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1 - ARRIVEE DE B. SCHWARTZ A LA DIRECTION DU CUCES

21. La promotion du travail et l'Education Permanente

Le cycle court de la promotion du travail, celui qui donne le moins de satisfactions malgré diverses améliorations apportées au fil du temps, mais qui correspond à un réel intérêt des entreprises, doit être entièrement repensé. Aucune proposition concrète n'est avancée ici, car la question mérite, selon B. SCHWARTZ, une étude préalable approfondie sur le plan national afin de s'inspirer des réalisations existantes et sur le plan local afin de mieux déterminer les besoins.

Pour ce qui concerne le cycle long, deux objectifs sont reformulés, l'un concernant individuellement les hommes, l'autre ayant une portée plus économique. La promotion supérieure du travail doit :

« - permettre à tous les hommes qui n'ont pas eu la chance et la possibilité de pousser leurs études lorsqu'ils étaient jeunes, de les reprendre, pour accéder à tous les grades et fonctions allant jusqu'aux échelons les plus élevés de la hiérarchie : en un mot, leur permettre un changement de classe sociale

- subvenir aux besoins en ingénieurs et techniciens insuffisamment approvisionnés par les moyens classiques actuels, à l'aide d'hommes alliant une pratique considérable à une culture minimum acquise pendant quelques années d'études effectuées dans les centres de PST. »

A travers ces lignes, la position de B. SCHWARTZ apparaît finalement très proche de la philosophie qui a présidé à la loi de 1959. Il s'attache ensuite à démontrer qu'en l'état actuel, ces objectifs ne peuvent être atteints.

Son premier argument est que la sévérité du diplôme (DEST), « oblige les hommes à

suivre un régime très dur, pour ne pas dire inhumain », peu seront élus. La promotion

supérieure du travail ne s'adresse donc pas à tous les hommes, mais à ceux qui ont déjà un certain bagage. Il faudrait selon lui envisager d'autres débouchés, soit vers d'autres diplômes à créer, soit en créant des passerelles avec des diplômes déjà existants.

En second lieu, B. SCHWARTZ note que les enseignements sont faits de manière classique : programmes, cours et examens sont la base du système. Or ceci ne tient absolument pas compte des spécificités du public adulte auquel cet enseignement est sensé s'adresser. Une page entière est consacrée à la description de ce public et de ses besoins en matière d'éducation.

Ainsi les « hommes à former » sont adultes, ce qui veut dire qu’ils sont « riches

d’expériences personnelles mais disposent de peu de temps », ils connaissent bien leur

spécialité professionnelle mais ignorent les autres, leur expérience professionnelle s’accompagne fréquemment « d’idées et de réflexes irrationnels profondément

enracinés », ils estiment souvent qu’il n’y a aucune relation entre le concept de culture et

la réalité de la vie professionnelle. Contrairement aux étudiants, ils savent que les décisions sont affaire de compromis, mais ils en laissent volontiers la responsabilité à leur supérieur hiérarchique. « La vie paraît [donc] avoir diminué leurs possibilités d’autonomie ». Enfin, ceux qui font des efforts « méritoires », « héroïques » parfois pour

se former ont rarement une notion claire de leurs faiblesses et de leurs limites. « La

pression de la vie professionnelle est telle qu’ils préfèrent rester incapables de certaines performances par crainte de montrer cette incapacité à d’autres ».

Des caractéristiques du public adulte, il découle pour B. SCHWARTZ, qui s'appuie là sur sa propre expérience à l'Ecole des Mines, que le cours classique est à proscrire, que « la

seule méthode semble être celle qui utilise la participation de tous, la discussion par petits groupes ou “séminaires” ». De même, l'examen final doit être remplacé par un contrôle

régulier et permanent.

« Seul ce mode de formation permet non seulement d'apprendre, mais de faire

comprendre, non seulement d'informer, mais de former, de donner aux élèves ce minimum d'autonomie intellectuelle qui, comme on l'a vu, leur manque le plus souvent. » (p. 12)

Ces transformations des enseignements supposent une autre organisation, et en particulier, le recrutement de nombreux répétiteurs qui viendront, comme à l'Ecole des Mines, seconder les professeurs dans leur tâche d'enseignement. Où les trouver ? Eh bien parmi les élèves de l'Université et des écoles d'ingénieurs.

« Aussi bien que les ingénieurs doivent participer à l'enseignement dans les Ecoles

d'ingénieurs, dit B. SCHWARTZ qui défend ici un point de vue qui lui est cher, les futurs ingénieurs doivent participer à l'enseignement des techniciens dans les usines. Juste retour des choses, contact supplémentaire entre université et industrie, c'est le début de la mobilisation générale pour l'instruction... » (p. 13).

Cette mobilisation générale est développée dans le point 3 de ce grand paragraphe consacré à la promotion du travail, intitulé « Education permanente ».

Le texte en est partiellement repris dans l'article « L'Education Permanente » paru dans la revue Esprit de mai - juin 1964. On peut donc supposer que B. SCHWARTZ expose pour la première fois à travers ces lignes, une position sur un sujet qui lui tient à cœur. On y retrouve des thèmes qui seront développés de manière récurrente dans les nombreux articles qu’il écrira dans les années à venir sur l'Education permanente et même des idées qu'il défend encore aujourd'hui lorsqu'il plaide pour la formation des personnes qui ont un faible niveau de qualification.

Ainsi :

- « La vraie promotion (...) ne doit pas tant permettre à quelques-uns d'être cadres

supérieurs que pousser beaucoup d'hommes à s'élever » (même moins haut)

- « Pour que cette promotion puisse toucher tous les hommes de bonne volonté, il

faut que le niveau de départ soit quelconque, il faut que l'enseignement n'impose que des qualités humaines moyennes : cela signifie en particulier que l'instruction se fera soit sur les lieux de travail, soit en tous cas dans la cité même où les hommes travaillent, que cette instruction ne prenne que quelques heures par mois, mais pour ceux qui le désirent, qu'elle ne s'arrête jamais. »

- « La formation technique ne sera possible que si le degré de culture générale des

hommes est lui-même élevé (...) seule une éducation permanente peut résoudre ces problèmes. »

On voit ici que l'acception que donne B. SCHWARTZ au concept d’Education Permanente est bien différente de celle qui est développée dans les milieux de l’Education Populaire puisqu’elle s'applique, selon lui au milieu socio-professionnel. Cela apparaît de manière évidente dans ce texte de mars 1960 dans lequel le développement sur l'Education Permanente ne constitue qu’une partie d’un paragraphe consacré à la Promotion du travail. A titre de comparaison, la notion d’éducation permanente développée par les mouvements d’éducation populaire se veut beaucoup plus globale. Elle vise à développer une « culture démocratique de masse » et a vocation à s’inscrire dans toutes les composantes de la vie d’un individu, le milieu de travail, certes, mais également la vie sociale, associative et familiale et essentiellement pendant le temps de « loisir-actif » (J. DUMAZEDIER)13.

Pour arriver à une réelle promotion de masse, étant donné le nombre d'individus à toucher et étant donné leur diversité, trois principes sont mis en avant par B. SCHWARTZ :

a : L'enseignement doit se faire par "progression géométrique" et non plus "arithmétique", c'est à dire 1 qui forme 10, qui forment 100. C'est une méthode empruntée aux américains promoteurs du TWI. C'est une idée simple, logique, très cartésienne, une idée qui peut séduire un esprit "matheux" comme celui d'un ingénieur. C'est cette même idée, complétée par la suivante, qui sera à l'origine des fameux IF (Ingénieurs-formateurs) à l'usine Peugeot de Sochaux ou aux ciments Lafarge.

b : Les instructeurs ne pourront être choisis que dans l'industrie, c'est-à-dire qu'ils appartiendront au même milieu que les hommes qu'ils auront à former. Pour cela, ils devront bénéficier d'une "véritable formation pédagogique, en même temps qu'une

formation d'animateur de groupe".

c : Le personnel doit être intéressé au système de formation, cela veut dire que l'instruction se fera soit sur le temps de travail, soit en dehors des heures de travail, mais alors le personnel sera partiellement rémunéré.

Pour arriver à ces fins, le CUCES doit revoir son organisation et tout en conservant ses fonctions actuelles, doit prendre en charge "la création d'un véritable institut de

pédagogie" (p. 16).

C'est donc un plan très ambitieux que présente B. SCHWARTZ au Conseil d'Administration du CUCES.