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Chapitre 1: L'espace public pour (re)penser le parc (nature) et vice-versa

1.1. L’espace public comme construction sociohistorique

1.1.3. Vers la fin des espaces publics?

Généralement, on estime que trois thèmes – qu’on pourrait rassembler sous le vocable de « la fin de l’espace public » – à savoir l’exclusion, la privatisation et la revendication ont dominé la plupart des travaux sur l’espace public. Le premier thème, l’exclusion, concerne généralement les enjeux d’accès à et de visibilité dans l’espace public. Parce que considéré comme une ressource urbaine, la question est alors de savoir non seulement qui y a accès, mais surtout quels groupes peuvent bénéficier de la visibilité qu’offre la présence dans l’espace public (voir par exemple Merrifield, 1996 ou Mitchell, 1995, 2003). La majorité de ces travaux (Low et al., 2005; Margier, 2017; Merrifield, 1996; Mitchell, 1995, 2003; Parazelli, 1996) remarque à cet égard que la mise en place de divers mécanismes – caméras de surveillance, clôtures, réglementations, associations de riveraines pour ne nommer que ceux-là – censés pacifier, ordonner ou encore sécuriser ces espaces tend en fait à en restreindre l’accès à certaines tranches de la population. Ces travaux s’appuient à cet effet sur l’hypothèse qu’un espace « qui est accessible à tous et à toutes et où tous et toutes peuvent être vues et participer dans

6 Le terme « festivalisation » vient de l’expression Festivalisierung der Stadtpolitik (festivalisation du développement

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des rapports intersubjectifs significatifs, devrait être considéré comme public » (trad. libre)7 (Madden, 2010, p. 190).

La privatisation – le deuxième thème – accompagne l’exclusion dans le sens où la mise en place de logiques marchandes – et sécuritaires – concoure à la fermeture de l’espace public (Margier, 2017; Sorkin, 1992). Au sens large, la privatisation concerne autant les processus qui tendent à transférer la gestion des lieux publics au domaine privé (voir Madden, 2010) que ceux qui visent à en limiter l’accès (voir Chivallon, Marme, et Prost, 1998; Sorkin, 1992). Les centres commerciaux et de loisirs – en tant qu’« espaces privés ouverts au public » (Sorkin, 1992) – représenteraient alors une double menace au caractère public de ces espaces partagés. On suppose à cet égard que l’« aménagement qui en résulte révèle une volonté de contrôle et de filtrage des usagers » (Margier, 2017, p.19). Par exemple, dans son étude sur Central Park et l’organisation privée – la Central Park Conservacy – qui s’en occupe depuis les années 1980, Nevarez (2007, p. 162) conclue que

[t]he privatisation of public space is one, if not the most, relevant effect of the changing patterns of the global economy. […] privatisation results in an aesthetics of order generated by private institutions who take over the responsibilities once fulfilled by the government. This practice regulates and controls public spaces according to the needs of capital in urban areas.

Dans un sens plus restreint, la privatisation concerne aussi tous les mécanismes de l’« entre-soi » fondés sur la fermeture de l’espace public, et dont la gated community constitue la forme la plus aboutie (Margier, 2017). Cette recherche de l’« entre-soi » serait, de ce fait, à mettre en lien avec l’idéologie sécuritaire qui touche les villes (Mitchell, 2003b) et l’émergence des peurs urbaines (Kramer, 2010; Low, 2001).

Enfin, l’accès à et l’ouverture de l’espace auront servi, pour plusieurs géographes, d’étalon de mesure au concept de « droit à la ville » pensé par Henri Lefebvre ([1968] 2009) et repris plus tard par Mitchell (2003) et Harvey (2015). Un concept qui désigne à

7 « that is accessible, to all, where all can be seen and engage in meaningful intersubjective communication, should

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la fois le droit collectif qu’ont les citoyennes de se changer et de changer la ville en fonction de leurs désirs ainsi que l’accès autant individuel que collectif aux ressources et aux espaces de la ville (Harvey, 2015). À cet égard, un nombre important de travaux (Low et Smith, 2005; Mitchell, 1995, 2003) se sont intéressés aux espaces publics en tant qu’espace-temps à travers lesquels certaines tranches de la population – comme les personnes en situation d’itinérance dans le cas de Mitchell (1995, 2003) – sont parvenues (ou non) à lutter pour faire reconnaitre leur droit à la ville.

Sans remettre en cause les conclusions de ces travaux, certaines auteurrices (Degen, 2017; Duff, 2017; Fleury, 2016; Koch et Latham, 2012, 2014; Margier, 2017; Rose, Degen et Basdas, 2010) estiment que ces-derniers, fondés sur une vision normative et urbano- centrée de l’espace public, empêchent non seulement de développer une conception pragmatique de cet espace, mais aussi d’en appréhender les défis contemporains. En effet, ces travaux, quoique pertinents, se fonderaient sur une conception erronée – parce qu’elle n’a jamais (réellement) existée – de l’espace public (Koch et Latham, 2012). Un autre problème vient du fait que la plupart se limite au contexte étatsunien. Comme le remarque Fleury (2010), on ne peut, dans le cas de l’Europe – et nous faisons le pari que c’est aussi vrai pour celui du Québec – « que relativiser la pertinence d’une grille de lecture importée des États-Unis pour comprendre les dynamiques d’une métropole européenne et de ses espaces publics » (p. 18) (voir aussi (Allen, 2006; Koch et Latham, 2014). D’autre part, rares sont les travaux qui se sont intéressés à autre chose qu’aux espaces publics de la ville-centre et à ses formes les plus convenues que sont la rue et la place publique (Delbaere, 2010; Desjardins et Fleury, 2014; Fleury, 2016). De nouvelles formes d’espace public voient pourtant le jour en périphérie de la ville-centre, ces-dernières caractérisées par de nouvelles formes de sociabilité (Delbaere, 2010; Fleury, 2016). Sociabilité que Delbaere (2010) qualifie de « diffuse ».

Enfin, la plupart de ces travaux ne se sont pas assez intéressés, si ce n’est que formellement – et c’est ce que nous nous proposons de faire dans la présente recherche – aux rapports entre l’espace conçu et l’espace vécu. En effet, d’un côté, on retrouve un corpus important de travaux sur les différents mécanismes d’aménagement de l’espace public (voir par exemple Clerval et Fleury, 2009; Delbaere, 2010; Fleury, 2010; Fleury et

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Froment-Meurice, 2014; Sorkin, 1992) et de l’autre une production portant sur les usages et les pratiques de cet espace (par exemple Low, Taplin, et Scheld, 2005; Margier, 2017; Parazelli, 1996).