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Chapitre 2 : Cadrage conceptuel de l’objet étudié

IV. IMPROVISATION VS REGLES

4. Le processus d’improvisation

1) Phase amont

Bachir-Loopuyt et al. (2010) cherchent à comprendre comment fonctionne l’improvisation ; il s’agit pour les auteurs d’une « une affaire de préparation ». Evacuant l’idée d’une « action instantanée » Bachir-Loopuyt et al.(2010) convergent avec le point de vue de Chedotel « Il apparaît ainsi que, loin d’être une action sans réflexion, préparation ou apprentissage, elle demande une démarche continue d’acquisition de compétences improvisationnelles qui concernent la structure du projet, sa mémoire, les incitations des intervenants ».

Les antécédents de l’improvisation (Bachir-Loopuyt et al., 2010) sont décrits comme suit : - Des répertoires transmis ;

- Des routines incorporées ; - Une compétence cognitive ; - La maîtrise d’un langage.

Chedotel (2005) rappelle que ce concept est souvent étudié dans des contextes turbulents, typiquement dans des secteurs très compétitifs ou de crise. Elle peut aussi apparaître « lorsqu’un planning ne donne pas tous les détails ou tactiques de réalisation d’un projet » (Moorman et Miner, 1998), « voire même cours de projets structurés, malgré des procédures et des plans qui anticipent pourtant de nombreux problèmes potentiels » (Miner et al., 2001). Hatch (1999) souligne qu’elle est révélatrice de l’incertitude à laquelle se confrontent les organisations modernes.

Comme l’improvisation suppose une phase amont de préparation, certains chercheurs vont jusqu’à remettre en cause le caractère improvisé de l’action : pour Dahlaus (2004), l’improvisation serait un pôle idéal sur une « gamme de possibilités », « une borne sur un continuum d’action ».

2) Processus d’improvisation

L’improvisation en action est influencée par son environnement. Il s’agit d’une « action située » (Suchman, 2007 ; Fornel et Quéré, 1999) qui naît de « situations singulières d’action » (Laborde, 1999 ; 2005) influencée par :

- le répertoire transmis des acteurs ; il n’est pas figé, pendant l’action improvisée « il est continuellement refait au fil des interactions et des négociations entre les divers acteurs » (Bachir-Loopuyt et al., 2010) ;

- l’environnement.

Selon Bachir-Loopuyt et al.(2010) « les improvisateurs sont décrits comme des acteurs suffisamment disponibles à la situation présente pour y puiser des ressources d’action et réagir sur le vif... La créativité réside ainsi moins dans la libération par rapport à un langage musical que dans une forme de « prévoyance » (Bourdieu, 2000) ; « une disposition à agir qui se traduit par une attention de chaque instant aux divers appuis de la situation » (Bachir-Loopuyt et al., 2010). Ces actions prennent forme dans des « cadres interactionnels » Goffman (1991) qui définissent chacun une situation.

Mendoça, Webb et Butts (2010) considèrent qu’il est possible de préparer à l’improvisation : « la connaissance d’enchainements préétablis et des situations dans lesquelles ils sont adaptés, peut améliorer les capacités d’improvisation. De fait, comme le suggère Kreps (1991), « une condition importante d’une improvisation réussie est l’habitude de suivre un plan ».

Dans le cadre d’un entraînement à l’improvisation dans les situations d’urgence, il est donc nécessaire d’apporter un complément à l’entrainement à suivre un plan. Ce dernier suppose la mise en contact avec un large éventail de situations, et l’apprentissage d’enchainements adaptés à ces situations. « L’entrainement à l’improvisation suppose d’apprendre à reconnaitre des évènements imprévus et à y réagir, en s’appuyant sur la connaissance des interventions prévues comme d’une base sur laquelle improviser. Le contact avec des situations très variées peut aussi améliorer la capacité à improviser. » (Kreps, 1991).

Moorman et Miner (1998) identifient la mémoire organisationnelle comme facteur influençant les résultats de l’improvisation. Si cette mémoire organisationnelle est entretenue, elle favorise la

experiments and permitting the development of higher-level competency in improvisation » (Moorman et Miner, 1998).

Moorman et Miner (1998) identifient deux types de mémoire organisationnelle :

- organizational procedural memory (skill knowledge) ; la mémoire de procédures permettrait d’améliorer la vitesse et l’efficacité improvisationnellle en réduisant le degré de nouveauté « procedural memory should enhance improvisational effectiveness and speed, while reducing its novelty » ; « we argue that procedural memory is likely to have contrasting effects on improvisation. First, by providing a rich vocabulary of action from which to choose, it can improve the likelihood that improvisation will produce coherent action », (Moorman et Miner, 1998) ;

- declarative memory (fact knowledge) ; la mémoire déclarative améliorerait l’efficacité et la nouveauté improvisationnellle en réduisant sa vitesse ; « Declarative memory, however, should enhance improvisational effectiveness and novelty, while reducing its speed » Moorman et Miner (1998).

Le cadre militaire s’applique à ces sujets d’étude « improvisation in war likewise suggest that rich repertoires of procedural routines play a role in fast improvisation » (Moorman et Miner, 1998) ; le vice-amiral américain Joseph Metcalf en 1983 à propos de l’U.S. invasion of Grenada souligne l’intérêt de la mémoire de procédure pour réduire les risques d’échec de l’action improvisée « The rescue of the governor-general had not been included in any of my earlier instructions. …He goes on to describe a rapidly improvised set of troop movements and a landing on an unsurveyed beach. Metcalf attributes the success of the rescue to the preparedness of the troops, which-in our terms-included a diverse and highly practiced repertoire of routines concerning movement of ships, movement of landing vehicles, and landing actions of Marines. This preexisting procedural memory was recombined and redeployed for a purpose and in a setting not part of the original mission ».

En fait, c’est surtout l’association des deux types de mémoires qui permet une improvisation plus cohérente, (Moorman et Miner, 1998). Ils réfléchissent aussi aux effets positifs de l’improvisation fonctionnant selon un processus rétro actif et alimentant la mémoire organisationnelle par l’acquisition de nouvelles routines « Finally, we argued that improvisational activities can, in turn,

influence the nature of organizational memory, if an organization observes the outcomes of improvisational actions and incorporates new routines or inferences into its memory » (Moorman et Miner,1998). Pour Moorman et Miner (1998), le processus d’improvisation peut suivre un apprentissage selon un processus d’essais-erreurs « If an organization improvises, assesses outcomes, and then acts again, this process can be seen as trial-and-error learning » s’opposant aux caractéristiques des organisations hautement fiables « les organisations à haut risque se distinguent par leur impossibilité à permettre à leurs employés d’avoir recours à l’apprentissage et à l’amélioration de la performance par essai-erreur », (Bourrier, 1999 ; Weick, 1993).

Dans notre objet d’étude, le processus rétroactif permettant l’acquisition de nouvelles routines pour favoriser une action improvisée cohérente se heurte à un premier obstacle : la contrainte de temps qui nuit au processus rétroactif - car le fait d’interagir et de délibérer demande du temps - et un deuxième obstacle : les processus classiques d’apprentissage par « essais / erreurs » (Argyris et al. 1996) sont dans ce contexte non recevables, du fait des conséquences potentiellement irréversibles de l’erreur, non tolérées dans ce type d’organisation.3

Sans cohérence d’action, si l’improvisation organisationnelle offre un intérêt dans le traitement de situations imprévues, elle peut aussi nuire à l’organisation et :

- créer de la complexité, (Cunha et al., 1999 ; Chedotel, 2005) ;

- soumettre l’équipe à de fortes pressions émotionnelles (peur de commettre une erreur, proximité des échéances, etc.) ce qui explique les échecs fréquents (Chedotel, 2005) ; - altérer les possibilités de communication, (Dawes et al., 2004) ;

- nuire à l’action collective cohérente, (Chedotel, 2005 ; Roux-Dufort et Vidaillet, 2003) ; - solliciter davantage l’attention des acteurs de la situation que ne le ferait un suivi de règles

(Eisenhardt et Bingham, Davis, 2009 ; Hatch (1999), Miner, Bassoff, et Moorman , 2001).

Pour les arguments évoqués ci-dessus évoquant les limites d’une action improvisée, nous nous interrogeons sur sa pertinence dans la classe de phénomènes étudiée comme source de fiabilité.

En effet, si l’improvisation crée de la complexité, remet en cause les possibilités de communications, nuit à la cohérence d’action, sollicite l’attention des acteurs - ce que le suivi de règles n’altère pas, nous nous interrogeons sur la pertinence de l’improvisation dans notre objet d’étude - d’autant plus si la contrainte de temps et la non tolérance à l’erreur se greffent à la classe de phénomènes étudiée.

A l’inverse, nous pouvons penser que l’application de règles, sous une forme peut-être moins rigide que l’application stricte des règles (par exemple, avec la possibilité d’un cadre d’action délimité et couplé à une marge de manœuvre) puisse être source de fiabilité.

Nous poursuivons donc notre quête exploratoire par l’analyse de la prégnance des règles et son influence sur l’organisation.