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Chapitre 2 : Cadrage conceptuel de l’objet étudié

III. INFLUENCE DE LA SITUATION 1.Comment définir une situation ?

Girin (1990) définit la situation en trois éléments : - « des participants,

- une extension spatiale (le lieu ou les lieux où elle se déroule, les objets physiques qui s’y trouvent),

- une extension temporelle (un début, une fin, un déroulement, éventuellement une périodicité)»

Adaptée à l’organisation, Girin (1990) définit la situation de gestion quand « des participants sont réunis et doivent accomplir, dans un temps déterminé, une action collective conduisant à un résultat soumis à un jugement externe » Girin (1990).

Pour Journé (2008) « la situation de gestion reprend les trois composantes de la définition générale de la situation - des participants, une extension spatiale et une extension temporelle - en leur associant les contraintes propres aux démarches gestionnaires : le temps est déterminé, les participants sont engagés dans une action collective qu’ils n’ont pas nécessairement choisie et sont pour cela réunis (en des lieux spécifiques) à l’initiative d’un projet gestionnaire. ».

Pour Goffman (1987), la situation correspond à « toute zone matérielle en n’importe quel point de laquelle deux personnes ou plus se trouvent mutuellement à portée de regard et d’oreille ». Girin (1990) et Goffmann (1987) considèrent que la situation est collective et fait intervenir la communication, « La situation pousse les acteurs à se demander ce qui se passe ici et maintenant et à mobiliser des cadres d’interprétation »(Goffman, 1991). « La situation n’a de sens que par rapport aux points de vue - toujours subjectifs - des acteurs », (Goffman, 1991 ; Journée, 2008).

Martin (2010) approfondit la notion de situations de gestion définies par Girin (1990) ; il en fait ressortir des classes de phénomènes qui correspondent à des situations de gestions, homogènes du point de vue du statut donné à la connaissance et des liens de cette dernière à l'action.

2. Représentation de la situation par les acteurs

L’analyse du concept de situation pour mieux comprendre une organisation et notamment celle que nous étudions se justifie par les relations existantes entre situation et organisation. Journé (2008) montre « comment une organisation aussi structurée qu’une centrale nucléaire, qui tend vers une totale prévisibilité technique et managériale des situations, produit pourtant des situations problématiques qui échappent en partie au contrôle organisationnel, et qui engagent les acteurs dans une enquête qui sécrète transitoirement une nouvelle organisation ». Thietart et Forgues (2006) convergent avec Journé (2008) et présentent l’organisation comme « un système dynamique non linéaire dont les forces ne peuvent mener qu’au chaos interne ». Ils soulignent néanmoins que ce chaos possède des propriétés organisatrices qui sont les conséquences des multiples interrelations qui se développent en son sein. Le gestionnaire fait donc face au dilemme ordre et chaos.

Journé (2008), cité par Germain et Lacolley (2012), rejoint Weick (1995) quand il précise que la compréhension de la situation permet une approche plus fine de la pensée managériale qui se construit dans l’action. Vidal et Thiberhgien (2010) rejoignent également Weick (1998) sur le concept de sagesse de Weick (1998) soulignant que grâce à cette attitude, les acteurs vont faire « appel à d’autres interprétations pour donner un sens aux situations qu’ils affrontent ».

3. Représentation de la situation dans les organisations hautement fiables

Journé (2008) décrit justement une situation dans une organisation hautement fiable, ayant des similitudes avec notre objet d’étude : des acteurs en salle de commande dans une centrale nucléaire assurent 24h/24h la gestion et veillent au bon fonctionnement des installations. Une part importante de leur tâche consiste à établir un diagnostic de la situation. Deux catégories-types de situations sont envisagées :

- « les situations normales, dans lesquelles l’exploitation de la centrale est parfaitement conforme aux hypothèses de conception et où tout se passe conformément aux attentes des opérateurs ;

- les situations incidentelles ou accidentelles qui correspondent à des situations dégradées du point de vue de la sûreté. Ces situations ont été identifiées aussi systématiquement que possible, et sont couvertes par des procédures spécifiques qui guident les opérateurs dans leurs actions de récupération » Journé (1999, 2008)

- Il existe une troisième catégorie qui regroupe les situations qualifiées de normalement perturbées « il s’agit de situations associées à des événements imprévus qui ne sont pas couvertes par des procédures spécifiques et qui, sans être incidentelles, sont suffisamment perturbantes aux yeux des opérateurs pour appeler de leur part un travail de définition et d’interprétation de la situation. Une situation normalement perturbée se présente par exemple lorsque qu’un matériel tombe inopinément en panne. » Journé (2008).

Journé (2008) explique que les trois types de situations ne sont pas gérés de la même manière. Dans les deux premiers cas extrêmes, c’est-à-dire les situations normales et les situations incidentelles et accidentelles, le cadrage de la situation est préétabli : il est essentiellement porté par les dispositifs techniques (alarmes, déclenchement d’automatismes de sûreté…) et par les procédures (règles générales d’exploitation, procédures incidentelles…).

Pour la troisième catégorie, « A l’inverse, dans les situations intermédiaires c’est-à-dire normalement perturbées, les opérateurs doivent construire collectivement le sens de la situation, afin d’en conserver le contrôle. Ils organisent un véritable processus d’enquête par mobilisation et confrontation de ressources cognitives diverses. Les dispositifs techniques et les procédures n’apparaissent plus alors que comme de simples ressources parmi d’autres, le facteur humain jouant ici le rôle de ressource pivot. Les membres de l’équipe apparaissent comme les hommes de la situation, non seulement parce qu’ils apportent une réponse assurant le contrôle de la situation mais encore parce qu’ils ont participé au processus même de construction de la situation qui doit rester sous contrôle. Dans un tel cadre, la manière dont la responsabilité se distribue au sein de l’organisation est essentielle à la progression de l’action : l’acteur pivot était aussi celui qui porte la responsabilité de la sûreté » (Journé, 1999, 2008).

Thiétart et Forgues (2006) soulignent l’influence de l’environnement sur les organisations, elles échangent (apportent et reçoivent) des ressources avec leur environnement ; de plus afin de faciliter cette interaction avec l’environnement, « elles vont créer intentionnellement une diversité interne (ou désordre) afin de répondre aux différentes demandes externes. Elles vont, de ce fait

même, être génératrices de chaos », Thiétart et Forgues (2006). Les auteurs soulignent également que l’organisation a besoin aussi d’ordre pour assurer sa mission. L’ordre, selon Thiétart et Forgues (2006) est nécessaire « pour permettre aux acteurs de se situer, de décider, de clore un système trop complexe pour un décideur cognitivement limité, pour créer de la certitude afin que les schémas classiques rationnels puissent prendre leur pleine mesure, pour réduire la dissonance que les acteurs peuvent ressentir face à un problème qu’ils savent intuitivement impossible à résoudre et à maîtriser ».

Dans une situation d’incertitude, les acteurs sont en manque d’informations, (Roux-Dufort, 2004). Roux-Dufort (2004) différencie les situations d’incertitude des situations équivoques qui « offrent des contextes où l’éventail des interprétations possibles est immense » (Koenig , 1996). Les individus vont par conséquent chercher à réduire cet éventail d’interprétations en essayant de construire ensemble un sens à la situation convergeant avec l’approche de Weick (1993). Roux-Dufort (2004) souligne que Weick (1993) s’interroge sur la façon dont les acteurs parviennent à réduire dans l’interaction l’équivocité des situations.

L’influence de la situation rappelle un enjeu dans les organisations hautement fiables : celui de maîtriser la situation surtout si elle est complexe et avec une contrainte de temps.

4. Maîtrise de la situation

L’acteur qui va devoir maîtriser la situation (manager ou leader) a sa propre perspective de la situation, (Journée, 2008) ; Journée (2008) explique que le manager ou le leader « construit une situation et s‘appuie sur la situation qu’il définit pour guider son action »

Trois courants théoriques portant sur le concept de situation l’abordent comme une unité d’analyse de l’activité :

- la théorie en situation de travail ;

- la théorie de la cognition distribuée (Hutchins, 1995), de la cognition située (Elsbach, Barr et Hargadon, 2005) ;

- les théories de l’action (Suchman, 1987) ; cette approche estime que la réflexion des acteurs progresse au travers de l’action, par mobilisation de ressources qui prennent la

forme de discussion avec les collègues (Heath et Luff, 1994 ; Hutchins, 1994 ; Theureau et Filippi, 1994), d’activation de dispositifs techniques ou de textes (procédure, documentation…) ; Simon (1979) en opposition estime que la prise de décision ne fait pas de place à l’action ni à la situation dans laquelle le décideur est plongé.

Pour Weick et al. (1999) « la construction du sens est d’autant plus importante que l’on est face à une situation ambiguë et équivoque, une situation nouvelle et problématique » « Les acteurs seraient plutôt engagés dans l’écriture du texte en même temps qu’ils en créent le sens ». Journé (2008) rappelle la définition du concept d’enactment par Laroche (1996) développé par Weick (1989) « qui caractérise la capacité des acteurs à décréter leur environnement ».

5. Situation et action improvisée

En situation dégradée, Weick (1993) cite parmi les sources de résilience, « l’improvisation et le bricolage ». Si l’improvisation - différenciée du bricolage par la notion d’urgence - n’apparaît pas automatiquement en situation de crise (Roux-Dufort et Vidaillet, 2003), elle est souvent associée à un contexte turbulent (Chedotel, 2005) car elle permet de répondre à l’incertitude et à la pression temporelle fortes, caractéristiques des situations de crise, (Crossan et al., 2005 ; Joffre et al. 2006). Les situations de crise sont des situations qui menacent le fonctionnement, les objectifs et les valeurs d’une organisation et qui appelle à la formulation de nouvelles pratiques (Hermann, 1963 ; Weick, 1993 ; Milburn et al., 1983 ; Quarantelli, 1988 ; Shrivastava, 1988). Adrot et Garreau (2010) considèrent également l’improvisation comme un moyen de sortie de crise. L’improvisation pourrait être une façon de résoudre la tension organisationnelle, (Vidal et Thiberghien, 2010) due au dilemme entre adaptation et adaptabilité. « L’adaptation exploite les possibilités présentes et l’adaptabilité exploite les possibilités futures. Ce dilemme est parfois décrit en termes de stabilité et de flexibilité. La flexibilité permet de s’adapter aux changements en les détectant et en inventant de nouvelles réponses. La stabilité constitue un moyen économique d’exploiter les régularités actuelles de l’environnement» (Vidal et Thibeghien, 2010).

L’improvisation pourrait être une source de flexibilité, c’est ce que nous cherchons à explorer. Existe-t-il des formes d’improvisation différentes, des niveaux différents d’improvisation ? Les travaux de recherche suivants nous éclairent sur la compréhension de ce concept.