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CHAPITRE II : LE REGIME DE RESPONSABILITE DES MOUVEMENTS

Paragraphe 1 : la responsabilité civile au regard du Protocole de Bâle de 1999 et du droit

B- La responsabilité environnementale au regard du droit européen

2) Le principe pollueur-payeur, une solution dangereuse

Considéré certes comme un instrument économique contraignant, mais surtout comme l’obligation ultime de faire reposer tout sur le responsable de la pollution, le principe pollueur-payeur est un principe arbitraire. En effet, la responsabilité civile d’une personne étant retenue lorsque les trois éléments (la faute, le lien de causalité et le dommage) sont réunis, l'on constate que dans la précédente définition sur la responsabilité environnementale, le principe pollueur-payeur n’est appliqué sur la base d’aucune démonstration des éléments

252Ibid aux pp 31-32. 253Ibid à la p 31.

qui constituent la responsabilité civile. Cela peut s’avérer profitable pour le pollueur, dans la mesure où cet adage « je paie donc je pollue »254 prend son sens. Le pollueur paie donc à l’autorité compétente pour ce qui pollue, tant que la faute et le dommage sont présents. À ce sujet, notre point de vue abonde dans le même sens Me Elzéar de Sabran255, qui considère que

le principe pollueur-payeur constitue un véritable danger pour la garantie d’un environnement sain256 à tous.

En outre, le principe pollueur-payeur s’applique généralement par les accords à l’amiable. À ce niveau remettons en question ce type de règlements, car lorsqu’une situation illégale se présente, opposant des régimes juridiques différents, sur quelle base les parties impliquées mettent fin au litige?

Dans la présente affaire, premièrement dans le contrat conclu entre Trafigura (par le biais de Puma Energy CI) et la société ivoirienne Tommy, il y était mentionné que Tommy allait décharger les déchets à l’extérieur de la capitale (Abidjan) à un prix dérisoire. Or, Akouedo (où les déchets ont été déversés) est une décharge d’ordures ménagères à ciel ouvert située dans un quartier résidentiel à Abidjan, dont l’absence d’installation de traitement à déchets dangereux est remarquable. L’aspect monétaire était considéré à 30 $ US (24 euros)/m³ de « résidus Marpol » et 35 $ US (28 euros)/m³ de « résidus chimiques », contre le montant (1000 euros) demandé par la société APS aux Pays-Bas257. Est-ce par manque d’expertise que la société Tommy a affecté ce montant à des déchets toxiques, tout en le sachant? À la lumière de nos recherches, cette question demeure à ce jour sans réponse.

254 Adage sans fondement, mais évoqué par plusieurs auteurs tels que François Ost, Serge Gutwirth et Centre

d’étude du droit de l’environnement (Bruxelles), Quel avenir pour le droit de l’environnement ?, coll Travaux et recherches, Bruxelles, Facultés universitaires Saint-Louis, 1996 à la p 243.

255De Sabran-Pontevès, supra note 242 à la p 344.

256 En vertu du droit international relatif aux droits humains, les États ont l’obligation de protéger les gens de

toute exposition à des substances nocives. L’article 12 du Pacte international relatif aux droits économiques,

sociaux et culturels (PIDESC) garantit « le droit qu’à toute personne de jouir du meilleur état de santé physique

et mentale qu’elle soit capable d’atteindre.»

Deuxièmement, suite à la pollution de l’environnement en Côte d’Ivoire, un accord à l’amiable en ressort dans lequel en échange d’une indemnisation transférée, l’État ivoirien renonce : « définitivement à toute poursuite, réclamation, action ou instance présente ou à venir qu’il pourrait faire valoir à l’encontre des Parties Trafigura »258. Par conséquent, Trafigura est immunisé contre toute poursuite judiciaire. Le constat malheureux à faire est que l’aspect économique prime sur le juridique ou le judiciaire. Fort heureusement, le principe pollueur-payeur de l’OCDE s’ajuste au fil du temps aux phénomènes de juridicisation et judiciarisation259 venant transformer la fonction principale dudit principe. En effet, les dispositions de l’OCDE témoignent que le principe pollueur-payeur occupe essentiellement un rôle économique plutôt que juridique, en ce sens qu’il revient au responsable de la pollution de s’acquitter du montant fixé par l’autorité compétente, sans qu’une justice équitable ne soit assurée.

Par la juridicisation du principe, on remarque que le législateur notamment celui de l’Union européenne soumet le principe pollueur aux critères traditionnels des règles de responsabilité. Cela se perçoit dans le Livre blanc260 sur la responsabilité civile ainsi que dans la directive n° 2004/35/CE du 21 avril 2004 sur la responsabilité environnementale où l’établissement d’un lien de causalité entre le dommage et la faute doit être prouvé avant l’application du principe. Toutefois, en cas de pollution diffuse, l’intégration de la juridicisation dans le principe pollueur-payeur désavantage la victime. La pollution diffuse est une pollution non immédiate à multiples causes. On la constate au fil du temps engendrant des

258Ibid à la p 7.

259La juridicisation est l’extension du droit et des processus juridique. Tandis que la judiciarisation est la

tendance pour les justiciables à confier au système judiciaire la gestion de tous leur différends et règlements.

conséquences sur l’environnement. Il est difficile pour la victime d’obtenir réparation du préjudice, puisque ces deux instruments communautaires261 excluent ce type de pollution.

Quant au phénomène de judiciarisation, on remarque progressivement la place du juge judiciaire dans les litiges environnementaux. En effet, la directive 2004/35/CE impose aux États membres de nommer une autorité compétente chargée de mettre en application les mesures de prévention et de réparation utiles, mais de faire ressentir les coûts de celles-ci sur les responsables d’infrastructure ou de navire dont l’exploitation fait l’objet de préjudice écologique. Ainsi la jurisprudence en matière environnementale devient abondante face aux limites du principe pollueur payeur. In fine, lorsque les victimes n’obtiennent pas généralement réparation du préjudice écologique en accord à l’amiable, celles-ci saisissent le tribunal compétent à cet effet. Il est à noter que le Conseil de l’Europe par le biais de la Convention Lugano (article 18) accorde aux associations262 le droit d’avoir un recours à la justice soit pour dénoncer un dommage environnemental et de solliciter l’intervention du juge. Cette demande d’action nécessite une réponse motivée négative ou positive de la part du juge, sur la base d’information. À ce niveau, l’action de Greenpeace263 était légitime dans l’affaire Probo Koala, en ce sens qu’elle avait interpelé le juge néerlandais sur les faits passés en Côte d’Ivoire et par la suite demandait la poursuite de Trafigura par la justice néerlandaise. Mais celui-ci déclarait irrecevable cette action pour motifs que les victimes n’avaient pas pour domicile aux Pays-Bas et que les faits s’étaient produits à l’étranger.

261Directive du Parlement européen et du Conseil sur la responsabilité environnementale en ce qui concerne la

prévention et la réparation des dommages environnementaux, supra note 236, art 4 (5).

262Raymond Leost, « L’agrément des associations de protection de l’environnement » [1995] 2 Revue juridique

de l’environnement 265.

263Cinq ans (2011) après le déversement des déchets toxiques en Côte d’Ivoire, l’association écologiste

Greenpeace engage une procédure de recours auprès d’une cour néerlandaise afin que la société Trafigura soit poursuivie pour ses actes commis en Côte d’Ivoire.

Intéressons-nous au passage à cette raison d’irrecevabilité évoquée et observons que les propos de Geneviève Viney264 instruisent à cet effet. Sans conteste, les dommages

résultants d’un déversement de déchets toxiques peuvent être soit individuels (atteintes à la santé, au milieu de vie de la population dans la zone polluée) soit écologiques purs (pollution du sol, de l’eau, l’air, pertes animales). De ces deux sortes de dommages s’affectent respectivement deux actions associatives.

Par voie de conséquence, le recours collectif sera l’association des victimes ayant subi des dommages individuels. Cette action consiste à saisir le tribunal dans le but d’obtenir réparation des préjudices causés. L’association mandatée assure la défense collective des victimes. Ceci explique le recours collectif de la fondation UVDTAB (union des victimes des déchets toxiques à Abidjan et banlieues)265. En effet, étant basée à Amsterdam, la fondation a esté en justice pour l’obtention d’un dédommagement. Sa requête se résume en ces termes : « il est demandé au tribunal de bien vouloir juger que la société Trafigura Beheer BV est responsable civilement des dommages corporels, moraux et économiques qu’elle a causés aux demandeurs »266. Le juge néerlandais a déclaré recevable cette requête en affirmant que la Fondation avait la capacité de représenter les victimes du Probo Koala. L’affaire au civil débutera en septembre de cette année par une procédure régulière.

Pour ce qui est du dommage écologique pur, l’action associative qui s’exerce est le pouvoir de représentation de l’intérêt collectif, notamment celui du rôle que joue le ministère de l’environnement dans un État. Concrètement, pour ce type de dommage, une association

264Geneviève Viney et Bernard Dubuisson, Les responsabilités environnementales dans l’espace européen: point

de vue franco-belge, coll Bibliothèque de la Faculté de droit de l’Université catholique de Louvain, n°45, Paris,

LGDJ, 2006 à la p 223.

265 Neuf ans après cet évènement, près de 110.937 victimes du Probo Koala ont mandaté la fondation UVDTAB

pour faire entendre leur cause auprès du juge. Il est important de rappeler que les victimes ont au préalable tentées de passer un accord à l’aimable. Mais Trafigura, selon certaine source, n’a pas respectée l’accord. Voir Stéphanie Senet, « Probo Koala: 110.000 victimes assignent Trafigura », Journal de l’environnement (23 février 2015).

comme Greenpeace, ne peut que demander réparation des préjudices personnels (atteinte au patrimoine) qu’elle a subis sans toutefois faire prévaloir les intérêts collectifs, excepté lorsqu’une disposition légale la prévoit267.

La juridicisation et la judiciarisation du principe pollueur-payeur ont permis d’avoir recours à des solutions en matière environnementale autres que celle que propose le principe dans sa formule arbitraire. Que ce soit la responsabilité civile ou environnementale qui est engagée, on remarque que bon nombre d’affaires (Probo koala) tiennent au pénal. Ainsi, un jugement rendu peut condamner pénalement une société.