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PARTIE 3 : de la problématique à une étude de mise en application de la démarche, une approche clinique

1. L’approche clinique : pour une impulsion du prendre soin du travail ?

1.1. Le travail en question

1.1.1. Le travail anticipé ou le travail prescrit

Le travail prescrit est un terme employé par le courant de la didactique professionnelle.

Nous choisirons d’employer le terme « anticipation » en référence à Yves Schwartz qui définit le travail anticipé comme tout ce qui a été construit en amont, de façon totalement anonyme. Il nomme cette anticipation par le Registre Un (R1) qui vient en confrontation avec le Registre Deux (R2) qui correspond au sujet lui-même comme être singulier avec ses valeurs et son patrimoine. R1 correspond donc à ce qui est anticipé et donc normé afin d’établir des règles qui répondent aux objectifs de production définis par l’employeur. Ces normes sont établies dans le cadre de l’élaboration de référentiels qui sont principalement de trois types : d’emplois, de compétences ou de ressources.

Ils peuvent être génériques, c’est-à-dire décontextualisés ou spécifiques, ou contextualisés en fonction de la branche professionnelle à laquelle ils sont rattachés. Prenons l’exemple de la fiche métier de l’aide-soignant. La fiche ROME publiée par pôle emploi82 est générique dans le sens où elle fait état de tous les environnements de travail possibles et y associe également une liste conséquente de compétences de bases. Le répertoire des métiers de la fonction publique hospitalière complète la fiche emploi générique en la contextualisant par des spécificités liées par exemple à l’hygiène hospitalière, aux connaissances en stérilisation. Elle renseigne également sur les correspondances statutaires et les passerelles possibles. Nous pouvons donc en déduire que le choix d’un métier est conséquent à une information générique qui sera spécifiée ensuite lors d’une prise de poste par la présentation de la fiche emploi compétences propre à l’organisation. Cela nous amène à nous poser la question du choix du métier ou du hasard d’un exercice professionnel. En quoi les référentiels génériques et/ou contextualisés peuvent plus ou moins impacter l’écart entre ce qui a été anticipé et ce que le sujet devra réaliser ?

a) Le métier en question

Selon le dictionnaire Larousse, le métier est une « profession caractérisée par une spécificité exigeant un apprentissage de l’expérience, etc., et entrant dans un cadre légal ». Comme nous avons pu le constater, un métier peut être commun à un ou plusieurs emplois-types mais il n’est pas lié à une organisation particulière ou à une entreprise donnée. Le métier bénéficie d’une reconnaissance sociale et professionnelle au-delà de l’entreprise.

Dans le prolongement de cette définition commune, nous souhaitons nous approprier la réflexion de Yves Clot autour de quatre dimensions du métier qu’il identifie comme personnelle, interpersonnelle, impersonnelle et transpersonnelle.

82 Pôle Emploi, Site pôle emploi, « fiche ROME J1501 » [En ligne] https://candidat.pole-emploi.fr/marche-du-travail/fichemetierrome.blocficherome.telechargerpdf?codeRome=J1501

Le métier est personnel dans le sens où il résulte d’un choix intime émanant d’une appétence particulière. Ainsi, Mr D, agent de soins hospitaliers nous confie : « j'ai eu complètement envie de changer de branche et aller voir la personne âgée […] Alors, par contre, j'avais bien réfléchi avant ». Dans le cadre de sa transition professionnelle, Mr D avait bien réfléchi son nouveau projet.

Auparavant, il travaillait auprès des scolaires et souhait conserver une relation humaine dans son futur métier. Quant à Mme C, ayant fait part de son attrait pour la personne âgée, elle a réalisé un stage en Centre Hospitalier, sur les conseils de l’Agence Nationale Pour l’Emploi83 : « je travaillais plutôt dans l'agriculture avec mon frère, dans une ferme. […] Mais moi c'est la personne âgée qui m'a toujours attirée. J'ai toujours aimé ». Cet essai concluant a donné l’opportunité à Mme C d’obtenir un poste fixe en EHPAD très rapidement. L’appétence pour un métier est donc très personnelle.

Le métier est également interpersonnel car il ne peut exister sans qu’il y ait un destinataire à la production de bien ou de service.

La dimension impersonnelle du métier réside dans l’anticipation des règles qui le constituent. Faire son métier pour reprendre l’expression de Y. Clot, c’est le transformer voire le renommer et en faire une action subjective. C’est notamment le débat entre le Registre Un et le Registre Deux qui entraine une nécessaire transformation pour passer de l’impersonnel au personnel et inversement. Cette passation nous amène à la quatrième dimension du métier.

L’instance transpersonnelle du métier dont Yves Clot fait un concept. Ainsi, les ressources mobilisées par un sujet pour transformer l’activité sont destinées à être partagées, étudiées et discutées afin de ne pas rester sa propriété. Cette « mobilisation subjective »84 est destinée à un

« sur-destinataire »85 qu’Yves Clot nomme le genre professionnel. Le genre professionnel est ainsi désigné comme le collectif de travail propre à un service, une unité. Ce collectif met en discussion les actions individuelles pour mettre en œuvre des stratégies collectives propres. Nous reviendrons sur ce collectif de travail dans ce chapitre.

L’action dans le métier doit donc être transformable sans quoi le métier pourrait s’incarcérer lui-même, voire mourir. Ainsi, « faire son métier »86 a un sens fort et résonne avec le pouvoir d’agir collectif sur la capacité à le transformer. Cette forte résonnance nous conduit à nous interroger sur l’exercice d’un métier par vocation. Mais pouvons-nous vraiment faire usage du mot vocation ?

83 Ancienne appellation de l’Agence Pôle Emploi

84 Clot Yves (2006). « Clinique du travail et clinique de l'activité ». Nouvelle revue de psychosociologie, 2006, no 1, p. 167

85 Ibid

86 Ibid

b) Une question autour de la vocation

Dans le langage chrétien, « Vocare, appeler, signifie que toute vocation s'adresse à l'individu, appelé par son nom, en tant que lui-même. D'après le Nouveau Testament, c'est Dieu qui appelle par son initiative gratuite. Il appelle chacun par son nom. Le nom est souvent significatif de la destinée de celui qui le porte ».87 La vocation est associée à la révélation ainsi qu’à l’engagement à servir l’institut religieux. Pouvons-nous alors user du terme vocation professionnelle ? Est-ce en phase avec les notions d’employabilité, de liberté de choisir son avenir professionnel ? de choix de transition professionnelle ? Tout cela est débat.

Sans y donner une connotation religieuse, la vocation est communément employée en orientation professionnelle. A partir des centres d’intérêts, de la personnalité du sujet, de ses compétences, un parcours se construit pour tendre à accompagner la personne à découvrir sa vocation professionnelle. Ainsi, « la vocation est considérée comme un processus qui se développe tout au long de la vie, étant donné qu’elle se construit de façon permanente »88.

Dans le domaine de la santé, le terme de vocation est souvent associé au métier. Cette notion est employée pour donner un caractère fort aux propos des personnes qui en usent et pour insister sur différents aspects : le choix du métier, les difficultés ou la source d’épanouissement.

Mme A, aide-soignante et accompagnatrice dans le cadre du dispositif nous précise : « ici, c'est un métier, c'est une vocation ». Elle insistera de nouveau, au cours de notre échange, par ces propos :

« quand on vient ici, c'est par vocation. Ce n'est pas parce qu'à la fin du mois il y a un salaire. » Mme A. fait usage du mot vocation après avoir argumenté la nécessité de la formation pour les nouveaux arrivants afin de leur apprendre les fondamentaux du métier. Mais elle insiste d’autant plus lorsqu’elle évoque la relation humaine : « on n'est pas là en train de travailler avec des boîtes de conserves. C'est de l'humain donc c'est important ». Nous comprenons l’intensité de la dimension humaine qu’elle souhaite nous partager à travers la notion de vocation. Les métiers pour lesquels il est d’usage d’employer le terme vocation sont ceux où une aide, voire un secours à autrui est porté, comme dans le métier du soin ici représenté. Nous ferons donc usage de ce terme en faisant référence à la notion d’appétence, de fibre ou de passion.

Métier et vocation sont pour nous antinomiques dans le sens où le métier est prescrit, c’est-à-dire anticipé et anonymisé. La vocation appartient au sujet, à son cheminement à partir de ses centres d’intérêt et de sa personnalité. Il y a donc, selon nous, une confrontation évidente. Les métiers pour lesquels nous pouvons envisager de parler de vocation sont notamment les professions soignantes. Nous sommes proches de l’identité professionnelle, des valeurs, de l’éthique et de tout

87 Universalis, Site Universalis [En ligne]. http://www.universalis.fr/encyclopedie/vocation/. (consulté le 24 septembre 2019)

88 Ibid

ce que le sujet souhaite y mettre dans son exercice professionnel. Il y a donc tout ce qui est anticipé dans le métier et ensuite, ce qui se passe dans le réel du travail.

Les métiers vocation sont principalement l’enseignement, la santé, la sécurité (police, gendarmerie), etc…N’est-ce pas dans ces professions que la souffrance au travail est particulièrement présente. Ainsi, n’est-ce pas cette vocation du sujet à exercer un métier déterminé en dehors de lui qui rend la confrontation encore plus difficile et potentiellement pathogène ?