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L’analyse du discours narrative et discursif dans les deux romans

I- 2-Le narrateur multiple dans l’œuvre de Sansal:

Le je employé par le narrateur/personnage cache une pluralité de sujets. Le discours du narrateur est celui du personnage principal Lamia. Elle prend en charge le discours narratif du récit. C’est elle qui raconte l’histoire. Seule la première page est délogée par rapport au reste puisqu’elle est dite par la voix de l’auteur/narrateur c'est- à-dire Sansal. A ce niveau, l’auteur parle en son nom, c’est ce que Gérard Genette nomme en reprenant l’appellation de Platon « le récit pur »106quand il oppose deux

modes narratifs, l’un rapporte les faits de l’histoire en ayant pour narrateur l’auteur lui- même sans que celui-ci cherche à dissimuler son identité ou à nous faire croire que c’est un autre personnage que lui qui parle, et l’autre au contraire, s’efforce de nous donner l’illusion que c’est un personnage qui parle et qu’il n’a rien à voir avec ce qu’il dit. C’est ce qu’il appelle « imitation ou mimésie » par opposition au « récit pur » ou à la « diégésis ». A ce sujet, il développe une définition pour expliquer les deux modes narratifs qui existent dans le récit.

« …marquer l’opposition du mimétique et du diégétique

par une formule telle que : information +informateur=c, qui implique la quantité d’information et la présence de l’informateur sont en raison inverse, la mimésis se

définissant par maximum d’information et un minimum d’informateur, la diégésis par le rapport inverse. »

Harraga constitue à lui seul les deux modes narratifs puisque l’auteur parle en son

nom puis dédit la parole à l’un de ses personnage en infirmant que c’est lui qui raconte son histoire:

« Le mieux est de l’écouter dire elle-même son histoire, ce qu’elle fait en quatre actes, correspondant aux quatre saisons, et bien sûr un épilogue qui entrebâille une fenêtre de l’avenir. » 107

Sauf que même ici, le lecteur le plus innocent arrive à détecter la présence constante du narrateur. Quand il cède la place à son conteur, nous entrons dans la narration rétrospective à la première personne, un prétendu accès au roman autobiographique du personnage. Or A.A. Mendilow explique dans un extrait tiré de Time and the Novel

et repris par Genette dans Figure III:

« Contrairement à ce que l’on pourrait attendre, le roman à la première personne parvient rarement à donner l’illusion de la présence et de l’immédiateté. Loin de facilité l’identification du lecteur au héros, il tend à sembler éloigné dans le temps. L’essence d’un tel roman est d’être rétrospectif, d’établir une distance temporelle reconnue entre le temps de l’histoire (celui des événements qui ont eu lieu) et le temps réel du narrateur, le moment où il raconte ces événements, Il ya une différence capital entre un récit tourné vers l’avant à partir du passé, comme dans un roman à la troisième personne, et un récit tourné vers l’arrière à partir du présent comme dans le roman à la première personne. »

108

107Boualem SANSAL, Harraga, Op. cid. p. 1 108 Gérard GENETTE, Figure III, Op.cid. p.189

C’est à ce stade que tout s’éclaircit, quand nous admettons que le je de Lamia inclus les autres pronoms il, on ou nous. La position du narrateur principal empile en elle- même une multitude d’autres personnages y compris l’auteur lui-même. Peut-être somme nous en mesure de dire que ces pronoms dissimulent en réalité une catégorie opposante vivante à l’intérieur d’une communauté hétérogène agglomérée et que le narrateur en fait parti:

« On perd tant de choses au cours d’une vie. On se retrouve seul, avec sa mémoire en lambeaux, des habits oubliés dans la naphtaline, des objets chers qui ne disent rien, des mots sortis de l’usage, des dates accrochées bêtement à la patère du temps, des fantômes qui se mélangent les ombres, des repères troubles, des histoires lointaines. On remplace comme on peut, s’entoure d’un nouveau bric-à-brac mais le cœur n’y est pas et le peu de vie qui nous reste s’en ressent. » 109

Pour dire les termes impardonnables, les rêves inaccessibles et les limites infranchissables, l’auteur prête sa voix à Lamia. Celle-ci est plus libre dans sa fiction qu’il l’est dans la réalité. Elle porte son témoignage sur un espace de plus en plus rétracté par les siens mais qui cependant ne peut être converti par un autre.

La pédiatre vit toute seule. Elle ne se déplace que rarement. Elle ne ressent aucune envie de faire de nouvelles rencontres. Lamia trouve cette démarche inutile et préfère sa solitude. Elle prend la plus grande part de l’histoire et apparaît, dans le champ de vision du lecteur, souvent seule et solitaire.

Lamia subit les actions et s’immobilise passivement au même endroit car elle ne veut réaliser aucun exploit. Elle observe la vie qui se déroule devant ses yeux sans qu’elle ait envie d’y participer ou d’y croire vraiment. C’est un acteur singulier dont latitude témoigne de sa lassitude.

Ceci dit, c’est un être qui rassemble au même moment, les trois fonctions qu’évoquent le théoricien Y. Reuter dans son livre L’analyse du récit. Il est acteur, focalisateur et narrateur.

« La perspective passe par lui et on a l’impression de

percevoir l’univers fictionnel et les autres personnages par ses yeux. Enfin il peut encore constamment ou non être narrateur : c’est par sa « bouche » que l’on connaît l’histoire, c’est lui qui raconte dans le texte. » 110

Dans ce vide qui l’entour elle s’approprie constamment la vedette. Elle raconte sa vie, dévoile se qu’elle ressent et décrit se qu’elle voit. Cet espace, elle en est la propriétaire. C’est grâce à elle que nous pénétrons dans l’univers fictif du roman. Au bout du compte, c’est elle l’héroïne de l’histoire sans répondre vraiment au sens poétique du terme.

I-3- L’antihéros :

Dans la mesure où Lamia mène une vie ratée, refuse le contact avec les autres et trouve son salut dans le refoulement, nous ne pouvons, au bout du compte, qualifier ce personnage que d’antihéros. Il nous présente le symbole d’un personnage déceptif et insociable, ses qualités d’humain et ses mérites de femme instruite ne lui servent en rien pour s’ouvrir aux autres. Elle présente un caractère instable et se qualifie elle- même de déraisonnable. Elle est victime de troubles obsessionnel qui génèrent des angoissent et des phobies. Antisociale, Lamia oublie les vivants et rejoint les morts.

Avant l’apparition des fantômes dans le cadre de l’histoire, le percepteur l’appréhende comme un être tout à fait ordinaire qui mène une vie atrocement banale, un

personnage sans quête. Lamia est négative, même si elle arrive parfois à attirer la sympathie du lecteur.

Perdu dans ses pensées, vielle, seule ; même quand le destin lui envoie Chérifa, la jeune fille débordante de vie pour colorer son espace ténébreux, Lamia échoue à l’amadouer et à la garder près d’elle. Chérifa s’enfuit une première fois, puis une deuxième et encore une troisième jusqu’à ce quelle disparait complètement comme Sofiane. Ses recherches n’aboutissent à rien. Lamia n’arrive plus à garder quelqu’un près d’elle trop longtemps, à aimer les autres ou à se faire aimé. Elle reçoit enfin un appelle d’une femme qui lui annonce que Chérifa est morte. Lamia n’accomplit pas sa quête. Elle ne réalise aucun exploit, certainement pour exprimer l’absence de la figure héroïque dans le récit.

Héroïne malgré elle, un peu comme dans l’étranger d’Albert camus. Lamia souffre de solitude or elle l’a choisi et l’a préfère à la rencontre des hommes. Elle se sent piégée dans sa maison alors que c’est celle-ci qui l’emprisonne.

« Je me demande dans quel temps je vis. Tout s’est effondré si vite. Y eut-il un avant, ai-je vécu, ai-je jamais rien eu hormis des parents chéris, morts avant l’heure, et un jeune frère ,un vrai débile, qui a disparu de lui- même ou qui est en voie de l’être ?» 111

C‘est que vers la fin de l’histoire seulement que Lamia retrouve sens à la vie en serrant l’enfant de Chérifa dans ses bras. Le récit prend une autre tournure. L’espoir est là à la dernière page quand cette femme renait avec l’amour et découvre en elle la vocation maternelle. Lamia rêve déjà d’un monde purifié et nouveau et demande à Dieu de rappeler ses fantômes puis appelle son enfant Louiza.

« Louiza, mon enfant Quand le soleil se lèvera

Sur ton premier sourire Nous prendrons la route. Nous serons des harragas.

Louiza, mon amour

Nous larguerons le malheur Et nous laverons nos souvenirs Dans le premier ruisseau Ainsi font les harragas