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Le processus d’analyse des données en théorisation ancrée

CHAPITRE III LA MÉTHODOLOGIE

3.3 Le processus d’analyse des données en théorisation ancrée

Dans une démarche de théorisation ancrée, Strauss et Corbin (1990, 1998) soulignent l’importance de procéder à une analyse des données de manière concomitante à la collecte. Nous l’avons fait, mais souvent au pas de course, vu que nous ne pouvions tout à fait contrôler le rythme de la collecte des données. Nous avons réalisé en moyenne deux à trois entretiens par semaine, transcrits intégralement dans les jours suivants. Nous en faisions une lecture attentive dans le but d’aller identifier les points à approfondir ou introduire lors des entrevues suivantes. Ajoutons également qu’à toutes les étapes de l’élaboration théorique, nous avons recouru à la technique de comparaison constante, en effectuant des va-et-vient constants entre les données empiriques et la théorie en émergence. La comparaison constante, qui est au cœur de la théorisation ancrée, a permis de raffiner les concepts, les catégories et l’analyse de leurs relations et de faire ressortir les similitudes et les contrastes entre les données dans le but de cerner les déterminants de leurs variations (Laperrière, 1997a).

3.3.1 Le processus de codification des données

Le processus d’analyse propre à l’approche de la théorisation ancrée propose une codification en trois temps soit la codification ouverte, la codification axiale et la

44 codification sélective. Ces trois étapes qui se déploient en alternance et non à travers un processus linéaire, mènent à une intégration et une délimitation de plus en plus serrée de la théorie émergente (Gratton, 2001; Laperrière, 1997a; Strauss et Corbin, 2004).

3.3.1.1 La codification ouverte

La codification ouverte vise à faire émerger des données le plus grand nombre de concepts puis à établir leurs propriétés et dimensions et à les regrouper en catégories (Laperrière, 1997a). Pour ce faire, nous avons tout d’abord procédé à la lecture attentive de chacune des entrevues. Suivant cet examen minutieux et rigoureux des données, nous avons codé ligne par ligne toutes les unités de sens retrouvées dans chacune des entrevues. Cette première codification a donné naissance à une imposante liste de concepts substantifs, c’est-à-dire proches de la réalité des répondants (Glaser et Strauss, 1967) : symptômes, inquiétude, consultation, diagnostic, choc, contrôle de soi, prise en charge, rapprochement conjugal… Cet exercice d’étiquetage conceptuel peut varier d’un chercheur à l’autre, en fonction de sa formation spécifique. Mais il doit coller (fit) aux données. En ce sens, il n’est jamais arbitraire (Glaser et Strauss, 1967). Rappelons également que cet exercice d’étiquetage conceptuel est intimement lié au contexte et aux objectifs particuliers de la recherche (Strauss et Corbin, 2004). Une fois ce premier travail de conceptualisation enclenché, nous avons pu amorcer celui de la catégorisation, c’est-à-dire regrouper les concepts sous des termes explicatifs plus abstraits, appelés catégories. Toutefois, avant d’arriver à cette étape conceptuelle, nous avons dû dégager des catégories descriptives, par exemple : les signes précurseurs de la maladie, les réactions de la femme et du conjoint, les réponses des professionnels de la santé, les caractéristiques des traitements etc. Ce n’est qu’après cette première étape que nous avons pu dégager des catégories proprement analytiques, par exemple prendre soin de soi, de l’autre, stratégies d’attaque et de défense, etc. (Strauss et Corbin, 2004). Cet exercice d’organisation des données est capital lorsque commencent à s’accumuler les concepts. Une fois les catégories identifiées, il devient possible d’identifier les propriétés et dimensions de celles-ci. Précisons ici que les propriétés sont des caractéristiques générales ou spécifiques d’une catégorie et les dimensions représentent l’emplacement d’une propriété le long d’un continuum (Strauss et Corbin, 2004). Pour

illustrer chacune des étapes de la codification ouverte nous vous présentons deux exemples tirés de notre travail d’analyse.

Tableau III Codification

Concepts Catégories Propriétés Dimensions

Ballonnement abdominal Douleur abdominale Signes précurseurs de la maladie Symptômes inquiétants

incommodants Aucunement → beaucoup

Émotions Réactions du conjoint à

l’annonce du diagnostic Intensité du choc Faible → Forte

3.3.1.2 La codification axiale

La deuxième étape de l’analyse des données, la codification axiale, vise à établir des relations entre les catégories dégagées à l’étape précédente (Strauss et Corbin, 1990, 1998). À ce stade, le recours au modèle paradigmatique de l’action élaboré par Strauss et Corbin (1990) s’est avéré d’une grande utilité dans notre recherche, qui porte sur le processus d’adaptation de conjoints à la maladie de leur femme, depuis les premiers symptômes jusqu’aux traitements inclusivement. Les composantes de ce paradigme qui ont charpenté l’analyse sont : les causes, le contexte, les conditions, les actions et les interactions et leurs conséquences (Strauss et Corbin, 1990, 1998). De l’avis de Strauss et Corbin (1990), faire abstraction de ce modèle dans l’analyse du processus risque de mener à une analyse dépourvue de profondeur et de précision. À cette étape de la codification, nous avons eu recours à des diagrammes pour synthétiser visuellement les liens mis au jour (voir figure 1).

3.3.1.3 La codification sélective

Cette dernière étape du processus d’analyse des données conduit à l’intégration des catégories d’analyse ou d’un énoncé conceptuel auquel les catégories pourront se greffer (Strauss et Corbin, 1990, 1998). Évidemment, il n’est pas toujours possible, surtout dans un mémoire de maîtrise, d’arriver à une réduction aussi parfaite de l’analyse. Dans notre

46 cas, nous avons pu identifier une ligne narrative ou catégorie centrale sous le titre de « l’art de la guerre », inspiré par l’ouvrage de Clausewitz (2006), qui nous permet de regrouper les stratégies d’adaptation du conjoint à la maladie en termes de stratégies de protection de soi, de l’autre et du couple et en stratégies d’attaque de la maladie.