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Le traitement des informations

Chapitre 3 : Théories cognitives et le traitement des temps verbaux verbaux

3.1 Cadre d'analyse

3.1.2 Le traitement des informations

Des études récentes sur les temps verbaux (Sthioul 1998a, Luscher 1999, Saussure 2000a) proposent des algorithmes ou des procédures dans une tentative de mettre en évidence le processus interprétatif des temps verbaux du français. A l'arrière-plan de cette approche est l'idée que le langage humain sert à représenter des éventualités et non à seulement communiquer (Reboul & Moeschler 1998a). En outre, le cerveau humain fonctionne de manière hiérarchisée dans le traitement des informations reçues des systèmes sensoriels (Fodor 1986).

Jackendoff (1987, 1996) et Greenfield (2001) se posent la question de savoir si l’Intelligence Artificielle peut rendre compte du langage. Leur conclusion est que cette entreprise est vouée à l'échec attendue la complexité des processus sous-tendant la communication humaine. La réflexion de Jackendoff et Greenfield est partagée, en partie, par Hawking (2001). Mais Hawking est d’avis que dans un avenir lointain, il serait possible d’avoir des ordinateurs dotés des circuits électroniques d’une complexité comparable aux réseaux de neurones dans le cerveau humain. De telles machines seraient capables de se comporter d’une façon intelligente comme les

humains. De plus, elles seront capables de concevoir d’autres machines dotées d’une complexité et d’une intelligence encore accrue.

Si nous ne partageons pas la vue plutôt pessimiste de Jackendoff, nous pensons que la représentation algorithmique du processus interprétatif des énoncés simplifie de manière trop forte un processus beaucoup plus complexe. A titre illustratif, les représentations algorithmiques proposent une sémantique de base pour un temps verbal. C’est la première sortie du traitement de l’énoncé ou une sortie par défaut (Luscher 1998a, Sthioul 1998a, Saussure 1998a, 2000a). A la suite des enrichissements contextuels un morphème peut avoir d’autres interprétations. Or, nous arguons en faveur d'une autre conception du processus d’interprétation, qui ne serait pas séquentiel mais parallèle (Kang'ethe 2000b). Dans cette dernière perspective, l’enrichissement pragmatique n’est pas subséquent à l’interprétation par défaut. Bien au contraire, il est en amont de toute interprétation. Il s’ensuit que les différentes lectures d’un temps verbal sont toutes accessibles à l’interlocuteur en même temps. On accède à l’une ou à l’autre selon le contexte construit par l’interlocuteur. Pour nous, une telle conception s'intègre bien dans les études récentes en sciences cognitives sur le traitement des informations par le cerveau humain (Reboul 2000, Dennett 1991 et 1996, Blackmore 1998, Calvin 1996, Dawkins 1976/1989, Greenfield 2001). En effet, ces études mettent en cause la notion de séquentialité dans le traitement des informations par l’esprit.

3.1.3 Le contexte

Il faut noter que pour interpréter un énoncé, l’interlocuteur va activer le contexte adéquat à la situation de communication. Il devra construire le contexte, car il n’est pas donné d’avance (Moeschler 1998a). Interpréter un énoncé reviendrait à récupérer l’intention informative du locuteur (Sperber & Wilson 1989). En d’autres termes, l’interprétation d’un énoncé suppose que l’interlocuteur puisse répondre aux deux questions suivantes : Qu’est-ce que le locuteur voulait dire ? Quelle est la proposition contenue dans l’énoncé ? Mais précisons tout d’abord la notion de contexte.

Pourquoi faut-il un contexte pour interpréter un énoncé ? La Théorie de la Pertinence (Sperber & Wilson 1989) soutient l’idée que l’interprétation des énoncés est sous-déterminée linguistiquement. Cela veut dire que l’information linguistique (procédurale ou conceptuelle) ne suffit pas à elle seule pour aider l’interlocuteur à

récupérer la proposition exprimée par la phrase ni les attitudes propositionnelles et la force illocutionnaire (explicitations) ni les implicitations (les conclusions et les prémisses implicitées). En effet, ces informations ne sont pas encodées linguistiquement (Moeschler 1998a et 1998b). Le calcul de l’interprétation complète sera rendu possible par l’intervention du contexte.

Le contexte va englober des informations relatives à la perception, à l’environnement physique, à l’environnement linguistique et aux connaissances du monde que les protagonistes de la communication possèdent. Ces informations connues sous le nom d’hypothèses contextuelles (Sperber & Wilson 1989) vont permettre de récupérer l’intention informative du locuteur. Cela implique que le sens d’un énoncé va changer en fonction du contexte construit par l’interlocuteur. A titre d’exemple, si Paul émet l’énoncé : Ma fille a la grippe (Moeschler & alii 1998), l’interprétation de ma fille va changer si c’est Jean ou Michel qui émet l’énoncé. Les implicitations vont également changer en fonction du locuteur.

Pour ce qui est des temps verbaux du swahili, Contini-Morava (1989) observe, à juste titre, que tous les marqueurs temporels du swahili, à l'exception de -li-, sont relatifs. Elle explique que tous ces morphèmes sont dépendants du contexte. Mais, son ouvrage manque de précision sur ce qu'elle entend par contexte. Qui plus est, le morphème -li- qu'elle prend pour absolu est lui aussi dépendant du contexte: il peut renvoyer à des usages du Passé Composé, du Passé Simple ou de l'Imparfait (voir § 2.7). Dans un tel scénario, comment expliquer les processus sous-tendant l'interprétation du morphème -na- dans un énoncé ?

3.2 L’interprétation de -na-

Notre discussion de -na- révèle que ce morphème donne lieu à quatre sorties interprétatives, à savoir:

- l'éventualité est en cours de réalisation (E,R,S);

- l'éventualité aura lieu à un temps ultérieur (S-E,R);

- l'éventualité a déjà eu lieu (E,R-S);

- l'éventualité est temporellement indéterminée car habituelle.

Dans notre modèle, l’interprétation d’un énoncé se fait grâce au contexte construit par l’interlocuteur. Mais à la différence des théories par défaut, il n’y a pas

de première interprétation qui sera considérée comme une interprétation de base.

Toutes les interprétations seront possibles comme première sortie. Voici une représentation explicite :

Figure 5 : Modèle général du traitement cognitif de la référence temporelle.

Comme le processus interprétatif est non monotone, le bon choix dans l’assignation de la référence temporelle n'est pas garanti. En cas d’activation de fausses hypothèses, la sortie du processus interprétatif sera erronée. A titre d'exemple, un interlocuteur qui entend l'énoncé (63) en entrant dans une salle aura du mal à construire l’hypothèse contextuelle pertinente.

(63) Ni - na - soma.

Je- MTA- lire

Je lis

Il en ressort que cet énoncé serait pour lui ambigu car les quatre interprétations différentes seraient équiprobables. Dans ce cas, la possibilité de se tromper est bien réelle. C'est pour cette raison que nous soutenons que la sortie du processus interprétatif est fonction des hypothèses contextuelles.

Par ailleurs, nous soutenons qu’à chaque échec (sortie erronée), l'interlocuteur construit de nouvelles hypothèses contextuelles dans une tentative de récupérer les vraies intentions du locuteur, en l'occurrence la bonne référence temporelle. Par référence temporelle, on entend « le repérage de l’éventualité dans la ligne du temps » (Moeschler 1998c). Cette remise à jour se poursuit jusqu'au moment où l'interlocuteur arrive à la bonne interprétation, et le processus interprétatif s'arrête là (voir Figure 5).