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L'idée que les cadres en poste ont parfois besoin de parfaire leur formation est à présent relativement bien admise. Le perfectionnement s'avère en effet nécessaire parce que les études qu'ils ont effectuées ne leur permettent pas toujours de faire face aux nouvelles "avancées" technologiques ou encore, parce que le patronat (du moins une partie des patrons parmi les plus progressistes) a pris conscience que les questions d'encadrement et des relations sociales dans l'entreprise pouvaient représenter un enjeu majeur pour l'industrie française. A la suite de G. FRIEDMANN1 qui fait connaître en France les travaux d'E. MAYO, les missions de productivité aux Etats-Unis du début des années 502

ne sont bien évidemment pas étrangères à cette prise de conscience. Ainsi, le rapport de la mission NORDLING de 1951, dont fait partie entre autres Raymond VATIER, "Cadres

et Maîtrise, leur formation en tant que chef" précise bien et sans détour, le réel objectif

de l'introduction des "relations humaines" dans la formation des cadres :

"Certains lecteurs européens verront dans cette «éducation» du chef un souci de pur humanisme. A tort ou à raison, il n'en est rien. Ces programmes sont avant tout utilitaires ; ils coûtent très cher et on peut être sûr que s'ils existent en permanence aux Etats-Unis, c'est qu'ils ont une rentabilité certaine et souvent calculée."3

Il n'est pas douteux que la prise en compte du "facteur humain", qui, paradoxalement, pouvait - devait même - accompagner les préoccupations purement capitalistes de développement du profit, séduit nombre d'industriels dynamiques parmi les plus jeunes et les plus ouverts aux pensées humanistes ou chrétiennes sociales4. La période est en effet favorable au développement d'un certain altruisme, en réaction à la barbarie que la

1G. FRIEDMANN, Problèmes humains du machinisme industriel (1946)

2Financées par les Etats-Unis, ce sont 450 missions qui seront organisées, envoyant outre-Atlantique quelques 4000 personnes, dirigeants, cadres, hauts fonctionnaires, mais aussi des syndicalistes et des intellectuelles. (R. LICK, 1996)

3Enquête en vue de l'accroissement de la productivité : Cadres et Maîtrise. Leur formation en

tant que chef aux Etats Unis. Rapport de mission de 12 experts français à Monsieur le Ministre

des affaires européennes, président du Comité National de la Productivité, 1952. Rapport d'une Mission française de productivité aux Etats-Unis en 1951, 153 p. + 123 p. annexes, p. 19

4R. LICK parle du "Réseau des modernes" qui, dans les années 50, a développé la dimension humaniste dans la formation. Ce réseau informel et qui dépasse celui de la formation d'adultes est constitué pour la plupart d'anciens résistants et d'héritiers de la pensée sociale de l'Eglise. Dans ce grand cercle, il place tous les amis de Jean MONET, mais aussi Pierre MENDES-FRANCE, Pierre DREYFUS, Alfred SAUVY, François BLOCH-LAINE, Pierre URI, Simon NORA ou les membres de la famille SERVAN-SCHREIBER in R. LICK, 1996, Mémoire de la formation, le CESI, Les éditions du CESI, 1996.

fin de la guerre avait dévoilée. Le Centre des Jeunes Patrons notamment est tout à fait acquis à ces nouvelles méthodes venues d'outre-Atlantique.

C'est également que le cadre, le "chef" prend une nouvelle dimension dans l'organisation de l'entreprise, qui devient "l'homme-clef" de l'entreprise.

Est chef :

"tous ceux ... qu'on considère comme faisant partie du «management», c'est-à-dire tous ceux qui, quel que soit leur échelon hiérarchique, ont une fonction de commandement au sens donné à ce mot par les cinq infinitifs de FAYOL : «Prévoir, organiser, coordonner, commander, contrôler»"5.

C'est donc bien la fonction, et non plus le titre, qui sert à caractériser le "chef". Cela implique que le nombre de chefs s'en trouve multiplié et que se retrouvent, de fait, "chefs" des travailleurs que leur formation ne prédisposait pas nécessairement à ce rôle. La légitimité du perfectionnement, la thèse de l'effort nécessaire de formation, s'en trouvent renforcés.

De l'enquête de la mission NORDLING, il ressort que le chef doit avoir des connaissances très diversifiées : des notions en économie, en organisation administrative, industrielle et commerciale, en droit, en comptabilité et en gestion, en psychologie. Ils doivent également maîtriser l'art de s'exprimer oralement et par écrit.

Par la formation, les entreprises américaines constatent des résultats tangibles, dont les plus "classiques" sont : un accroissement de la production, une amélioration des méthodes, une diminution du gaspillage et des rebuts, une réduction des accidents de travail, une amélioration des relations humaines et du climat social, une stabilité du personnel, un abaissement des prix et une élévation du niveau de vie.6. Cette liste, non exhaustive, fait apparaître la formation des cadres comme miraculeuse. Un certain nombre d'entreprises ont déjà développé des adaptations françaises des méthodes T.W.I. sous les noms de F.P.C. (Formation Pratique des Chefs), E.M.C. (Entraînement au Métier de Chef), P.P.C. (Perfectionnement Pratique des Chefs, E.P.C. (Entraînement Pratique des Chefs), etc.

Une enquête menée en 19557 auprès d'une vingtaine d'organisations développant la formation des cadres fait apparaître une floraison de nouveaux programmes : généraux, spécialisés, standards ou "sur mesure". P.-H. GISCARD note un glissement des termes : le "chef", devient le plus souvent "cadre", et le "perfectionnement", "formation". Le TWI est

5Ibid., p. 17

6Ibid., p. 21

7P.H. GISCARD, 1957, "Formation et perfectionnement du personnel d'encadrement", Le travail

encore très présent, dans ses trois principaux programmes : l'Art d'instruire, l'Art de commander, l'Art d'améliorer les méthodes de travail, alors que se développent d'autres formules : S.D.T. (Simplification du travail) inspirée par l'ingénieur américain Morgensen, conduite de réunions, M.T.M. (Techniques de mesure du travail), et de nombreux programmes de formation psychologique : développement de "l'efficience personnelle", du "sens psychologique", etc. Ainsi, P.-H. GISCARD constate que l'on "recherche

l'amélioration de l'entreprise à travers l'amélioration de ses membres" et plus

particulièrement de ceux qui y exercent une certaine responsabilité. Cette fonction de perfectionnement de la personnalité ou encore d'élévation de la personne par la formation est confirmée par Guy HASSON qui écrit en 19558 :

"La formation est (...) la fonction par laquelle l'entreprise essaie, en dehors de tout

paternalisme, c'est-à-dire en respectant son intégrité, de conduire l'homme vers sa destinée."

Certaines institutions nées avant-guerre vont se développer alors et se lancer dans la formation, comme la CEGOS, le CNOF (Comité national d'organisation française), le CPA (Centre de préparation aux affaires), etc., et de très nombreux centres nouveaux vont se créer. On dénombre environ 150 organismes spécialisés dans le perfectionnement des cadres à la fin des années 50. Parmi ces derniers, le CESI (qui s'appelle alors CIF, Centre Interentreprises de formation), créé en 1958 à l'initiative de Jean MYON et de Raymond VATIER, se propose de remédier à la pénurie d'ingénieurs en transformant des techniciens en ingénieurs de production, en marge des grandes écoles et de l'Education Nationale.

"Là, gravitent à côté des chefs de personnels modernistes des grandes entreprises,

des fonctionnaires, des syndicalistes, des ingénieurs, réunis au-delà des clivages traditionnels"9.

Notons également la création de l'ARIP (Association pour la recherche et l'intervention psychosociologique), en 1959, qui diffuse en France les théories du Leadership et la formation psychosociologique (T-Groups ou groupes de bases, etc.). Ces deux institutions et leurs représentants seront liés à des degrés divers au complexe de Nancy10.

En milieu industriel, quelques entreprises font également figure de pionnières en matière de formation. On peut citer la SNCF, EDF, la Régie Renault, les Charbonnages de France, la Télématique, Merlin-Gérin, Berliet, la SNECMA... Toutes sont, en cette fin de

8Guy HASSON, 1955, La formation dans l'entreprise et ses problèmes, cité par R. LICK

9Richard LICK, Opus cit.

10 R. VATIER, après avoir visité l’Ecole des Mines et le CUCES de Nancy juste avant l’ouverture du CIF intervient pour présenter le Centre à l’AG du CUCES du 12 décembre 1958. B. SCHWARTZ fait partie de son « Conseil de perfectionnement ». Quand à l’ARIP, son président fondateur, G. PALMADE sera employé à l’INFA de 1964 à 1973.

décennie, en train de "sortir" du TWI. Ainsi, dès 1953, Guy HASSON introduit l'Entraînement Mental de Joffre DUMAZEDIER aux Charbonnages de France. Des séminaires d'initiation à la dynamique des groupes font également leurs premières apparitions en milieu industriel à cette époque. Les méthodes de formation commencent donc à se diversifier et à s'ouvrir à des théories moins "mécanistes" ou béhavioristes. Les premières failles apparaissent ici ou là dans la suprématie des "programmes" qui laissent entrevoir une complexification des approches en matière d'éducation des adultes et de perfectionnement des cadres.