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CHAPITRE 1 : APPROPRIATIONS DES OUTILS NUMÉRIQUES

1.7 Le processus de recherche de l’information

Pour une explication des comportements informationnels, nous allons nous

référer aux recherches sur les comportements informationnels (ang. Information

behaviour) qui ont occupé une place prépondérante dans sciences humaines au

milieu des années 1980-1990.

La définition synthétique de la recherche d’information nous vient Marchionini. Il la

définit comme une démarche que l'individu entreprend afin de modifier son état de

connaissances, ce qui implique au préalable que cette personne ait pris conscience

d'une lacune ». (Marchionini 1995)

58

. Au demeurant, si « les environnements

numériques actuels [...] n’ont pas fondamentalement modifié les démarches de

recherche d’information, [ils] ont néanmoins opéré des évolutions dans les pratiques.

L’internaute est plus multitâche dans sa recherche (Simmonot, 2012). Sa quête est

rendue plus difficile par la pléthore d’informations en ligne et leur redondance »

(Kennel, 2014 : 61)

Aussi, « La recherche d'informations comme une activité de résolution de problèmes

alors il faut admettre, suivant [HOC 87] que l'individu commence par construire une

représentation de la tâche, sans disposer immédiatement des moyens de la réaliser

(p. 129).

De plus, la recherche d’informations est un lien ou une corrélation entre l’individu qui

cherche et le support d’accès à l’information. Tricot résume bien cette idée ainsi :

« La recherche d'informations met en relation un utilisateur et un document,

l'utilisateur étant caractérisé par le fait qu'il a un besoin d'informations. A partir de ce

besoin, il a élaboré une représentation mentale du but informationnel, plus ou moins

précise. Il est plus ou moins capable de le transformer en une requête ou en une

activité d'interaction avec le document » (Tricot 2006)

59

. Par ailleurs, renchérit-il, les

étapes du processus de recherche comprennent : « « prise de conscience du besoin

d’information, élaboration du but de recherche d’information, mise en œuvre de

58

MARCHIONINI, Gary. Information seeking in electronic environments. Cambridge : Cambridge University Press, 1995

59 TRICOT, André. L’utilisation d’Internet permet-elle de nouveaux apprentissages documentaires ?. In Politique documentaire des EPLE et ressources numériques. Rectorat de l'académie d'Amiens ; CRDP de l'académie d'Amiens, novembre 2006.

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l’activité de recherche d’information, lecture, compréhension et évaluation du résultat

» (Ibid, 2006)

Dans notre perspective, la RI se caractérise entre autres par le fait que les «moyens

» en question sont des informations documentaires (textes, graphiques, données

numériques) que le sujet doit se procurer dans son environnement (ou système

d’information, par exemple, un hypertexte). Evaluer revient à identifier les

informations qui manquent pour pouvoir effectuer la tâche (ou cibles). Plus

précisément, l'évaluation comporte :

- La construction d'une représentation de but : identification des informations

requises par la tâche. Ces informations peuvent être très précises (par ex., «

Quelle est la date de l'invasion de l'Angleterre par les Normands? ») ou plus

floues (« Quelles sont les causes du déclin de l'empire romain? »).

- La comparaison des informations immédiatement disponibles (dans

l'environnement perceptif ou par recherche en mémoire) avec la

représentation du but. Plus concrètement le sujet doit déterminer s'il faut ou

non engager une recherche dans l'environnement ». (1998 : 60,61

- La production de critères qui « guident » la recherche proprement dite. Ces

critères sont de deux types : critères déclaratifs, qui caractérisent l'information

à chercher (voir les exemples ci-dessus) ; critères procéduraux, qui

caractérisent la procédure à suivre pour opérer la sélection des catégories

d'informations ; les critères procéduraux reposent sur la connaissance de

l'environnement (interface-utilisateur) et des circonstances de l'activité (temps

disponible, niveau d'exigence de la tâche etc.). Dans le cas d'une question

complexe (2e exemple ci-dessus), la procédure de recherche variera de façon

importante selon que l'environnement de recherche est un simple dictionnaire,

une encyclopédie ou une bibliothèque universitaire ; et selon que celui qui

recherche de l’information dispose de quelques minutes, quelques heures ou

quelques mois pour effectuer la tâche ». (Ibid, 1998 : 60,61)

De plus, les trois facteurs influençant le processus d’évaluation de la qualité d’une

information se caractérisent ainsi :

- Si l’information trouvée correspond exactement au but visé, la recherche

s’arrête.

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- Si l’information trouvée correspond partiellement aux attentes du lecteur, une

nouvelle recherche peut s’imposer dans le but de préciser, de compléter cette

information.

- Si l’information trouvée ne correspond pas à ses attentes, le lecteur zappe

cette information.

Ainsi donc, évaluer la qualité d’une information est une « opération qui mobilise à la

fois nos connaissances, nos compétences, mais aussi nos valeurs personnelles, nos

jugements, nos opinions, nos goûts etc. Il s’agit donc d’une opération qui n’est ni

purement technique, ni purement documentaire, ni non plus purement cognitive,

mais qui entremêle toutes ces dimensions et d’autres » (Serres, 2010 : 2)

60

Pour Alexandre Serres, cette opération est quelque peu différente chez les jeunes,

les digital natives » car on retrouve chez eux un ensemble de difficultés à évaluer

l’information. Il détermine trois explications :

- Les jeunes accordent peu d’attention à l’évaluation de l’information.

- Ils accordent une trop grande importance dans les résultats des moteurs de

recherche comme Google.

- Il y a chez la majorité d’entre eux une méconnaissance ou une confusion des

critères d’évaluation d’une information : ainsi la facilité d’utilisation d’un site est

souvent considérée comme un critère de crédibilité.

D’un autre côté, pour Kuhlthau (1999), le processus conduisant à la recherche d’une

information est amorcé par « un sentiment d’incertitude », un état cognitif provocant

un état d’anxiété. Dans cette étape, l’usager change d’état cognitif de l’incertitude

anxieuse à la satisfaction ou l’insatisfaction. Dans ces travaux (1993

61

), elle établit un

modèle théorique de la recherche d’information (RI) visant à expliquer les

comportements informationnels par le modèle « Information search process »

(processus de la recherche de l’information). Six corollaires tendent à fournir une

explication au processus de la RI :

60 Alexandre Serres, (2010), L’évaluation de l’information à l’heure du web 2.0, Journée d’étude Médiadix /

Urfist de Paris : « Le web 2.0 : nouveau services ou effet de mode ? ». cf.

http://urfist.enc.sorbonne.fr/sites/default/files/Journ%C3%A9eMediadixUrfist_ASerres_Evaluation_information web2_0.pdf

61

Kuhlthau, Carol C. (1993). Seeking meaning : a process approach to library and information services

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- Le processus : c’est l’étape initiatique. Il ponctue le début que la recherche de

l’information par cette interrogation : « que vais-je ? Ou « comment vais-je le

faire ? »

- La formulation : il s’agit de l’étape de la plus délicate car il faut procéder à une

analyse des informations trouvées. Cela suppose de la réflexion, de

l’appréhension du sujet.

- La redondance : quand on accumule un maximum d’informations pertinentes

qu’elles soient attendues ou inattendues il faut une reconstruire les matières.

- L’orientation : c’est le choix des informations considérées comme utiles.

- La prédiction : compte tenu de notre expérience antérieure en matière de RI,

on s’attend à ce qu’on retrouve les mêmes informations selon une procédure

identique.

- L’intérêt à rechercher cette information.

En 1995, Belkin propose un modèle épistémique nous expliquer comment

recherche-t-on les informations. Il se dégage de ses recherches que processus qui

accompagne l’individu dans la recherche d’une information se caractériserait par

différentes interactions : le jugement, l’interprétation, la modification, la navigation, la

planification,…et qui s’inscrivent dans l’espace et le temps.

Peter Ingwersen (1996) présente plutôt dans ses recherches un modèle

cognitif dans le système RI. Ce qui intervient dans le processus de recherche de

l’information de l’ordre cognitif. Les structures cognitives conditionnement ce

schéma : l’espace cognitif de l’individu, son environnement social et organisationnel,

le fonds informationnel et le système.

Tefko Saracevic (1997) s’inscrit davantage dans une perspective

interactionniste. Est-ce l’information qui interagit avec l’individu ou l’individu qui

interagit avec l’information ? Dans cette perspective, le processus qui mène à la

recherche d’une information est lié à l’état d’incertitude. Ainsi, un individu peut

rechercher une information soit pour résoudre un problème soit pour se rassurer ou

dissiper sa propre incertitude.

Wilson (1996), quant à lui, présente un modèle qui intègre une formalisation du

comportement global de l’individu. Aussi s’appuie-t-il sur trois caractéristiques :

- Le besoin d’information et les facteurs conditionnant la perception de ce

besoin ;

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- Les facteurs déterminant la réponse de l’individu au regard de la perception du

besoin ;

- Les processus ou les actions impliquant la réponse à l’information recherchée.

Dans un article publié dans la revue Ressi

62

, Thivant et Bouzidi (2005) montrent

que la notion de pratique informationnelle est polysémique chez Wilson. Si la

pratique informationnelle peut être définie comme l’ensemble des actions et des

choix de l’individu lors d’une phase de recherche d’information provoquée par un

besoin d’information (Sarméjeanne, 2001), pour Wilson (2000) les choix de l’individu

peuvent être actifs et/ou passifs, conscients ou non et toujours liés aux différentes

sources et canaux d’information. Aussi en distingue-t-il cinq variables de pratique

informationnelle qui se présentent ainsi :

- La pratique de recherche d’information, en anglais Information Seeking

Behavior ou IS, est « l’ensemble des actions et des choix intentionnels d’un

individu en matière de recherche d’information en réponse à un besoin

d’information. Dans le course à la recherche de l’information, l’usager peut

interagir avec des systèmes d’information manuels (comme des journaux ou

des bibliothèques) ou avec des systèmes informatiques, comme le World

Wide Web ». (Wilson, 2000).

- La pratique de repérage d’information (Information Searching Behavior) est

« une micro-pratique, mise en œuvre par le chercheur d’information en

interagissant avec le système d’information médiatisée ou non. Ces pratiques

sont considérées par l’ensemble des interactions avec le système

d’information, soit à un niveau interactionnel entre l’homme et la machine (par

exemple l’utilisation de la souris ou des clics sur des liens), soit à un niveau

plus intellectuel (par exemple adopter une stratégie de recherche booléenne

ou déterminer des critères pour choisir entre deux livres intéressants sur une

étagère de bibliothèque) sur la base de choix cognitif des usagers comme le

jugement sur des données pertinentes ou sur des résultats de recherche

documentaire ». (Wilson, 2000)

- La pratique de recherche d’information documentaire (Information

Retrieval Behavior ou IRB) est une micro-pratique en matière de repérage

62

Eric Thivant, Laïd Bouzidi, les pratiques d’accès à l’information professionnelle : le cas des concepteurs de placements financiers, Rue Ressi, n°1, 2005

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d’information au travers des systèmes d’information généralement médiatisée,

pour repérer des documents dans des bases de données ou sur Internet, et

pour reconnaître l’organisation des l’information (métadonnées) au sein de

bases de données.

- La pratique d’utilisation de l’information « est l’ensemble des actions et

des choix permettant d’enrichir les connaissances et les savoirs d’une

personne à partir de l’information trouvée. Ces actions peuvent prendre la

forme par exemple d’une annotation d’un texte en fonction de l’importance ou

de la signification des différents paragraphes ou sections et ces choix peuvent

permettre de comparer les informations déjà connues et les informations

trouvées ». (Wilson, 2000)

- La pratique d’accès à l’information est l’ensemble des actions et des choix

des acteurs mis en œuvre pour la recherche et l’utilisation de l’information.

Tableau 10 : Comportement de recherche d’information et besoin d’information Comportement de

Recherche

d’information (RI) Adapté à un besoin d’information Résultat

Découverte sans

recherche, sérendipité Non conscient

Découverte de nouvelles ressources Nouvelles questions

Feuilletage, Browing

Exploratoire : que contient la collection ?

Connaissance de la source et de la nature des informations

qu’elle contient Cueillette, berry-picking

(Bates 1989) Exploratoire sur le sujet Connaissances fragmentaires Équation de recherche

pour SRI Conscient sur un sujet précis

Collecter des connaissances Spécifiques sur le sujet Rétroaction de

pertinence Mal formulé

Acquisition de vocabulaire, aide à la formulation

Conscient sur un sujet à approfondir

Approfondissement du sujet, repérage des autorités du domaine

Chaînage (Ellis 1983)

Surveillance, veille (Choo

et Auster, 1993) À moyen et long terme

Connaissances actualisées, découverte de nouvelles ressources

Source : Simonnot Brigitte, Thémat’IC 2006 « Information : besoins et usages », Strasbourg, 17 mars 2006

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En guise de résumé, on pourrait souscrire à la définition que nous livre Fanny

Georges (2010)

63

: « la notion de pratique informationnelle dans le domaine de la

communication intersubjective médiée par ordinateur comme l’ensemble des actions

et des choix d’un utilisateur opérés lors d’une phase de recherche d’information sur

un autre utilisateur ou sur lui-même. (2010 § 6)

Ainsi donc, la littérature scientifique distingue deux types de recherche

d’information : la recherche interne et externe. La recherche interne est un processus

cognitif qui fait appelle, inconsciemment ou non, des informations ou connaissances

déjà acquises sur le sujet de recherche. Alors que la recherche d’information externe

se caractérise principalement par une extension du sujet de recherche à d’autres

informations nouvelles présentes dans l’environnement de l’individu, en raison d’une

insuffisance (Bettman, 1979 ; Guichard et Vanheems, 2004

64

). D’après J. Bettman

(1979)

65

, cette recherche externe présente trois aspects : l’orientation donnée à la

recherche (quel type d’information ?), l’intensité de la recherche (combien

d’informations ai-je besoin ?) et les étapes à franchir (ordre de choix).

D’un autre côté, une recherche d’information peut prendre deux formes :

active et passive. Selon Guichard et Vanheems (2004 : 34), « l’information peut être

collectée par le consommateur de manière active et volontaire ». Par exemple, un

consommateur d’information d’actualité peut se connecter à un site d’information en

ligne via un moteur de recherche ou en entrant directement l’adresse. L’action du

consommateur est volontaire et consciemment dirigée. Cependant, le comportement

de ce même consommateur peut être influencé par un titre qu’il y aurait en se

connectant à la page d’accueil de sa boîte mail ou de son fournisseur d’accès à

Internet. « L’acquisition de l’information s’effectue alors de façon inconsciente [qui]

peut être un préalable à l’éveil du besoin » d’information.

La « recherche d’informations »

66

un processus psychologique dont le but est

« d’élucider l’ensemble des représentations et des processus cognitifs mis en œuvre

par un humain pour mener à bien une activité de recherche d’information RI dans le

contexte d’une certaine tâche ».

63 Georges F., (2010), Pratiques informationnelles et identités numériques, dans Etudes de communication, n°3, mis en ligne le 01 décembre 2012, consulté le 17 septembre 2015. URL : http:// edc.revues.org/2226

64

Guichard N., Vanheems R., (2004), Comportement du consommateur et de l’acheteur

65 Bettman J.R. (1979), An information Processing Theory of consumer choice, Reading, Addison Wesley, New York

66

A. Tricot & J.-F. Rouet (Eds.), (1998). Les hypermédias, approches cognitives et ergonomiques (pp. 57-74). Paris : Hermès

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Pour Tricot et Rouet, « d’un point de vue humaine, la recherche d’informations

(RI) présente trois caractéristiques essentielles : il s'agit d'abord d'une activité

complexe, qui fait largement appel aux connaissances individuelles et donc à la

mémoire (mémoire à long terme, mémoire de travail) ; ensuite, cette activité passe

par le traitement d'informations (le plus souvent textuelles), et fait donc appel à la

compréhension ; enfin, la RI implique l’exécution d’un certain nombre d’actions

successives visant à transformer la situation de son état initial vers le but, et

s'apparente donc à la résolution de problèmes ». (1998 : 59)

« Sur ces trois points les travaux menés en psychologie cognitive ont abouti à des

théories générales qui servent d'arrière-plan à notre modèle de la RI ».

La théorie de la compréhension des textes en tant qu’activité cognitive mise au point

par Kintsch et ses collègues (1978) peut se résumer par cette maxime :

« comprendre c’est élaborer une représentation cognitive de la situation évoquée par

le texte. Cette élaboration passe par le codage, la condensation et l’intégration du

contenu textuel aux connaissances antérieures » (1998 : 59)

Au regard de ce qui précède, la consommation des informations d’actualité se situe

entre « une démarche volontariste et une pratique opportuniste (sérendipité

c'est-à-dire le concours de circonstances fortuit)

En résumé, la recherche et l’usage de l’information s’inscrivent dans une perspective

constructiviste dans laquelle on tient compte des facteurs individuels et des

situationnels.

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CHAPITRE 2 : LES PRATIQUES DE LECTURE DE LA