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2-2 l’effet du fantastique dans l’espace dit « réel »

ÉTUDE DE LA FONCTION DE L’ESPACE DANS LES DEUX ROMANS

I- 2-2 l’effet du fantastique dans l’espace dit « réel »

L’importance fonctionnelle donnée au lieu est relative à chaque forme d’écriture et à chaque auteur. L’espace de Harraga participe de façon plus au moins importante dans l’encrage réaliste de l’histoire racontée. Cet encrage a pour rôle de produire l’impression que ces lieux existent vraiment dans la réalité.

Ceci dit, n’oublions jamais qu’un texte, même dans ses représentations les plus conformes à la réalité reste toujours fictif. Les paysages, les noms, les personnages, l’intrigue, le discours… résultent tous d’un travail personnel et propre à l’auteur qui lui permet de matérialiser son histoire. Mais le sentiment d’avoir en final un récit

28 Ibid., p. 103 29 Ibid., p.103

imaginaire, allégorique et poétique se réveille d’un seul coup chez le lecteur sitôt que le premier esprit d’un des anciens habitants fait son apparition, dès lors les vivants se mêlent aux morts et les formes que prennent les murs de l’habitation de Lamia n’ont rien de rassurant.

Nous voyons à travers les yeux du personnage principal une maison qui bougent et des fantômes qui hantent les lieux. Un récit fabuleux et mis en exergue en parallèle avec le récit aux référents « réels ». L’ordinaire côtoie le mythe. Le lecteur est brouillé par l’apparition des personnages énigmatiques, des êtres qui ne devraient plus exister, des esprits qui errent librement dans la vieille demeure. D’autre facteur inquiétant : la maison a le contrôle de l’être qui l’habite, elle est vivante, elle a des sourcilles qui se froncent pour montrer sa colère et des murs qui se tordent pour empêcher celle qui occupe les lieux de s’enfuir. Part ailleurs, une silhouette d’homme surveille Lamia de la demeure d’en face, une ombre dont personne ne sait grand-chose, Lamia est seule à pouvoir la voir l’espace d’un instant de solitude quand elle s’égare dans ses souvenirs et se perd dans ses rêves.

Tous les anciens habitants de cette vieille demeure se sont métamorphosés en fantômes. Le Turc Moustapha, le français le Colonel Louis-Joseph, le Juif Daoud Ben Chekroun, le Transylvanien Carpatus, le médecin français docteur Montaldo et enfin, les parents de Lamia ainsi que son frère Yacine. L’énigme s’installe rapidement et le lecteur commence à se poser des questions sur l’Histoire de cet endroit étrange.

« Le mystère est omniprésent, à chaque tournant on bute sur un fantôme en djellaba, un djinn barbichu occupé à polir sa lampe, une vamp grassouillette enchaînée à une vieille mal fichue, un poussah ruminant complot contre le pacha.» 30

La nuit, et même en plein jour, Lamia les aperçoit manifester leur joie ou leur colère dans la maison. Elle arrive même à discuter avec eux, demander leurs conseils et les

inviter à partager avec elle une tasse de thé. Il faut savoir qu’ils étaient là à partager avec elle sa solitude bien avant l’arrivée de sa colocataire Chérifa, mais semblent ne pas vouloir la déranger puisqu’il n’y a que Lamia qui les voit. Un certain Barbe bleu fait parti de ce paysage hallucinant. Ecoutons ce qu’elle nous dit sur ce personnage insolite :

« Barbe-bleue a sa part dans mes rêveries et mes paniques. Je ne sais pas s’il existe vraiment. C’est une ombre qui se dessine à contre-jour derrière les persiennes de la maison d’en face […] Barbe bleus fait partie de ma vie […] Je partage ma solitude avec lui et peut- être partage-t-il la sienne avec moi.»31

L’auteur s’arrange pour mêler le référant réel au référant fictif, l’ordinaire à l’extraordinaire sans pour autant susciter le sentiment d’étrange ou de malaise chez le lecteur puisque celui-ci s’identifie tout naturellement au personnage Lamia qui n’éprouve aucune excentricité de vivre avec ses fantômes et ne ressent aucune crainte à l’idée de les côtoyer au quotidien. Ses ombres ou ses esprits sont inoffensifs et peuplent le silence et le vide des lieux mais ils sont présent aussi pour témoigner de l’état émotionnel fragile de ce personnage. Lamia leur parle et nous parle d’eux, nous somme ainsi contraints de croire en ce qu’elle voit et de penser qu’elle ne peut exister sans leur présence.

« Qu’attendre des morts ? De vagues conseils, des considérations, des remakes de rêves brisés, des coups foireux, des médications dépassées. Des esprits pareils, je les révoque. J’aime bien mes fantômes, mais quand tout va. Là, ils me fatiguent. »32

N’est-ce pas un signe de déséquilibre que de discuter avec des fantômes ? Le personnage principal délire, il est instable, ou peut-être c’est le texte qui veut que l’inconscient ou les émois du personnage rejoignent une certaine réalité qui ne peut être imprimée sans susciter des conséquences fastidieuses lors de l’apparition de l’œuvre ou qui ne peut-être aussi révélatrice si elle était explicitement dévoilée.

31 Ibid., p. 37 32 Ibid., p. 183

Les morts ne peuvent finalement plus nuire, ils sont inoffensifs contrairement au vivants. Lamia évoque également ces esprits pour tremper sa solitude.

« J’étais seule, perdue dans la jungle, avec l’obscurité pour seul guide. Le but était que mes émois et la réalité allassent un peu de pair, alors il m’arrivait d’en rajouter. » 33.

Lamia voit les morts qui peuplaient autrefois ce lieu. Mais pourquoi alors personne d’autre qu’elle ne semble-t-il les voir ou vouloir les rappeler ? Sans doute pour la simple raison qu’elle est la seule personne à avoir atteindre un certain degré de maturité d’esprit. Les autres sont comme hypnotisés par le flot des événements de la vie. Ils sont aveugles pour voir ce qui est évident pour elle. Pourquoi alors ont-ils l’air d’errer dans cette demeure ancestrale sans gouter au repos éternel ?

Nous pensons qu’ils sont présents parce qu’ils étaient là à l’origine. Sans eux, ce lieu n’existerait pas ou prendrait un tout autre aspect que celui qui nous y présenté dans le texte. Ils auraient bâti cet endroit et modifié son apparence avec le temps. Ces êtres venus du passé ont parfaitement le droit d’occuper les lieux à présent au même titre que Lamia. Ils font parti de l’Histoire de cette maison et semble inconsciemment vouloir la raconter :

Le texte construit, par moments, un univers complètement ahurissant ; en plus des fantômes qui circulent partout, on y trouve des murs qui bougent, des escaliers qui serpentent à leur guise, des ombres collées à la fenêtre des maisons voisines qui surveillent…en sommes , le personnage vit le foyer familial qui lui ont délégué ses parents dans sa réalité et dans son illusion. C’est ce qu’explique Gaston Bachelard, toujours dans son étude sur la poétique de l’espace :

« Nous verrons l’imagination construire des « murs » avec des ombres impalpables, se réconforter avec des illusions de protection ou, inversement trembler derrière des murs épais, douter des plus solides remparts »34 33 Ibid., p.31

L’auteur éternise l’image de l’être angoissé et anxieux avec la description d’un espace hors-norme, de paysages baroques et de personnages fantomatiques. C’est à partir de ces paysages symboliques qui renvoient par analogie à l’état d’âme du personnage, savoir se qu’il ressent et voir son paysage intérieur, que le lecteur aperçoit mieux les sentiments qui jaillissent à travers la lecture du texte de Sansal. Sa description est au service d’un sens exhibé ou dissimulé derrière les connotations symboliques.

Cet espace détermine l’orientation thématique de Harraga, un récit psychologique qui se déroule dans un lieu de tourments. La maison constitue l’espace d’une méditation intérieure par rapport à laquelle s’effectue l’identité recherchée à travers le temps. Le discours du narrateur s’inscrit tantôt dans le « réel », tantôt dans l’imaginaire et le fantastique pour amener le lecteur à s’interroger, encore plus profondément sur l’existence allégorique de cet espace et ses origines.