• Aucun résultat trouvé

Chapitre 2 : Cadrage conceptuel de l’objet étudié

II. ROLE DES ACTEURS DANS LE PROCESSUS DE FIABILITE 1.L’individu : acteur du processus de fiabilité ?

3. Interactions au sein de groupes restreints

1) Interactions dans les situations à fort degré d’incertitude

a ) R e l a t i o n s e n t r e i n t e r a c t i o n s e t i m p r o v i s a t i o n

Dans leur article élaboré après analyse de la réponse à la crise de la canicule de 2003, Adrot et Garreau (2010) mettent en évidence les relations qui existent entre les différents types d’interactions et l’improvisation organisationnelle. Selon les auteurs, chaque forme d’interaction exerce une influence sur les possibilités d’improvisation.

Figure 2 : Formes d'interaction

Formes d’interaction : Effet des interactions sur l’improvisation :

- Discursives Par le biais des interactions discursives, l’improvisation se répand

- De traduction Les interactions de traduction rendent possible la coordination nécessaire à l’improvisation

- Fondées sur l’expérience Les interactions fondées sur l’expérience limitent la dispersion des acteurs et assurent la cohérence de l’improvisation organisationnelle

- Combinaison des trois formes d’interaction

La combinaison des trois formes d’interactions permet : - à l’improvisation de se répandre

- la coordination entre les acteurs pour improviser - la cohérence de l’improvisation

Source : d’après l’article d’Adrot et Garreau (2010)

Selon les auteurs, les interactions discursives entre acteurs favorisent le dialogue et la transmission des informations qui permettent l’émergence et la généralisation de nouvelles pratiques. Ils font le lien entre les interactions discursives et le concept d’improvisation soulignant que « par le biais de ces interactions, l’improvisation se répand » (Adrot et Garreau, 2010). Afin de préciser ce qu’ils entendent par la notion d’interactions discursives, les auteurs expliquent que « Beaucoup d’acteurs hospitaliers se croisent, souvent à la recherche de matériel ou d’information, et discutent de la situation et de leurs difficultés. Au détour d’une conversation ils s’informent des besoins des uns et des autres ou expliquent leurs pratiques. Ils échangent alors des conseils » (Adrot et Garreau, 2010).

Cette illustration met en évidence le fait que « les individus développent une adaptation concertée, quoique non planifiée, de l’organisation à la situation de forte incertitude » (Adrot et Garreau, 2010).

Adrot et Garreau (2010) distinguent en second lieu les interactions de traduction contribuant à un référentiel commun de pratiques. Ils montrent le lien entre cette forme d’interactions et l’improvisation car les interactions de traduction rendent possible la coordination nécessaire à l’improvisation. Dans le cas de l’étude menée par Adrot et Garreau (2010) sur la crise de la canicule de 2003, ces interactions de traduction se manifestent entre les services « En traduisant les besoins des uns en tâches pour les autres, les régulateurs appelés agents d’interface alignent les différents acteurs sur un nouveau référentiel » (Adrot et Garreau, 2010). « Ce référentiel et ces règles établies vont ainsi permettre aux acteurs de s’ajuster les uns aux autres en partie grâce à l’agent d’interface » (Adrot et Garreau, 2010).

La troisième catégorie d’interactions prend la forme d’interactions fondées sur l’expérience qui légitiment de nouvelles pratiques. Elles aident à la cohérence de l’action improvisée. « En fédérant les acteurs autour d’un ensemble restreint de pratiques perçues comme légitimes, ces interactions limitent la dispersion des acteurs et assurent la cohérence de l’improvisation organisationnelle » (Adrot et Garreau, 2010). L’avantage de cette troisième forme d’interaction repose sur le fait que par leur biais, « les acteurs s’alignent également sur des pratiques « de bon sens » auxquelles ils n’avaient pas pensé, mais qui leur semblent naturelles et donc légitimes » (Adrot et Garreau, 2010).

2) Rôle du leader dans le processus d’interaction

Dans ce cadre, le rôle du leader « consiste moins à formaliser une réponse qu’à générer des interactions fructueuses entre les acteurs. En encadrant les interactions, il rend les individus plus à même de générer collectivement des réponses à l’incertitude » (Adrot et Garreau, 2010). Le leader assure l’instauration du cadre d’action et d’une marge de manœuvre pour les individus, nécessaires à l’improvisation organisationnelle. Enfin, l’agent d’interface nommé « boundary spanner » (Kapucu, 2006) ; (Tushman et Scanlan, 1981) représente un intermédiaire « qui transmet et traduit des termes et des concepts entre des parties de l’organisation aux vocabulaires et référentiels différents » (Adrot et Garreau, 2010), son rôle est dévolu aux relations intergroupe.

3) Interactions et processus de fiabilité

a ) D é f i n i t i o n

Beauvois (1995) définit l’interaction comme tout acte de communication verbale ou non verbale. Pour les interactionnistes (Bales, 1953 ; Mead, 1963), la vie du groupe doit être considérée comme une suite d’interactions qui s’organisent dans le temps et se distribuent entre les membres en fonction des rôles qu’ils adoptent et/ou acceptent. Le courant interactionniste étudiant le processus d’interaction en donne une approche théorique estimant qu’il « faut partir de la manière dont des organismes individuels entrent, en coopérant et en communiquant, dans un processus d’interaction où se règle l’adaptation réciproque de leurs conduites » (Mead, 1963). « Dans ce processus, les gestes initiaux d’un partenaire sont traités comme quelque chose qui indique les séquences ultérieures d’un acte et provoquent dans un autre organisme une réaction adaptative qui à son tour, peut devenir un geste pour le premier individu » (Mead, 1963). Prolongeant les travaux de Mead (1963), l’Ecole de Chicago dans les années trente adopte une approche plutôt sociologique.

Le courant interactionniste s’intéresse principalement à deux axes :

- Le premier axe touche aux rapports entre le sujet individuel et le social (notions de soi, d’identité, de rôles) développé par Kuhn (1972), Turner (1956) ;

- Le second axe étudie l’ordre social en termes d’interactions et d’actes de communication. A partir de ce second axe, Blumer (1969) analyse l’interaction sous l’angle de l’interprétation (rejetant l’idée de déterminisme développé par le paradigme normatif), l’interactionnisme est alors qualifié de symbolique.

Blumer (1969) souligne que l’interactionnisme repose sur trois principes : « Les humains agissent à l’égard des choses en fonction du sens que les choses ont pour eux » ; ce point développé par Blumer (1969) converge avec les idées développées par Thomas, Zaniecki (1918-1920). « Ce sens est dérivé ou provient des interactions de chacun avec autrui », L’approche de Blumer (1969) suit la ligne définie par Mead (1963) sur ce point. « Les significations apparaissent au cours d’interactions concrètes avec les différents partenaires, elles dépendent de leurs actions et interprétations, elles sont définies dans un contexte situationnel particulier. Par ailleurs, leur matrice communicationnelle repose sur l’utilisation de symboles généraux indépendants du contexte, et faisant partie de

d’interprétation mis en œuvre par chacun dans le traitement des objets rencontrés que ce sens est manipulé et modifié.

Blumer (1969) est contre l’idée d’une disposition initiale expliquant tel ou tel comportement. Selon Blumer (1969), « l’acteur ne cesse de modifier son comportement en fonction d’interprétations nouvelles » (De Queiroz, Ziolkovski, 1997). Cette justification est d’autant plus vraie avec d’autres partenaires. Les besoins ou normes naturels constituent pour Blumer (1969) des données initiales mais les actions et les interactions ne peuvent se comprendre à l’aide de facteurs extérieurs.

b ) P o u v o i r e t n a t u r e d e s i n t e r a c t i o n s

Beauvois (1995) souligne l’effet générateur du processus interactif « quelque chose se construit dans l’échange conversationnel ou communicatif. Quand deux personnes interagissent, à l’occasion d’un tel échange, on peut admettre qu’on n’assiste pas à un simple partage ou transfert d’informations d’une tête à l’autre mais que les activités de communication sont génératrices puisqu’il y a plus dans le dispositif interpersonnel après l’échange qu’il n’y avait avant » (Beauvois, 1995)

Elle aurait des pouvoirs générateurs, (Beauvois, 1995 ; De Queiroz, Ziolkovski, 1997).

L’interaction favorise selon Adrot, Garreau (2010) : - l’intercompréhension,

- le partage de connaissance - la coordination entre les acteurs.

Pour Bourrier (1999), Leplat et de Terssac (1989), Rochlin (2001), Vaughan (1997), Weick (1993,98), la fiabilité se joue dans un collectif de travail et dépend du substrat de la relation de travail.

c ) F a c t e u r s d e c o n t i n g e n c e

⇒ Interactions liées à la nature de la situation

Le courant interactionniste symbolique s’intéresse à l’évolution des situations pour comprendre le processus d’interaction. Ce courant étudie les situations de crise « Mais les moments les plus intéressants à étudier sont précisément ceux où cette routine ne suffit pas, où les significations et règles établies ne sont guère adéquates et où, soit situation inédite, soit crise, la fabrication de nouvelles interprétations peut s’observer in vivo » (De Queiroz, Ziolkovski, 1997). Les mêmes auteurs soulignent que « l’interaction est étroitement liée à la notion de situation et surtout de définition de situation ». Thomas et Znaniecki (1918-1920) convergent sur ce point ; ils définissent une situation comme « le produit de la combinaison de deux éléments : les conditions extérieures en tant qu’elles sont perçues par les acteurs et constituant pour eux des valeurs et d’autre part, les attitudes ou dispositions intérieures résultant d’expériences précédentes» ; De Queiroz, Ziolkovski (1997) soulignent l’importance de la représentation de la situation « quand les hommes considèrent leurs situations comme réelles, elles sont réelles dans leurs conséquences » (De Queiroz, Ziolkovski, 1997).

Le contexte situationnel peut en effet agir sur la qualité des interactions ; une situation de forte incertitude contribue à une charge forte d’émotion dans les interactions perturbant :

- la compréhension entre les individus (Kapucu, 2006) ; - l’interprétation des acteurs (Ciborra, 1996) ;

- leur coordination (Weick, 1998).

⇒ Interactions liées aux membres du groupe

Bales (1953) identifie dans le processus interactif différents acteurs : l’émetteur, le récepteur en tant que membre du groupe), le groupe.

Bales (1953) procède à partir de cette grille à une analyse quantitative en comptant les interactions du point de vue de leur émetteur et de leur récepteur. Il établit des matrices où chaque membre du groupe apparaît en tant qu’émetteur (en ligne) et en tant que récepteur (en colonne).

Bales (1953) établit une grille différenciant douze types d’interactions servant de base d’analyse pour les discussions de groupe.

Figure 3 : Types d'interaction dans les discussions de groupe

Source : Bales cité dans l’ouvrage de Beauvois (1995)

Les catégories de la grille permettent de comprendre comment fonctionne un groupe ; au centre figurent les six types de problèmes auxquels le groupe est confronté : l’information, l’évaluation, le contrôle, la décision, la tension, l’intégration.

Cette grille montre la nature des échanges (de type informatif, approbatif..) qui vont influencer les types d’interactions.

Bales (1953) procède à partir de cette grille à une analyse quantitative en comptant les interactions du point de vue de leur émetteur et de leur récepteur. Il établit des matrices où chaque membre du groupe apparaît en tant qu’émetteur (en ligne) et en tant que récepteur (en colonne).

Il classe les sujets :

- selon le nombre total d’émissions en direction d’une autre personne ; - selon le nombre d’émissions en direction de l’ensemble du groupe ; - selon le nombre de réceptions.

Après une analyse quantitative, Bales (1953) fait ressortir une grande différence entre les participants concernant leur taux de participations.

Il ressort de cette étude que :

- Le participant qui fait le plus grand nombre d’interventions vers d’autres est aussi celui qui s’adresse le plus souvent au groupe en général.

- Le participant qui émet le plus est aussi celui qui reçoit le plus.

Des travaux complémentaires menés par Bales (1953) montrent que lorsqu’un individu s’adresse beaucoup aux autres et que les autres s’adressent beaucoup à lui, cela constitue souvent un indice de l’influence que lui attribue les autres.

A propos de l’influence exercée par un individu sur le groupe, Beauvois (1995) écrit que « l’imaginaire groupal s’organise autour de fantasmes prédominants d’un des participants qui apparaîtra pour l’heure leader d’influence ou tout le moins personne centrale. Parfois, à contrario, il y a casse, rupture de liens suivie d’un cortège de diverses angoisses».

Les travaux de recherche sur les processus d’interaction nous montrent que les interactions favorisent la coordination entre les acteurs et que le leader a un rôle à jouer qui « consiste moins à formaliser une réponse qu’à générer des interactions fructueuses entre les acteurs. En encadrant les interactions, il rend les individus plus à même de générer collectivement des réponses à l’incertitude ». Adrot et Garreau (2010). Les mêmes auteurs soulignent que l’action du leader est davantage liée à l’intragroupe ce qui nous conforte dans l’idée que sur la passerelle d’un bâtiment, le leader a un rôle à jouer dans le processus d’interaction pour créer les conditions de réussite d’une mission.

Notre objet d’étude et la classe de phénomène étudiée porte sur le comportement d’acteurs en situation complexe sous contrainte de temps ; nous nous intéressons au concept de situation pour mieux identifier son effet sur le comportement des acteurs en situation ; leur représentation de la situation peut influencer leur maîtrise de la situation et le processus de fiabilité.

III. INFLUENCE DE LA SITUATION