• Aucun résultat trouvé

Conséquences sur le coût du traitement cognitif

Chapitre 3 : Théories cognitives et le traitement des temps verbaux verbaux

3.1 Cadre d'analyse

3.2.2 Conséquences sur le coût du traitement cognitif

L’idée de facilitation dans la récupération ou l’accessibilité comporte des conséquences sur le coût de traitement des énoncés. Une interprétation plus accessible

serait moins coûteuse car elle serait calculée en moins de temps relativement aux autres. Dans l’exemple du livre de Jean, l’interprétation le livre que Jean a écrit serait moins coûteuse que le livre que Jean possède. Dans un autre contexte, les choses seraient différentes et l’interprétation le livre que Jean a écrit serait plus coûteuse que les autres. A notre avis, l’idée de coût cognitif n’a pas été abordée de manière exhaustive dans la théorie de la pertinence. Levinson (2000) et d’autres détracteurs de cette théorie posent comme défi aux pertinentistes de définir ce qu’ils entendent par coût et comment il se mesure cognitivement. Voici notre conjecture en la matière.

Tout traitement d'information par le cerveau implique la consommation des ressources cellulaires (Pinker 1994, Dennett 1996). Les techniques d’imagerie cérébrale par résonance magnétique nucléaire ou fonctionnelle (IRMN ou IRMF) et celles d’imagerie par tomographie à émissions de positrons (TEP) permettent de suivre l'activité cérébrale d’un sujet effectuant de différentes tâches (Puzenat 1996, Pinker 1997, Mithen 1999, Greenfield 2001). Dans cette dernière technique l’injection dans le sang d’un traceur faiblement radioactif permet de suivre le débit sanguin cérébral. L'hypothèse propose que toute activité neuronale implique une consommation de glucose; donc les zones s'allumant sur l'écran représentent les zones hémisphériques impliquées dans la réalisation de la tâche cognitive en question. Très employées pour déterminer les zones responsables de la production et de la compréhension du langage, ces techniques ont permis de vérifier, et bien entendu, de nuancer les théories de Broca et de Wernicke proposant que chez 80% des droitiers les hémisphères gauche et droite sont respectivement responsables de la production et de la compréhension du langage.

Par ailleurs, dans le cas des sujets dyslexiques,3 les techniques d’imagerie ont permis de confirmer certaines particularités anatomiques dans leurs cerveaux : la symétrie inhabituelle des cerveaux droits et gauche et la taille anormalement grande de la substance blanche responsable de la transmission des informations d’une moitié du cerveau à l’autre (Puzenat 1996).

Partant de ces techniques, il semble logique de proposer que plus il y a de consommation de glucose, plus la tâche est difficile. En termes de coût de traitement,

une telle tâche serait matériellement plus coûteuse. Dans la même logique, une légère consommation de glucose impliquerait que la tâche est peu coûteuse.

Un deuxième moyen d'exprimer le coût est le temps nécessaire pour terminer une tâche. Plus on y met du temps, plus la tâche est complexe. Le temps qu'il faut pour interpréter un énoncé donnerait une indication sur le coût de traitement: plus de temps veut dire plus de coût. C'est avec ces deux idées de coût que nous nous proposons d'évaluer les conséquences cognitives de notre modèle.

Lorsqu'un interlocuteur entend un énoncé, il procède automatiquement et inconsciemment (Jackendoff 1984 et 1990, Sperber & Wilson 1989, Kang'ethe 2000a) à la construction d’hypothèses contextuelles, aboutissant ainsi à une sortie (interprétation). Nous soutenons que les différentes interprétations sont identiquement accessibles. Autrement dit, chacune des sorties de -na- doit prendre un temps identique à n'importe quelle autre dans un contexte approprié. De plus, toutes les sorties de -na- consomment la même quantité de glucose. Bref, le coût doit être le même, quelle que soit la sortie. Cette théorie va à l'encontre du raisonnement proposé dans les analyses algorithmiques (Saussure 2000a, Moeschler 1998a notamment).

Dans les analyses algorithmiques (et séquentielles), les sorties sont, par implication, hiérarchisées. La première sortie constitue le sémantisme de base ou l'interprétation par défaut (Saussure 2000a, Sthioul 1998a, Luscher 1998a, Kang'ethe 1999). Les autres sorties viennent à la suite de l'enrichissement pragmatique (hypothèses contextuelles). A titre d'exemple, voyons le traitement cognitif de -na- proposé dans Kang'ethe (1999).

3 8 à 10% des enfants français d’âge scolaire éprouvent des difficultés à apprendre à lire et à écrire, inversent et confondent les lettres ou les syllabes d’un mot. Ce déficit est connu sous le nom de dyslexie (Puzenat 1996).

Présence d’un

Figure 6 : Parcours interprétatif de -na- en swahili (Kang’ethe, 1999).

Il est indéniable qu'un tel modèle est intéressant, car il montre un organigramme de type si…alors…sinon. Mais, à la lumière de notre critique des théories par défaut, le modèle est problématique. D’abord, le parcours séquentiel implique que la première sortie est plus rapide que les autres, donc elle est relativement moins

coûteuse. C'est le sémantisme de base de -na-. Comme nous rejetons, maintenant, l’idée d’une interprétation stéréotypique ou par défaut (Levinson 2000), ce modèle doit être abandonné pour un autre, non séquentiel. De nombreuses études en psycho- et en neurolinguistique font l’hypothèse que la compréhension du langage serait non séquentielle. En fait, il est question d'un rassemblement de multiples facteurs dans un processus cognitif dynamique pour rendre possible l'interprétation des énoncés (Dennett 1991, Gardner & alii, 1996). Le nouveau modèle s'inspire de cette théorie.

Entrée (énoncé

comportant –na-)

Enrichissement pragmatique

Enrichissement pragmatique

supplémentaire Sortie

Oui

Non

Echec Bonne interprétation ?

Oui/non

Figure 7 : Le parcours interprétatif de –na- (version modifiée)

Lorsqu'un sujet entend le morphème -na- dans un énoncé proféré par le locuteur dans un moi-ici-maintenant spécifique, il procède automatiquement au traitement de l'énoncé pour en déterminer la référence temporelle. Nous disons bien

automatiquement puisqu'il n'y a aucune réflexion préalable du genre « J'interprète cet énoncé ou pas ? ». La récupération des intentions du locuteur ne fait pas l'objet d’un choix de la part de l'interlocuteur; c'est un processus qui se déclenche automatiquement à l'écoute d'un énoncé ou d'une partie d'énoncé (Sperber & Wilson 1986). Cette théorie de l’esprit appelée la stratégie de l'interprète (Whiten 1991) consiste à attribuer des intentions et des croyances à autrui. Autrement dit, le locuteur en énonçant quelque chose cherche à communiquer quelque chose à son interlocuteur.

Ce dernier a pour tâche de récupérer l’intention informative du locuteur via la reconnaissance de son intention communicative. En situation d'interprétation, l'interprète, assujetti à une formidable contrainte temporelle dans le cas d'interprétations simultanées, est obligé d'anticiper les intentions du locuteur, quitte parfois à s'égarer. Comme la livraison se fait en temps réel, avec bien entendu un délai minimal, l'interprète ne peut attendre que le locuteur termine ses énoncés, ce qui donnerait lieu à une interprétation consécutive. Il est obligé de « lire les pensées » du locuteur pour gagner du temps. Dans d'autres situations moins contraignantes où le locuteur s'avère trop lent dans son récit, l'interlocuteur est tenté, inconsciemment bien évidemment, de terminer pour lui les énoncés (pensée). C'est pour cette raison que nous soutenons que la récupération des intentions du locuteur démarre dès lors que l'interlocuteur entend l'énoncé ou une partie de l'énoncé.

Mais l'écoute de cet énoncé ne se fait pas hors contexte. L'énoncé s'inscrit déjà dans un moi-ici-maintenant bien déterminé. En d'autres termes, le destinataire dispose sur la base de la situation de communication, des éléments pour formuler un contexte minimal. Au fur et à mesure que le locuteur produit son énoncé, le destinataire formule des hypothèses contextuelles pour récupérer ses intentions. La construction du contexte n’est pas consécutive mais quasi-simultanée à l’élaboration de l'énoncé.

C'est pourquoi nous soutenons que l'énoncé est déjà minimalement enrichi sur le plan pragmatique. L'interlocuteur a déjà formulé une hypothèse contextuelle et la première interprétation est prête en temps réel. Attendu que les processus cognitifs sont d'une étonnante rapidité, notamment la compréhension des énoncés, une telle théorie semble l'emporter sur les théories séquentielles. Seul un traitement en parallèle est capable de cette fulgurante rapidité de traitement. En revanche, la production du langage semble suggérer un processus séquentiel (Pinker 1994). La production correspond, grosso modo, au diagramme ci-dessous.

P rogrammation lexico-sémantique

P rogrammation syntaxique

R eprésentation phonologique

Production d'un énoncé (énonciation)

Intentionalité (Mentalais)

Figure 8 : Modèle approximatif de la production du langage

Nous soutenons que le processus débouchant sur l'assignation de la référence temporelle d'un énoncé n'est pas séquentiel mais parallèle compte tenu de la multiplicité des variables à gérer.

Dans le cas de -na-, la sortie du processus interprétatif (cognitif) est l'une ou l'autre des quatre interprétations possibles, suivant les hypothèses contextuelles accessibles. Le coût, rappelons-le, reste le même pour chacune des sorties. Cette théorie s’oppose, comme nous l’avons exposé précédemment, à notre ancien modèle algorithmique (Kang’ethe 1999). De même, dans certaines explicitations ou interprétations de la théorie de Sperber & Wilson (1989) et celle de Banfield (1995), il est proposé qu'il y a deux ou plusieurs niveaux d'interprétations de l'énoncé.

Commençons par Sperber et Wilson.