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1-5-La hiérarchisation des personnages dans Harraga

I- 8-L’impacte de l’espace clos sur le temps

« Quel temps fait dehors ? » L’espace figé et enfermé a un impact important sur le temps. Lamia est comme hypnotisé par l’immobilisation de l’espace. Elle est sur place à regarder défiler devant ses yeux l’histoire de sa maison. « Le temps s’est enfui et je me suis retrouvée seule. » 154 Une maison qui était là bien avant sa naissance mais

longtemps la petite observe les ravages du temps, les choses ont finit par changé à l’âge adulte. Lamia n’a plus qu’à dénombrer les dégâts : « La maison est grande, nous étions petits, peu aguerris, beaucoup de choses nous ont échappé ». 155 Cet être ne trouve

151 Ibid. p. 75 152 Ibid. p. 162 153 Ibid., p. 210 154 Ibid., p.42 155 Ibid., p.27

aucune raison la persuadant d’aimer la vie qu’elle mène puisque « la vie est absente » et que c’est « inutile de s’agiter. »156

Pourtant le temps finit par bouger le temps d’une tornade, d’un changement inattendu : la venue d’une autre étrangère dans ce lieu peuplé déjà par de lointains visiteurs. Le rythme est troublé, ce désordre éveille par moment ses sens et l’inquiète.

« Je savais tout des longues nuits de silence et au jeu sans fin de

l’introspection, et voilà que soudain je ne reconnaissais plus mes repères, ni mes sensations, je ne savais que penser, que faire, j’avais perdu le rythme économe des solitaires de fond. Je me sentais fébrile, déranger dans ma rythmique. »157

Le temps figé de la maison est alarmé par la nouvelle venue mais pas pour longtemps. La nature des lieux reprend vite ses droits. Le narrateur a tout le temps de reprendre le deuil d’une vie perdue et de rappeler ses souvenirs, faire le choix de se condamner librement à la solitude dans son domicile et vivre l’effet d’une prison au lieu de s’accommoder de force à la liberté surveillée de sa société.

« Je me suis donné au moins ce droit, ce lui de mourir à ma manière… dans cet état, il est préférable de se dépêcher de vieillir, d’où mes petites rides. Sous la bannière verte, la vieillesse n’est pas un naufrage pour les femmes mais un sauvetage. »158

Cet individu semble depuis longtemps vaincu, de jour ou de nuit, le temps est dominé par l’enfermement de l’espace, « Ainsi se parlent les enfants de la perdition. Mais

comment soi-même, vaincu par l’âge et la sagesse, leur parler lorsque, de plus, la vie nous a appris depuis longtemps à nous taire et à faire semblant de continuer de croire ? »159

Le temps s’efface et ne s’étend plus vers le futur, seul le passé témoigne d’une vie antérieure, il continue d’ailleurs de subsister menant le personnage vers une mort lente.

156 Ibid., p.53 157 Ibid., p.19 158 Ibid., p. 44 159 Ibid., p. 4

« Il est trois heures et la nuit continue d’avancer. La vieille horloge qui garde solennellement le vestibulaire ne sonne plus depuis la perte de son premier maître mais je la comprends, elle grince par habitude, à l’intervalle réguliers. Par trois fois, elle a tenté de se manifesté. Le papotage de la jouvencelle s’était dilué à n’être plus qu’un vague nuage au-dessus de nos têtes, puis il s’est volatilisé dans les limbes. Le silence, le vrai, le minéral, commençait à dire tout haut les maux de la maison, ça craquait de partout, de quoi rameuter les poltergeists. Nous étions dans ces heures qui ne sont pas vraiment les nôtres… »160

Nous ignorons en quelle année exactement le récit de Sansal était censé se dérouler mais nous savons en revanche combien de temps s’est écoulé entre le début de l’histoire et la fin. Les quatre actes de 278 pages qui coïncident avec les quatre saisons correspondent à une année. Cette distance temporelle entre l’arrivée de Cherifa et sa mort est cependant remplie et animée par des souvenirs dont l’origine se perd dans la nuit des temps.

« Ces histoires me courent dans la tête, se mélangent, se nourrissent les unes des autres, se répondent dans leur langue, vêtues de leurs coutumes. Je vais d’un siècle à l’autre, un pied ici, la tête dans un lointain continent. De là me vient cet air d’être de partout et de nulle part.»161

L’auteur de Harraga pratique la narration au présent. Le narrateur suit de très près et simultanément les mésaventures de son invitée jusqu’à sa mort après qu’elle mette au monde son enfant, d’où l’emploi du présent. Une pratique courante qui correspond à l’écriture immédiate des faits, l’exemple du journal intime ou du livre de bord est la forme la plus immédiate de ce type de récit. Le texte répond donc à une narration de type simultanée, « récit au présent contemporain de l’action ». 162

160Ibid., p. 18 161 Ibid., p.74

Mais si a priori le texte prend forme d’un Journal et raconte en même temps les événements, le narrateur dans l’incompréhension ou plus exactement l’inacceptation de ce qu’il voit devant ses yeux, refuse de suivre une synchronie rationnelle du temps et dérive (souvent pour se défendre) vers une anarchie et une confusion totale. Le jour et la nuit se confondent et l’héroïne déclare qu’il est plus simple pour elle de vivre dans l’obscurité de sa maison enfuie dans ses souvenirs, de côtoyer des fantômes et des ombres que d’ouvrir grand les fenêtres et voir la lumière du jour.

La mémoire ou la mort

« La souvenance est une autre façon De vivre sa vie

Pleinement.

Le mieux possible Le moins durement.

Et la solitude est le moyen De garder en mémoire Ce que le bruit des choses Emporte dans l’oubli. Il faut bien lâcher d’un côté Pour tenir de l’autre.

De ce qui renait au jour le jour On se fait une nouvelle vie. Et va le temps et va le rêve.

On ne voyage jamais qu’en soi. »163

II- Partir