de constater que les rapports de pouvoir qui se rapportaient, hier encore, à l’espace vécu se rapportent aujourd’hui – quoique sous des formes différentes – de plus en plus à l’échelle du conçu. Nous croyons, pour cette raison, qu’une exploration des différentes temporalités de la carrière devrait nous permettre de mettre en lumière des logiques d’appropriation différenciées entre la Ville et les Micheloises44. Supposant qu’ils constituent une source d’information pertinente quant à l’évolution de notre terrain d’étude (Garat, Gravari-Barbas et Veschambre, 2005; Margier, 2013), nous avons d’abord choisi de procéder à un examen des articles de journaux traitant du Complexe environnemental Saint-Michel (CESM) dans son ensemble et aux discours sur l’urbain qui lui étaient liés. L’utilisation du moteur de recherche Eureka nous aura, à cet égard, permis d’identifier tous les articles portant sur le devenir de l’ancienne carrière Miron. Pour ce faire, nous avons saisi dans le moteur de recherche une série de mots- clés (carrière Miron, Tohu, Complexe environnemental Saint-Michel, Taz, Frédéric-Back, biogaz) et sélectionné tous les articles qui traitaient du site depuis l’année 1989. Ce choix se justifie par le fait que c’est à cette date que la Ville de Montréal faisait l’annonce des grandes orientations qu’elle entendait donner au site.

Nous avons, d’abord, classé les articles en fonction de leur source. Ainsi, d’un côté, nous avons rassemblé les articles provenant de quotidiens dont la portée ce veut métropolitaine (Le Devoir, La Presse, Le Journal de Montréal, 24H Montréal et le Journal

75

Métro) et de l’autre, les articles repérés dans les journaux de quartier (Le Journal de Saint-Michel et Le Courrier d’Ahuntsic). Dans le cas des premiers, nous nous attendions à ce que les articles révèlent la vision métropolitaine de l’aménagement du site alors que dans le cas des seconds nous nous attendions à ce qu’ils rendent compte d’une vision plus locale du projet. Nous avons ensuite trié les articles récupérés en deux grandes catégories à savoir les brèves et les articles plus étoffés. Les premières nous auront – surtout - permis de tracer l’évolution de notre cas à travers les années et d’identifier certains moments charnières dans l’aménagement du Complexe environnemental Saint- Michel (CESM). Les articles de type descriptif ont quant à eux été classés en fonction de leur année de production et des sujets qu’ils abordaient. À cet égard furent retenus les articles traitant de la Tohu, du Frédérick-Back, des centrales Gazmont et Biomont, du CESM et du projet avorté de centre de compostage. Leur examen nous aura, entre autres, permis de révéler les discours qui ont orienté l’aménagement de notre site d’étude.

Nous avons, par ailleurs, agrémenté cette analyse des discours médiatiques d’un examen des discours officiels. D’un côté, nous avons sélectionné un nombre important de discours municipaux que nous avons classés en fonction de leur temporalité et de leur logique scalaire. Nous avons, à cet égard, sélectionné autant des documents ne portant qu’exclusivement sur notre terrain d’étude (Plan directeur d’aménagement [1997], Le Complexe environnemental de Saint-Michel – Un projet d’aménagement exemplaire [2010], etc.) que ceux agissant à l’échelle de la ville, voire de la métropole (Réussir Montréal [1992], Schéma d’aménagement et de développement de l’agglomération de Montréal [2015], etc.). D’un autre, nous avons identifié une série de textes et de présentations produite par des architectes paysagers et des urbanistes (Le CESM : un site en perpétuel mouvement [2009], Complexe environnemental de Saint-Michel – La métamorphose d’un grand espace urbain [2017], etc.). Comme dans le cas des articles de presse, l’analyse des documents officiels nous aura permis de rendre compte de l’évolution du projet ainsi que des concepts qui structurent le(s) discours sur le parc. Enfin, un examen des différents mémoires déposés lors des consultations publiques tenues dans les années 1990 aura permis non seulement d’identifier les périodes clés de

76

cet aménagement, mais surtout de révéler certaines controverses ayant animé le projet depuis son annonce en 1989. Nous avons ainsi procédé à l’examen des mémoires déposés dans le cadre des consultations organisées par le Bureau de Consultation de Montréal (BCM) en 1989 sur l’aménagement du site et par le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) en 1994 concernant le projet d’aménager une centrale électrique sur le pourtour du site. Nous voulions, grâce à cet examen, montrer la capacité d’un quartier à prendre (ou non) en main son devenir. Nous espérions, d’autre part, pouvoir remettre en question l’apparent consensus qui semble aujourd’hui entourer le devenir de l’ancienne carrière Miron.

La combinaison des documents médiatiques, officiels et citoyens nous aura ainsi permis d’identifier non seulement les moments clés et les débats qui ont présidé l’aménagement du CESM, mais aussi de révéler les grands thèmes qui ont structurés et qui structurent toujours les discours des différentes acteurrices associées à ce projet. Néanmoins, ce choix n’est pas sans faille. De part et d’autre, du côté de l’administration comme du côté des acteurrices locauxles, sont occultées les opinions divergentes. Les voix silencieuses. Malgré ses nombreux avantages, le travail d’archive ne permet pas une analyse raffinée des rapports de pouvoir. On reste à l’échelle du macro. Des rapports frontaux. En ce sens, les documents officiels sont le reflet d’une réalité et non de la réalité. On le sait, seule une faible partie de la population – une partie souvent dotée d’un fort capital sociospatial – prend part aux processus participatifs (Fleury, 2010). Il convient, pour cette raison, de rappeler les limites du travail d’archives.